Médias / Société

Les médias nationaux doivent-ils s'inspirer du succès de Mantes Actu?

Alors qu'il existait déjà plusieurs médias dans cette ville, Mantes Actu a su tirer son épingle du jeu grâce à une certaine proximité et à des informations courtes et factuelles. Un exemple qui a ses points forts mais aussi ses limites.

Mantes Actu est suivi par 15.000 personnes sur Facebook. | Capture d'écran Mantes Actu
Mantes Actu est suivi par 15.000 personnes sur Facebook. | Capture d'écran Mantes Actu

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Le samedi 26 janvier dernier, le site indépendant Essonne Info informa ses lecteurs qu’il mettait les clés sous la porte après neuf années de nouvelles départementales. La faute à un manque de moyens financiers explique Julien Monier, rédacteur en chef du site consacré à l’info du sud de l’Ile-de-France.

On le sait, les initiatives médiatiques n’ont pas le vent en poupe ces dernières années, et nombreux sont les sites ou les magazines papiers a avoir renoncé pour des raisons strictement économiques. Alors quand ces tentatives, en plus d’être médiatiques, sont citoyennes et locales, les difficultés s’additionnent et paraissent insurmontables. L’importance qu’a l’information de proximité est pourtant bien connue, elle accompagne le quotidien concret et permet de savoir ce qui se passe autour de nous, au sens littéral.

Les expériences et différentes formes que cette presse du réel peut prendre pourraient bien, si on prend la peine de les regarder de près, être porteuses de nombreux enseignements pour des médias nationaux en positions tout aussi délicates, que ce soit sur un plan financier ou éditorial. Un zoom qu’il est particulièrement intéressant de faire dans les Yvelines, en se penchant sur le cas particulier de Mantes-la-Jolie.

Géographie médiatique du Mantois

Dans cette ville de l’ouest parisien où vivent plus de 40.000 habitants, le marché du média local est partagé en plusieurs entités aux situations et identités très variables. Il y a d’abord l’antenne du Parisien, le mastodonte national, qui occupe de petits bureaux dans le centre de la troisième plus grande ville des Yvelines en termes d’habitants. À une centaine de mètres se trouvent les locaux du Courrier de Mantes, l’historique, fondé en 1944 et racheté dans les années 2000 par le géant Publihebdos, aujourd’hui propriétaire d’une petite centaine de titres de presse du même genre un peu partout en France. Titres qui tendent de plus en plus vers une uniformisation des maquettes et des lignes éditoriales, ainsi que vers une réduction des effectifs et de leurs moyens.

Toujours dans le centre-ville, on trouve également la rédaction de l’hebdomadaire gratuit La Gazette en Yvelines, ancienne Gazette du Mantois, propriété de Lahbib Eddaouidi, également patron de LFM, la radio du coin. Figure locale, Lahbib Eddaouidi est souvent présenté par l’épaisseur de son carnet d’adresse et sa proximité, parfois jugée problématique, avec les élus locaux.

Enfin, il y a un site internet: Mantes Actu. Pas de bureaux cette fois, mais si l’on devait situer le média ça ne serait certainement pas dans le centre de Mantes-la-Jolie, contrairement aux trois autres titres, mais au Val Fourré, la cité de la ville où vivent plus de la moitié des Mantais. C’est là que vit également Aboubakry N’diaye, le créateur et rédacteur presque unique de Mantes Actu. Le site ne fait ni dans l’analyse ni dans le positionnement politique, à l’inverse, par exemple, d’un Bondy Blog. Les articles publiés se contentent de donner l’information brute et dépassent rarement les dix lignes. Sur Facebook pourtant, principal vecteur du site, Mantes Actu totalise 15.000 followers contre seulement 8.000 pour Le Courrier de Mantes et 2.000 pour La Gazette en Yvelines. Un écart conséquent qui interroge. Comment un homme seul a ainsi réussi à atteindre un public bien plus large que celui de médias beaucoup mieux lotis en termes de finances et de personnels?

Ce que veulent les gens

En rencontrant Aboubakry N’diaye au Val Fourré, un début de réponse apparaît dès les premiers instants. Chaque personne croisée, chaque voiture, s’arrête alors pour saluer celui que tout le monde appelle Abou ou «le journaliste». En une heure de conversation dans un café au cœur du quartier, pas moins d’une cinquantaine de personnes viendront chaleureusement nous serrer la main. En plus d’avoir le contact facile Aboubakry N’diaye a passé toute sa vie ici et connait par cœur le Val Fourré, ses habitants et habitantes et leurs besoins.

C’est pourquoi lorsqu’il lance Mantes Actu en 2013, il n’oublie pas de publier quotidiennement les horaires de trains de la ligne J qu’emprunte une très grande partie de la population vivant ici mais travaillant dans la capitale. Tout se joue sur des détails. S’il ne publie que des brèves c’est tout simplement «parce que les gens n’ont pas le temps». La grande part de publications réservés aux faits divers? «Parce que c’est ce que les gens veulent».

Aboubakry N’diaye, qui a un autre travail mais qui pourrait (tout juste) vivre de son site, est un pragmatique. Et sa conception du média qui fonctionne, si elle peut paraître dénuée d’idéal, est d’un réalisme auquel bien d’autres devront peut-être bientôt se plier. Laisser le marché choisir. Autrement dit: les gens. Une philosophie qui ne vient d’ailleurs pas de nulle part. Après avoir essayé quelques formations en différents travaux manuels, Aboubakry N’diaye est devenu pigiste sport au Courrier de Mantes. L’expérience lui a laissé un goût amer. «Après trois ans de piges, on ne m’a proposé aucune évolution professionnelle», raconte t-il. Ainsi naquit Mantes Actu: «On ne voulait pas de moi, alors je suis devenu un concurrent.» Et pas des moindres.

Du Val Fourré à Cornerville

Évidemment, Mantes Actu est loin d’être LE site d’information parfait et les critiques fusent aux seins des différentes rédactions alentours. On reproche au média de copier-coller des brèves d’ici et là sans en mentionner la source, de s’adonner au publi-rédactionnel sans préciser la nature publicitaire de l’article (et ce quoi que cette pratique se limite bien souvent à la promotion de restaurants ou boutiques du coin) ou encore d’être indirectement piloté et soutenu par des mains liées aux petites batailles municipales de l’agglomération mantoise.

Des critiques globalement fondées et qu’il faut entendre. Tout comme il faut entendre la fierté des habitants du Val Fourré lorsqu’ils croisent le chemin d’Aboubakry N’diaye, et se réjouir de voir qu’au-delà des imperfections latentes de son site, l’ancien pigiste reste fidèle à son environnement et ce sans n’être qu’un fixeur. Ce qu’il est pour de nombreuses rédactions nationales dénuées d’accès à une cité telle que celle-ci.

Mantes Actu ne fait pas que traiter l’actualité de ce qu’on appelle le Mantois en général et du Val Fourré en particulier mais vit au jour le jour au beau milieu de la cité. L’importance, pour quiconque veut parler d’un endroit spécifique, de vivre dans cet endroit a d’ailleurs fait l’objet d’un livre de sociologie aujourd’hui culte: Street Corner Society par William Foote Whyte.

Le sociologue y raconte son choix, dans les années 1930, de déménager à Cornerville, le quartier italien de Boston qu’il voulait alors étudier. Et comprend peu à peu à quel point son étude de cette population aurait été impossible s’il était resté dans les couloirs d’Harvard le nez plongé dans des statistiques et autres outils d’analyses théoriques. Foote Whyte se rendit même compte que le dénommé Doc, son guide, ou son fixeur comme on dirait aujourd’hui, égalait voire surpassait sa capacité d’analyse pourtant savante: «Sans avoir aucune formation pour cela, il était un observateur si perspicace qu’il n’avait besoin que d’un léger stimulus pour pouvoir se mettre à expliciter l’essentiel de la dynamique de l’organisation social de Cornerville. Nombre des interprétations que j’ai proposées lui appartiennent plus qu’à moi.»

Ingrédients d’une recette incomplète

De la même façon, il apparaît difficile de parler du Val Fourré (et au Val Fourré) sans passer par Aboubakry N’diaye. Et cantonner son rôle à celui d’un éternel fixeur relève presque de l’usurpation. Là est sans doute une des clés de compréhension des problématiques actuelles autour des façons de traiter l’information locale. Le territoire français est un amas de niches ultra-locales dont on ne peut parler correctement en les regardant de loin, et encore moins lorsque, aidé par cette distance confortable, on se met à statuer, à donner un avis.

À Cornerville, tout le monde conseillait à Foote Whyte «de ne pas discuter les opinions des gens et de ne pas porter sur eux des jugements moraux». De même, la froideur des brèves de Mantes Actu, qui se contente de fournir l’information sans jamais émettre un début d’avis ou de sentiment n’est donc pas qu’une facilité, mais une des raisons qui font que Mantes Actu est devenu l’un des moyens d’information principaux à Mantes-la-Jolie.

Moyen extrêmement perfectible et bien-sûr tout à fait insuffisant, mais porteur de leçons fondamentales en ces temps de réflexions nécessaires sur le rapport entre médias et grand-public. Il va sans dire qu’il ne s’agit pas d’affirmer que les autres médias locaux doivent suivre ce modèle là pour espérer survivre. Mais de constater l’accueil globalement positif de Mantes Actu au sein de la communauté loin d’être uniforme à laquelle il s’adresse, et d’en comprendre les raisons.

Soit une stricte réponse à la demande, que ce soit au niveau des sujets ou de leur traitement. Aussi, une connaissance approfondie de cette demande qu’Aboubakry N’diaye côtoie du matin au soir. Enfin et surtout, il se trouve être parfaitement identifiable par cette demande, par ces gens pour qui «le journaliste» est devenu, pour la première fois, un être qui leur est égal.

La recette est incomplète mais les ingrédients que l’on vient de décrire se trouvent être aussi indispensables qu’absents de la plupart des rédactions locales classiques. Certes, pour certains concurrents de Mantes Actu les défauts du site (tels que le publi-rédactionnel non signalé) l’excluent de facto d’une réflexion globale au sein de laquelle une certaine vision de la déontologie journalistique prendrait le dessus sur tout le reste.

La frontière interdite

Réflexe un peu rapide et qui résonne étrangement à la lecture d’un autre extrait de Street Corner Society dans lequel le sociologue constate que dans le quartier de Cornerville où la débrouille est le seul moyen de survie il existe «une frontière très nette entre activité illégales respectables et non respectables».

Ainsi peut-être que vu du Val Fourré où pour des raisons aussi diverses que compréhensibles les médias mainstreams sont peu appréciés, certaines activités, même légales, certaines façons de procéder, de remplir les caisses ou tout simplement de dire les choses apparaissent alors moins respectables que l’imparfait Mantes Actu. Et peut-être même de façon «très nette». Assez pour se demander qui devrait apprendre de l’autre en premier.

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