Politique

François-Xavier Bellamy, encéphalogramme plat de la droite aux européennes

Désigné fin janvier tête de liste du parti Les Républicains pour les élections du 26 mai, ce jeune professeur de philosophie conservateur ne semble pas faire bouger les lignes. 

François-Xavier Bellamy le 28 janvier 2019 |Christophe Archambault / AFP
François-Xavier Bellamy le 28 janvier 2019 |Christophe Archambault / AFP

Temps de lecture: 7 minutes

Les bookmakers vont s'en donner à cœur joie. Les jeux ne sont pas encore faits. La plus grande incertitude règne. Les plus grandes incertitudes, devrait-on plutôt dire. À bientôt trois mois du scrutin, les élections européennes du 26 mai se présentent comme une équation à de multiples inconnues. 

La consultation sera-t-elle boudée comme elle l'est traditionnellement, de façon constante, depuis trois décennies? De 39,3% en 1979 pour les premières européennes, l'abstention est passée à 57,6% aux dernières en date de 2014, avec un pic à 59,4% pour celles de 2009.

L'Europe qui provoque des débats si passionnés en France, au point d'être à l'origine de l'éclatement de certains partis et de reclassements politiques spectaculaires, cette Europe n'intéresse plus les électeurs et électrices quand il s'agit de venir voter à son sujet. Paradoxe.

Une liste «gilets jaunes»?

Une ou plusieurs listes estampillées «gilets jaunes» seront-elles en lice dans ce scrutin? Ce mouvement, qui fait irruption avec son cortège de violences physiques et verbales dans plusieurs grandes villes, dont Paris, chaque samedi depuis trois mois, est divisé sur la question.

Des tentatives de constitution de liste se sont heurtées à l'hostilité de deux figures de cette mouvance –Éric Drouet et Maxime Nicolle–, voire aux menaces de mort de quelques anonymes. Cette volonté de se tenir en dehors de cette compétition électorale, jusqu'à n'y pas voter, donne l'impression d'être majoritaire dans la partie du mouvement qui s'exprime sur les réseaux sociaux.

Qui, de Marine Le Pen ou d'Emmanuel Macron, sortira en tête de ce scrutin proportionnel de liste nationale? Car l'affrontement entre le Rassemblement national (RN) et La République en marche (LREM) –la liste d'extrême droite est conduite par Jordan Bardella (23 ans) alors que la tête de liste de la majorité présidentielle (LREM et Modem) n'est pas encore connue–, apparaît indirectement, selon les sondages, comme une revanche de la présidentielle. Même si les élections européennes n'ont jamais eu la moindre influence ni la moindre répercussion sur les élections nationales suivantes, le résultat sera scruté avec intérêt par les acteurs.

Quelle place pour Les Républicains?

En 1979, la liste libérale conduite par Simone Veil arrive en tête du scrutin (27,6%) devant celle de François Mitterrand (23,5%) et deux ans plus tard le leader du Parti socialiste est élu président de la République face au libéral Valéry Giscard d'Estaing. En 1994, la liste socialiste de Michel Rocard fait le pire score de son histoire européenne (14,5%) après celui de 2014 (14%), et trois ans après, à la suite de la dissolution impromptue de Jacques Chirac, les législatives sont gagnées par le PS emmené par Lionel Jospin. Lequel est sèchement éliminé au premier tour de la présidentielle de 2002, ce qui n'empêche pas le PS de réaliser son meilleur score européen (28,9%) en 2004. Et tout est à l'avenant.

Dans quel ordre arriveront les suivants si le binôme de tête se confirme et se maintient? En particulier, la troisième place aura une importance psychologique de taille pour la formation qui la décrochera. À l'heure actuelle, trois mouvements se disputent ce privilège: la droite avec le parti Les Républicains (LR), les écologistes d'EELV (Europe écologie-Les Verts) et la gauche de la gauche avec La France insoumise (LFI).

Des intentions de vote inférieures de moitié à 2014

Aux dernières européennes de 2014, le Front de gauche, qui regroupait le Parti de gauche (PG) de Jean-Luc Mélenchon et le Parti communiste (PCF), avait obtenu 6,6% des suffrages exprimés et s'était classé en sixième position. Depuis, les deux formations ont divorcé, LFI et le PCF présentent deux listes distinctes. Les écolos avaient réalisé un score de 9% les plaçant en cinquième position. Enfin, la droite UMP (Union pour un mouvement populaire) était arrivée deuxième avec 20,8% des voix, derrière le Front national (24,9%) et devant le PS (14%). La quatrième place était occupée par les centristes du Modem et de l'UDI (Union des démocrates et indépendants) qui faisaient alors liste commune (9,9%).

Les derniers sondages d'intentions de vote des mois de décembre 2018 et janvier 2019 donnaient un score deux fois moindre pour la liste du parti Les Républicains, dans une fourchette allant de 8% à 12,5%, selon les cas de figure et selon les instituts. C'était 12,5% pour Elabe et Ipsos. C'était 8% pour Odoxa. Et l'Ifop, dans sa livraison du début janvier, donnait LR à 10%... avant que le nom de la tête de liste ne soit révélée officiellement et entériné par les instances du parti.

Récapitulatif des derniers sondages d'intentions de vote aux européennes de 2019.

François-Xavier Bellamy, dont le nom circulait à droite depuis la fin de l'année 2018, a été désigné officiellement tête de liste par les instances idoines de LR, le 29 janvier. Éric Ciotti, président de la commission d'investiture, avait alors souligné «le très large soutien» dont avait bénéficié le jeune professeur de philosophie (33 ans) et adjoint au maire de Versailles (Yvelines). Sur les trente-huit présents, seuls deux élus proches de Nicolas Sarkozy –le sénateur de Paris, Pierre Charon, et le maire du XVe arrondissement de Paris, Philippe Goujon– avaient voté contre cette candidature. 

Charon avait proposé, comme Sarkozy avant lui en 2018 et sans plus de succès que lui, que Laurent Wauquiez, président du parti, soit le chef de file de cette liste, en considérant qu’il était le plus apte et le mieux placé pour défendre les couleurs de la droite. La suggestion du sénateur solitaire n’avait reçu –publiquement– aucun soutien dans l’assistance, selon un des participants à la réunion.  

Afin de parer les critiques qui se faisaient jour dès avant la désignation de Bellamy, considéré comme un représentant de la branche la plus conservatrice de la droite sur les questions de société, Wauquiez avait pris soin de choisir deux autres élus moins contestables pour encadrer l'impétrant. Les Républicains avaient ainsi présenté un trio composé de Bellamy avec pour n°2 Agnès Evren, vice-présidente de la région Ile-de-France, présentée comme proche de Valérie Pécresse et de François Baroin, ce que certains contestent, et pour n°3 Arnaud Danjean, euro-député sortant et ex-proche d'Alain Juppé rajouté en dernière minute à la demande de Gérad Larcher, président (LR) du Sénat, «fâché du choix de Bellamy», confie un responsable du mouvement.

Zig-zag sur l'Europe

Il s'agit donc de jouer la diversité et le rassemblement pour faire «avaler la pilule» Bellamy à une formation politique profondément divisée entre les conservateurs et les libéraux. La partie est d'autant plus compliquée à jouer que Wauquiez, dont les convictions sont passagères et changeantes, a varié sur sa vision de l'Europe, passant de l'euroscepticisme à une approche modérée. Ce tracé en zig-zag est du reste perceptible dans les interventions de Bellamy qui peut, tout à la fois, prôner des changements profonds mâtinés de souverainisme et la poursuite d'une action frappée au coin du fédéralisme dans laquelle s'inscrit la droite depuis plusieurs décennies au Parlement européen.

Un mois et demi après l'adoubement du trio, il apparaît que l'opération n'a provoqué aucun électrochoc dans l'opinion, si l'on en croit la dernière livraison sondagière de l'Ifop. Le principe d'une élection de liste étant que l'attention se porte principalement sur le chef de file ou la cheffe de file, force est de constater que Bellamy produit un encéphalogramme plat dans l'électorat de droite. La présence de son nom ne suscite aucun sursaut jusqu'ici dans les intentions de vote. Ce pourcentage (10%) reste le même qu'au début janvier, avant sa désignation, et il est inférieur à celui enregistré en octobre (14%). Avec la marge d'erreur, cela signifie que LR navigue entre 8,2% et 11,8%.

Sondage de février 2019 sur les intentions de vote aux élections européennes | Ifop-Fiducial pour Paris Match, CNEWS et Sud Radio.

À plusieurs titres, ce chiffre est inquiétant pour Les Républicains. D'abord, il est deux fois inférieur au score enregistré aux européennes de 2014 par l'UMP (20,8%), ensuite, il est encore pire que celui, déjà catastrophique, obtenu par la liste conduite aux élections de 1999 par Sarkozy (12,8%). Il est vrai qu'à cette époque la droite pro-européenne était concurrencée par la droite souverainiste qu'emmenait le duo Charles Pasqua –Philippe de Villiers et qui l'avait devancée d'un cheveu (13,1%). Vingt ans après, les droites sont toujours écartelées. Comme les gauches.

Il est sombre, aussi, car un tel score octroierait à LR une dizaine de sièges au Parlement européen. Une vraie catastrophe, puisque conséquence du résultat, ça couperait les effectifs actuels en deux. Compte tenu des trois premières places déjà attribuées et de la volonté de certains députés et députées sortants, comme Rachida Dati, Nadine Morano, Brice Hortefeux ou Geoffroy Didier, entres autres, d'être reconduits, ça laisse assez peu de place pour un renouvellement. Une source interne laisse entendre que Morano pourrait occuper la quatrième place, Hortefeux la suivante, Dati pourrait être en sixième ou huitième position et Didier, septième. Cela laisse supposer une lutte au couteau entre colistiers. 

Enfin, les dirigeants du parti peuvent s'alarmer car un examen détaillé des données de l'enquête Ifop met en évidence des faiblesses structurelles des intentions de vote LR que la candidature Bellamy n'est pas de nature à dissiper. Ainsi, l'institut de sondage donne une pourcentage de 7% à la droite parlementaire dans les communes rurales, soit un taux près de quatre fois inférieur à celui attribué à l'extrême droite (26%) ou la majorité présidentielle (24%). Et la liste Bellamy ne fait pas mieux que le PCF, La France insoumise ou Debout la France. Or, depuis le début du quinquennat, les dirigeants de Les Républicains ont fait de la défense de la ruralité un angle d'attaque majeur contre le gouvernement.

Déperdition de l'électorat Fillon

De même, parmi les retraités, électorat qui n'est généralement pas défavorable à la droite, les intentions de vote ne sont que de 13% pour la liste que soutient Wauquiez, alors qu'elles sont de 10% au PS, 15% au RN et atteignent 33% pour la liste macroniste. Plus grave encore, la liste LR récupère moins de la moitié (43%) de l'électorat de l'UMP des européennes de 2014 –la liste LREM en drainant pour sa part 38%– et sur cent électeurs et électrices de François Fillon à la présidentielle de 2017, Bellamy en attire à peine plus d'un tiers (38) alors que LREM en capte un gros quart (28).

Cette batterie de chiffres et de statistiques n'est pas très rassurante pour la droite parlementaire. Wauquiez peut toutefois se dire, comme le souligne Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'Ifop, que «les européennes sont des élections de marque», c'est-à-dire que les personnes votent plus pour une étiquette que pour un homme ou une femme et qu'un autre choix pourrait aboutir au même résultat.

En faisant celui de Bellamy doublé de celui d'Evren dans une moindre mesure, le président de LR a bloqué les voies de recours si des velléités de putsch interne se faisaient jour en cas d'échec électoral retentissant dans lequel tout le monde sombrerait en même temps. Car Bellamy, c'est la ligne de Bruno Retailleau, et Agnès Evren plus ou moins celle de Valérie Pécresse. Le trio était certes un choix public de rassemblement mais c'est aussi, et peut-être surtout, un choix tactique de protection personnelle. Dans une autre configuration, pourtant, Sarkozy avait donné sa démission de ses fonctions de président par intérim du RPR, en 1999, au lendemain de la défaite de la liste qu’il conduisait aux européennes.

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