Société / Économie

Les boutons, objets ludiques qui poussent à la consommation

Depuis leur apparition au XIXe siècle sur les appareils photos, les boutons ont envahi notre vie quotidienne. Faut pas pousser.

Maman, j'ai poussé le bouton dans l'avion. | Steven Thompson via <a href="https://unsplash.com/photos/cSGMQ7Meo8w">Unsplash</a>
Maman, j'ai poussé le bouton dans l'avion. | Steven Thompson via Unsplash

Temps de lecture: 4 minutes

Tous les jours, partout dans le monde, des gens appuient sur des boutons: cafetières, télécommandes, réseaux sociaux (pour liker une publication)… Depuis plus de sept ans, j’essaie de comprendre pourquoi, en m’intéressant à la manière dont ils sont nés et aux raisons qui expliquent que certains les adorent et d’autres pas.

En faisant des recherches pour mon livre Power Button: A History of Pleasure, Panic and the Politics of Pushing, j’ai identifié cinq thèmes majeurs qui m’ont aidée à comprendre la culture des boutons.

Les boutons, moins faciles à utiliser qu’on le croit

À la fin du XIXe siècle, la société Eastman Kodak a commencé à vendre des boutons-poussoirs afin de faciliter la prise de photos. Le slogan de la société, «Vous appuyez sur le bouton, nous faisons le reste», laissait penser qu’il était très facile d’utiliser la nouvelle technologie et cette campagne publicitaire a ouvert la voie à la photographie amateur.

Pourtant, dans de nombreux contextes, passés et présents, les boutons sont tout sauf faciles à utiliser. Vous êtes-vous déjà retrouvé dans un ascenseur à appuyer sans relâche sur le bouton de fermeture, en espérant que les portes se ferment un jour? Ou au passage piéton? La programmation de ce qu’on appelle une «télécommande universelle» est souvent un exercice extrêmement frustrant. Il suffit de penser aux tableaux de bord très complexes utilisés par les pilotes ou les DJ.

Encore faut-il savoir sur quel bouton appuyer. | Cristi Tohatan / Unsplash

Depuis plus d’un siècle, les gens se plaignent de la difficulté d’utilisation des boutons: comme pour toute technologie, la plupart d'entre eux nécessitent une formation pour bien comprendre comment et quand les utiliser.

 

Les boutons encouragent le consumérisme

Les premiers boutons-poussoirs sont apparus sur les distributeurs automatiques, et comme interrupteurs et cloches dans les maisons de riches propriétaires pour appeler les domestiques.

Au début du XXe siècle, les fabricants et les distributeurs de produits à boutons essayaient souvent de convaincre leurs clientes et clients que la simple pression d’un bouton pouvait satisfaire tous leurs désirs, sans les problèmes, blessures ou efforts que représentaient les technologies précédentes, comme les poignées, manivelles ou leviers. Appuyer sur des boutons est une forme de consommation généralisée: cela permet d’acheter des barres chocolatées, de tapoter pour regarder des films en streaming ou de réserver un Uber.

La zapette et sa myriade de boutons colorés. | Immo Wegmann / Unsplash

Les pousse-boutons d’Amazon poussent le plaisir du bouton à l’extrême. Il est en effet tentant d’installer des boutons associés à des produits de consommation courante dans sa maison pour commander instantanément du papier toilette ou de la lessive. Mais cette commodité a un prix: l’Allemagne a récemment interdit les «Dash» boutons car ils ne permettent pas aux clients de connaître le montant de leur commande.

L’abus d’usage de boutons

Au cours de mes recherches, j’ai découvert que les gens avaient peur que les boutons tombent entre de mauvaises mains ou soient utilisés de manière socialement indésirable. Mes enfants appuient sur n’importe quel bouton à leur portée, et parfois sur ceux qui ne le sont pas. Les enfants de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle n’étaient pas différents et appuyaient sur les klaxons des automobiles ou sur les sonnettes de porte. Bref, ils profitaient des boutons à disposition pour s’amuser, au grand dam des adultes.

Les adultes aussi ont souvent été critiqués pour leur utilisation abusive des boutons. Des managers et cheffes de service suscitaient la colère de leurs subalternes quand elles actionnaient des cloches à bouton pour rappeler que ceux-ci étaient à leur entière disposition. Plus récemment, des personnalités comme Matt Lauer, qui disposait d’un bouton caché sous son bureau pour en verrouiller la porte et exiger des faveurs de ses collaboratrices, sont tombées en disgrâce.

Certains des boutons les plus redoutés ne sont pas réels

À partir de la fin du XIXe siècle, l’une des craintes les plus répandues sur les boutons concernait l’armement militaire: une simple pression sur un bouton pouvait faire exploser le monde.

Cette angoisse a persisté, de la guerre froide à nos jours, et occupé une place prépondérante dans des films comme Docteur Folamour ou à la une des journaux. Bien qu’il n’existe aucun bouton magique de ce type, c’est un symbole puissant de la façon dont la société considère souvent les effets des boutons: rapides et irrévocables. Ce concept est également utile en géopolitique. Pas plus tard qu’en 2018, le président Donald Trump se vantait, dans un tweet à l’attention du leader nord-coréen Kim Jong‑un, de pouvoir déclencher une attaque nucléaire: «Moi aussi j’ai un bouton nucléaire mais il est beaucoup plus gros et plus puissant que le sien, et il fonctionne!»

 
 

Peu de choses ont changé en plus d’un siècle

En terminant mon livre, j’ai été frappée par le fait que le passé résonne encore si fort aujourd’hui. Depuis les années 1880, la société américaine se demande si les boutons sont une forme souhaitable ou dangereuse d’interaction avec le monde.

Pour certaines et certains, ils rendent la vie trop facile, agréable ou machinale. Pour d’autres, ils augmentent la complexité, obligeant les utilisateurs à tripoter inutilement des interfaces «non naturelles».

Pourtant, en dépit des critiques, les boutons restent obstinément présents. Ils sont un élément essentiel du design et de l’interactivité des smartphones, des ordinateurs, des bips de garage, des tableaux de bord et des manettes de jeux vidéo.

Comme je le suggère dans mon livre, une manière de remédier à cette discussion sans fin sur la pertinence des boutons serait de s’intéresser à la dynamique du pouvoir et à l’éthique des boutons dans la vie quotidienne. Si les gens commençaient à se demander qui peut appuyer sur le bouton, et qui ne le peut pas, dans quel contexte, dans quelles conditions et au profit de qui, ils comprenaient la complexité et l’importance de cette invention.

Traduit de l’anglais par Karine Degliame-O’Keeffe pour Fast ForWord.

The ConversationCet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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