Parents & enfants / Société

Valentina, née par GPA: «Je voudrais qu’on cesse de parler de nous comme des pauvres victimes»

Dans «Moi, Valentina, née par GPA», Valentina Mennesson, 18 ans, plaide pour que le débat sur la gestation pour autrui prenne enfin en compte le point de vue des enfants concernés.

Valentina Mennesson à Paris, le 8 janvier 2019 | Alain Jocard / AFP
Valentina Mennesson à Paris, le 8 janvier 2019 | Alain Jocard / AFP

Temps de lecture: 8 minutes

En 2015, deux jeunes Françaises sont sorties de l’ombre: Fiorella et Valentina Mennesson donnaient leur première interview pour un grand média français, Le Figaro. Les sœurs jumelles ont pour particularité d’être nées par gestation pour autrui (GPA) aux États-Unis et voulaient grâce à cette interview montrer qu’au-delà des fantasmes, elles sont des adolescentes comme les autres: «Grâce à mon témoignage, je me dis que les gens auront une meilleure image de nous. Je pense qu'à l'heure actuelle, la plupart d'entre eux pensent que nous sommes des victimes de la société, que nous sommes des enfants malheureux. Alors que ma sœur et moi, on est plutôt heureuses! On est des ados comme les autres, avec nos joies et nos problèmes d'enfant de 14 ans.»

Quatre ans plus tard, Fiorella et Valentina sont devenues de jeunes adultes qui souhaitent plus que jamais faire entendre leur propre voix. Les deux jeunes femmes sont parmi les premières personnes nées par GPA à avoir atteint l’âge adulte en France.

Après près de deux décennies d’âpres combats juridiques, la nationalité française leur a été accordée, mais la filiation avec leurs parents continue d’être obstinément refusée par la justice française.

«Que les autres arrêtent de s’exprimer à notre place»

Le 15 janvier dernier, le rapport de la mission d’information parlementaire sur la révision des lois de bioéthique a été rendu publique. Il propose de mettre fin à cette situation créant de grandes difficultés pour les enfants nés par GPA, en reconnaissant clairement la filiation avec leurs parents dès lors que la GPA a été conduite dans un pays où elle est légale.

C’est dans ce contexte que Valentina Mennesson publie un livre de témoignage, Moi, Valentina, née par GPA. «Il est temps de donner la parole aux enfants nés par GPA!», s’exclame-t-elle à juste titre dans le chapitre du livre dédié à ses motivations.

Valentina Mennesson pose avec des exemplaires de son livre, le 8 janvier 2019 à Paris | Alain Jocard / AFP

Elle poursuit: «Ce que je cherche surtout avec ce livre, c’est que les autres arrêtent de s’exprimer à notre place, de dire ce que je devrais ou ne devrais pas être, ou que je ne devrais pas exister, ou que je suis une insulte vivante à leur bien-être. Je voudrais que l’on cesse de nous stigmatiser, de parler de nous comme des pauvres victimes, de nous prévoir des destins horribles, bref, surtout de faire de la théorie sans regarder la réalité.»

Valentina entend par ailleurs rassurer les couples infertiles qui envisagent de faire une GPA, mais qui craignent que leurs enfants ne comprennent pas ce geste et soient psychologiquement troublés.

Elle espère enfin que sa voix permettra à d’autres personnes nées comme elle par GPA de prendre la parole publiquement: «J’espère que les témoignages de ma sœur et moi donneront la voie à suivre pour les autres enfants nés par GPA. J’espère que grâce à nous, lorsque ces enfants auront atteint l’âge et la maturité nécessaires pour s’exprimer dans les médias, ils n’hésiteront pas à le faire.»

«Comme si on l’avait toujours su»

Contrairement aux propos des adversaires de la GPA, qui clament à tort et à travers que naître ainsi induit nécessairement d’immenses troubles pour les enfants, Valentina est aujourd’hui une jeune femme équilibrée et tient à ce que les gens le sachent: «J’ai toujours le sentiment qu’on veut me faire dire que j’ai vécu un traumatisme, alors que ce n’est pas le cas. J’ai même l’impression que le fait qu’il n’y ait pas eu de faille dans mon enfance peut en gêner certains. Il faudrait absolument qu’il y en ait! Les gens ont l’air étonné quand je leur assure que je le vis bien.»

Dans le dernier chapitre du livre, Fiorella Mennesson dénonce dans le même esprit ces «inconnus qui prétendent connaître nos ressentis et nos expériences mieux que nous, au lieu de nous écouter».

«Ma sœur et moi, on ne l’a jamais découvert dans une réunion de famille; on ne l’a même jamais “appris”.»

Valentina Mennesson

La question des origines est l'un des points forts d’argumentation de l'opposition aux techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP): PMA avec don et GPA impliqueraient un «mensonge» grave fait aux enfants nés de ces techniques, puisque les parents leur cacheraient l’histoire de leur naissance. Alternativement, dans les cas où les parents raconteraient leurs origines, ces enfants seraient profondément perturbés.

Qu’en a-t-il été pour Valentina? Le thème des origines est une question centrale du livre de la jeune femme. Cette dernière explique qu’il n’y a jamais eu de moment précis de découverte: «Ma sœur et moi, on ne l’a jamais découvert dans une réunion de famille; on ne l’a même jamais “appris”. Au contraire, c’est comme si on l’avait toujours su. […] D’un point de vue psychologique, tout a toujours été assez évident pour moi dès notre naissance, et même sûrement avant, sur la façon dont je suis née.»

«Aucune différence psychologique majeure»

Ce témoignage de Valentina, née par GPA et parfaitement équilibrée, permet à lui seul de mettre à mal les slogans vouant à l’ensemble des enfants nés par GPA une vie remplie de tourments. Mais les adversaires de la technique ne tarderont sans doute pas à répondre qu’il ne s’agit là que d’un cas isolé, sûrement peu représentatif de l’ensemble des enfants nés par GPA.

Que dit la littérature scientifique sur le sujet? Bien qu’encore trop peu fournie, elle montre que le cas de Valentina est tout sauf isolé: «La gestation pour autrui n’apparaît pas avoir un impact négatif sur l’éducation des enfants ou leur développement au sein de familles avec des enfants de 2 ans», conclut une étude britannique de 2005.

En 2012, les mêmes chercheuses notaient que «les familles ayant procédé à une GPA ont maintenu une bonne relation dans le temps avec la gestatrice. Les enfants considéraient positivement leur mère porteuse et leur naissance par gestation pour autrui».

«Bien que plusieurs études montrent que les parents de familles qui ont fait appel à des nouvelles technologies de reproduction sont plus engagées émotionnellement dans leur éducation que le sont les parents de familles conçues naturellement, faisait remarquer une autre étude publiée en 2010, aucune donnée empirique n’a été trouvée qui montrerait que le développement psychologique des enfants issus des nouvelles technologies de reproduction diffère de leurs homologues dans des familles conçues naturellement.»

«Jusqu’à l’âge de 10 ans, il n’y a aucune différence psychologique majeure entre les enfants nés après une GPA et les enfants nés après un autre type d’AMP, ou après une reproduction naturelle», tranchait enfin une équipe de chercheuses scandinaves en 2015.

«Chacun à sa place!»

Lors d’une GPA pour couple hétérosexuel, ce sont parfois les gamètes des deux membres du couple qui sont utilisés pour la fécondation in vitro, avant implantation chez la femme porteuse.

Dans le cas de la famille Mennesson, le couple a dû néanmoins faire appel à une donneuse d’ovocytes, une amie de la famille. Aux États-Unis, le don de gamète n’est pas nécessairement anonyme –comme c'est le cas en France–, ce qui rend possible le don entre personnes qui se connaissent.

Ces conditions de naissance peu communes ont-elles créé de la confusion dans l’esprit de Valentina? Tout semble au contraire très clair pour la jeune femme: «J’ai toujours considéré mes parents comme mes parents, ma gestatrice comme ma gestatrice, ma donneuse d’ovocytes comme ma donneuse d’ovocytes. Chacun à sa place!»

Valentina conteste fermement ce rôle fantasmé de «seconde mère» que certaines personnes voudraient donner à la femme qui l’a portée: «Mes uniques parents restent ceux qui m’ont désiré et permis d’exister.» Bien qu’elle apprécie et éprouve une profonde et éternelle reconnaissance pour cette femme porteuse, qu’elle a côtoyée à de multiples reprises lors de vacances aux États-Unis, le lien n’est pas celui que fantasme le camp conservateur, pour qui la grossesse crée inévitablement un amour maternel chez l’enfant: «Je ne me suis jamais dit que Mary faisait partie de ma famille, et encore moins qu’elle pouvait être comme ma tante. Je l’ai toujours vu comme une amie de mes parents, qui avait des enfants vraiment sympas et drôles.»

«Je sais que je n’ai qu’une mère. C’est celle qui m’a désirée depuis le début, celle qui a fait en sorte que je naisse.»

Valentina Mennesson

Il en va de même pour la donneuse d’ovocytes. Valentina n’a jamais eu de doute sur sa relation avec ces deux femmes ayant joué un rôle-clé dans sa naissance: «Je ne les ai jamais perçues comme des mères, ni à l’époque, ni jamais.»

Valentina n’a par ailleurs jamais eu le moindre doute sur sa mère. La jeune femme insiste sur le fait qu’elle n’a toujours eu qu’une seule mère, pleine et entière: «Bien que ma mère ne m’ait pas portée, car elle ne le pouvait pas, et que je ne sois pas issue de ses gamètes, car la tentative n’a pas fonctionné, je reste en tout point sa fille. […] Je sais que je n’ai qu’une mère. C’est celle qui m’a désirée depuis le début, celle qui a fait en sorte que je naisse.»

Démontrant une réelle réflexion sur le sujet, Valentina consacre une définition de la parenté trouvant son origine dans un acte de volonté humaine plutôt que dans une simple transmission biologique: «C’est la personne qui élève l’enfant, qui lui donne toute son attention et son amour qui peut prétendre à être son parent. […] Je pense également qu’en traversant tout ce long chemin qu’est la GPA, ces personnes, qu’elles soient hétérosexuelles infertiles ou homosexuelles, ont prouvé leur détermination et leur volonté d'être parents.»

À l’exact opposé des anti-GPA, qui clament que les enfants auront l’impression d’avoir été achetés, Valentina est consciente du profond désir d'enfant ressenti par ses parents, avant même sa naissance: «Je pense que nous, enfants nés par GPA, avons eu la chance d’avoir longtemps été désirés et attendus.»

«C’est la France qui nous fait “mal vivre” tout cela»

Si le fait d’être nées par GPA n’a jamais posé de problème en tant que tel à Valentina et à sa sœur, ces conditions peu communes de naissance n’ont toutefois pas été de tout repos vis-à-vis du monde extérieur.

Dans la postface du livre, Dominique Mennesson, père de Valentina et Fiorella, explique craindre que l’acharnement juridique et politique à ne pas reconnaître la filiation de ses deux filles ne crée chez ces dernières une profonde méfiance envers les institutions françaises: «Comment faire confiance à la justice et à l’administration, si ses membres peuvent violer le droit à vos dépens en toute impunité? […] Quelle confiance avoir dans le système?»

À la lecture de ce passage éloquent du témoignage de Valentina, cette inquiétude paraît tout à fait fondée: «Souvent, lorsque l’on demande à ma sœur et moi si l’on vit mal le fait d’être “nées par mère porteuse”, on répond qu’au contraire, c’est la France qui nous fait “mal vivre” tout cela. La seule chose que l’on vit mal, c’est le fait que nos parents doivent constamment passer leur temps à se battre pour faire officialiser nos papiers en France.»

«Ce n’est pas à des inconnus qui n’ont aucune gêne à faire défiler leurs enfants avec des codes-barres sur la tête de juger qui est une famille et qui ne l’est pas.»

Valentina Mennesson

Valentina et sa sœur éprouvent également beaucoup de ressentiment à l’égard des groupes militants anti-GPA, comme La Manif pour Tous. Dans le chapitre qui lui est dédié, Fiorella n’hésite pas à utiliser des mots durs à l’encontre du mouvement: «S’il y a des monstres dans l’histoire, ce sont ceux qui se sont attaqués à notre famille, à chaque famille ayant eu recours à la GPA, pour la simple idée que l’on détruirait un prétendu modèle familial. […] C’est toujours très facile de venir fouiller dans la vie des autres et de faire la morale à qui veut bien l’entendre, mais moi, je ne veux pas de cette morale à deux sous qui, en plus d’être indécente, se trouve à des kilomètres de la réalité. Ce n’est pas à des inconnus qui n’ont aucune gêne à faire défiler leurs enfants avec des codes-barres sur la tête de juger qui est une famille et qui ne l’est pas, qui est parent et qui ne l’est pas.»

En fin de compte, ce livre écrit par Valentina Mennesson est un véritable pavé dans la mare. Le style est simple, le propos clair. Tantôt extrêmement touchante lorsqu’elle évoque la relation avec ses parents ou les nombreuses visites chez la famille de sa femme porteuse, Valentina démontre aussi une parfaite connaissance de cette technique d’AMP complexe qu’est la GPA et n’hésite pas à revendiquer avec force et courage le droit de vivre sa vie de jeune femme sans qu’on la ramène sans cesse à ses origines, avec lesquelles elle vit en paix.

Il y aura un avant et un après Moi, Valentina, née par GPA dans le débat sur cette technique reproductive tant décriée. Finie l’époque où l'on pouvait impunément fantasmer des conséquences psychologiques terribles pour les enfants nés par GPA: ces enfants sont désormais de jeunes adultes équilibrés, qui se battent pour leurs droits.

Gageons que le formidable témoignage de Valentina contribuera à rassurer la population sur la nature réelle de la GPA et à faire inclure dans la révision des lois de bioéthique de cette année une pleine et complète reconnaissance des enfants nés par GPA à l’étranger.

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