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She-Ra et ses copines infligent une bonne baffe féministe au monde des super-héros

«She-Ra et les princesses au pouvoir», diffusé sur Netflix depuis novembre 2018, met au goût du jour son ancêtre des années 1980, sororité et problématiques LGBT+ incluses.

Mermista, Bow et She-Ra | Capture écran via YouTube
Mermista, Bow et She-Ra | Capture écran via YouTube

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Dans le monde de She-Ra et les princesses au pouvoir, il y a une licorne qui parle, des princesses dotées de super-pouvoirs et des châteaux dans le ciel. Mais n’allez pas croire qu’il s’agisse d’une gentille histoire de princesses. Dans ce reboot du dessin animé culte des années 1980, les femmes sauvent le monde sans demander l’aide de personne.

Avant Sailor Moon, Princesse Starla et les Super Nanas, il y avait She-Ra, une héroïne dont la mission était de sauver la planète Etheria des mains du méchant Hordak. Vous l’avez oubliée? On ne vous en voudra pas. En France, She-Ra, la princesse du pouvoir n’a été diffusé que de 1985 à 1986 sur Antenne 2.

Ce dessin animé était un spin-off des Maîtres de l’Univers, une série créée pour donner vie à la figurine d'action star de Mattel, Musclor –He-Man en version originale. Face au succès de Musclor chez les filles, Mattel décida de lancer She-Ra. Bien moins musclée que l’espèce de Schwarzenegger blond testostéroné qu’était Musclor, elle n’était pas moins puissante que lui. Les enfants avaient enfin une super-héroïne aussi forte que glamour, aussi indépendante que sympathique. Les figurines se vendaient à la pelle, le dessin animé cartonnait.

Faute à une concurrence sévère et à une mauvaise stratégie de Mattel, les ventes des figurines chutèrent après 1986 et les deux dessins animés furent arrêtés. Mais She-Ra survécut, tout du moins dans la culture nord-américaine. La série devient culte, notamment auprès des lesbiennes. À tel point que trente ans plus tard, alors que des films comme Wonder Woman et Black Panther battent des records, Netflix a décidé de relancer la série avec Dreamworks. Loin de décevoir les fans, le dessin animé, désormais appelé She-Ra et les princesses au pouvoir, est encore plus magique et féministe que son ancêtre.

Féminin pluriel

Dans cette version post-MeToo sortie le 13 novembre, Adora, qui est à She-Ra ce que Clark Kent est à Superman, n’a plus besoin de Musclor. L’orpheline élevée par la Horde maléfique découvre une épée magique dans une forêt enchantée. Elle réalise alors qu’elle a été choisie pour devenir la princesse guerrière mythique She-Ra et sauver les peuples d’Etheria des terribles destructions que la Horde leur impose. Ni une, ni deux, Adora rejoint la Grande rébellion, menée par une union de princesses. Ne vous méprenez pas, ce reboot n’est pas réservé aux enfants.

L’univers visuel fait écho à ceux de Miyazaki et Moebius: il y a des nuages, des chutes d’eau, des éclipses et beaucoup de pastels. She-Ra et les princesses au pouvoir réussi à rappeler l’esthétique du dessin animé des années 1980 tout en offrant un univers visuel poétique et moderne. Ce qui rend la série si captivante, c’est justement sa modernité: son univers féministe, son analyse de la masculinité, son approche de la diversité et la complexité des sentiments de ses personnages, essentiellement adolescents.

Fini She-Ra, la princesse du pouvoir, la série se conjugue désormais au pluriel. Comme son nom l’indique, She-Ra et les princesses au pouvoir met en avant un gang de princesses. Parfaitement dans l’air du temps, la série met à l’honneur la diversité et la sororité. Aussi différentes dans leur pouvoir, leur personnalité que leur apparence, les princesses font penser à une fusion réussie entre les Spice Girls et les héroïnes de Black Panther.

Il y a Adora, une jeune femme châtain clair musclée et plein de doutes qui peut se transformer en She-Ra; Glimmer, une tête brûlée dodue à la coupe courte et rose qui peut se téléporter; Frosta, une pré-adolescente sérieuse à l’apparence inuite qui contrôle la glace; Entrapta, une savante folle aux longs cheveux violets qui peut tout bricoler mais à du mal à comprendre le monde qui l’entoure; Perfuma, une blonde svelte hippie qui fait pousser des plantes et des fleurs; Mermista, une sirène blasée aux cheveux bleus qui contrôle l’eau –pour ne citer qu’elles.

Côté méchants, enfin méchantes, la diversité est aussi de mise avec Catra, la femme-chat maline, Scorpia, la géante à la coupe butch en manque d’amour, et Shadow Weaver, la sorcière obsédée de pouvoir.

Les jeunes filles à la recherche de modèles féminins ont ainsi l’embarras du choix. Elles pourront aussi trouver toute l’inspiration dont elles ont besoin pour s’imaginer devenir dirigeantes. Noelle Stevenson, la créatrice de ce reboot, a réalisé le rêve de nombreuses féministes: créer un matriarcat.

Masculinité en question

À l’issue des treize premiers épisodes, le fonctionnement politique d’Etheria est encore mystérieux. Pourquoi les royaumes sont-ils représentés par des princesses, sauf Bright Moon, qui est représenté par la mère de Glimmer? Si elles ont hérité de leur royaume, ne devraient-elles pas devenir reines? D’ailleurs, pourquoi toutes les princesses semblent-elles avoir le même âge? Y a-t-il des rois? Où sont les princes? Il faudra attendre la sortie des prochains épisodes pour avoir un début de réponse.

L’organisation de la Horde maléfique est quant à elle beaucoup plus claire. Elle est dirigée par un homme, Hordak. S’il est le cerveau derrière le plan de destruction de la planète, ce sont ses guerrières Shadow Weaver et Catra qui sont responsables de le mettre à exécution.

On voit donc deux types de gouvernement: l’un aux valeurs dites masculines, qui recherche le pouvoir et a un style de management agressif et oppressant, l’autre féminin, qui recherche l’harmonie entre les éléments et a un style collaboratif et respectueux.

Les hommes n’ont pas disparu, mais ils prennent la place qu’ont d’habitude les personnages féminins: minoritaires et secondaires. Ils deviennent ces sidekicks rigolos au service des personnages principaux.

Il y a Bow, qui se plie en quatre pour Glimmer et fait l’objet des attentions de Perfuma. Et puis il y a Faucon des Mers, un mélange entre Han Solo et Jack Sparrow. «Je suis le seul et unique Faucon des Mers. [...] J’ai déjà relevé le défi du Vent hurlant en cinquante cliques en moins de vingt cliques, j’ai manœuvré au travers du détroit de Serpentine sans faire la moindre éraflure sur la proue de mon navire, mes chants de marin sont considérés si envoûtants que les sirènes elles-mêmes se jettent à l’eau en l’entendant, et [...] ma moustache est naturellement brillante», dit-il lorsqu’il fait la rencontre d’Adora, Glimmer et Bow dans un bar rappellant la cantina de Star Wars. Mais ce Han Solo des mers imbu de lui-même et dragueur sera loin d’avoir le même succès auprès de la gente féminine qu’Han Solo.

Comme le cas de Poe Dameron l’a prouvé dans Star Wars, épisode VIII: Les Derniers Jedi, ce type de personnalité n’est plus à la mode. Les dirigeantes de la Confédération ne veulent plus de décisions qui conduisent à des pertes inutiles, les princesses d’Etheria non plus. Comme celle de Poe, l’attitude de Faucon est vue comme charmante et amusante, mais contre-productive –il n’y a bien que Bow pour être impressionné par la grandiloquence de Faucon.

Noelle Stevenson pousse la critique de ce type de masculinité encore plus loin que l’équipe de Star Wars, en présentant Faucon comme une épine au pied. En dépit de son esbroufe, il n’est ni très compétent, ni très courageux, et les princesses font continuellement son travail mieux que lui. Quant à ses flatteries, elles sont plus pathétiques qu’efficaces. La supériorité professionnelle et physique des hommes est mise à mal, et les comportements dits masculins sont remis en question.

Hymne à la diversité

Ce qu’il y a de beau avec ces deux personnages masculins, c’est l’acceptation de leur féminité. Faucon chante, danse et prend soin de son apparence; Bow est responsable et précautionneux et il porte un crop top avec un gros coeur rouge. Ils ont l’air tout à fait en paix avec leur féminité et leur masculinité.

Quant aux adolescentes, elles ne semblent pas avoir reçu le mémo sur l’injonction à une féminité normée. Glimmer refuse d’être sage, Adora se fiche de son apparence, Mermista ne sourit pas, Frosta n’est pas là pour plaire à ses sujets. Contrairement aux super-héroïnes d'antan, les princesses ne sont pas là pour être sexy, mais pour se battre.

Finis les corps de mannequin, les princesses mettent en beauté des corps féminins réalistes et variés; finies les tenues échancrées, les princesses portent des habits de combat. Et quand elles se rendent à un bal, elles sont loin de ressembler aux princesses Disney: Glimmer continue de porter ses bottines, Catra porte un costume –et Bow, comme toujours, se dandine le ventre à l’air.

Avec She-Ra et les princesses au pouvoir, Noelle Stevenson ne fait pas qu’inventer un monde débarrassé de la normativité des genres, elle se prépare à ce qu'il devienne un dessin animé précurseur dans la visibilité des personnes LGBT+.

Les fans lesbiennes vont être ravies. Dans la version originale, elles devaient se contenter de spéculer sur l’amitié entre Spinarella et Netossa, deux princesses qui n’ont eu eu que quelques lignes dans les premiers épisodes. Dans la version 2018, leur relation est bien plus évidente: Spinarella appelle Netossa «chérie», et les deux se font un câlin qui ne laisse plus de doute.

L’autre relation qui faisait parler les fans originales était celle entre Adora et Catra. L'ambiguïté de leurs sentiments est toujours là dans ce reboot. Elle culmine lors du bal, lorsque Catra, en costard, fait danser Adora.

La créatrice Noelle Stevenson, elle-même queer, veut aller encore plus loin. Perfuma serait bisexuelle selon certains médias, Bow serait amoureux de Faucon et les parents de Bow, qui feront leur apparition dans la deuxième saison, seront deux pères, comme cela a été révélé lors du New York Comic Con. Noelle Stevenson a tenu à affirmer qu'ils auraient un rôle important dans deux épisodes.

She-Ra et les princesses au pouvoir propose un portrait subtile des genres et des orientations sexuelles en inventant un monde utopique et des personnages divers dans lequel chaque enfant peut se reconnaître. Les scénaristes –toutes des femmes– réussissent à remettre en question les normes et les contraintes du monde réel avec des petits détails, et font du politique de façon poétique.

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