Santé / Sciences

On nous aurait menti sur la crise de la quarantaine

Les perturbations liées à l'approche de l'âge mûr sont beaucoup plus positives que la société veut nous le faire croire.

L'humeur chute à la quarantaine mais c'est la période la plus constructive de la vie, estime-t-on après coup. | Javier Garcia / Unsplash <a href="https://unsplash.com/photos/76YSjGsK-4c">License by</a>
L'humeur chute à la quarantaine mais c'est la période la plus constructive de la vie, estime-t-on après coup. | Javier Garcia / Unsplash License by

Temps de lecture: 6 minutes

L’âge mûr est souvent considéré comme le pivot de l’existence. Une fois la colline gravie, la vue sur l’autre versant est déconcertante… Pour citer Victor Hugo: «Quarante ans, c’est la vieillesse de la jeunesse, mais cinquante ans, c’est la jeunesse de la vieillesse».

L’idée qu’une sombre nuit s’abat sur l’âme des adultes qui atteignent 40 ans –ou que ceux-ci cherchent à lui échapper, leurs implants capillaires flottant au vent de leur cabriolet– est profondément ancrée dans les esprits. Les études montrent que la grande majorité des personnes interrogées croient en la réalité de ce que l’on appelle la «crise de la quarantaine», et que près de la moitié des adultes de plus de 50 ans affirment en avoir vécu une. Mais la crise de la quarantaine existe-t-elle vraiment?

L’âge mûr peut perturber certaines et certains mais il n'existe pas suffisamment de preuves pour étayer la théorie selon laquelle qu'il s'agirait d'une période de crise et de découragement généralisée.

Des preuves solides accréditent l’idée que le degré de satisfaction à l’égard de la vie décline vers la quarantaine. Les enquêtes de population révèlent que les femmes et les hommes d’âge moyen sont les moins satisfaits de leur vie. Selon l’enquête australienne HILDA, c’est à 45 ans que la satisfaction est la plus faible. L’Australian Bureau of Statistics désigne la tranche d’âge des 45-54 ans comme la plus morose.

L’âge mûr peut perturber certaines et certains mais il n'existe pas suffisamment de preuves pour étayer la théorie selon laquelle qu'il s'agirait d'une période de crise et de découragement généralisée. Psychologiquement parlant, les choses ont au contraire tendance à s’améliorer. Il est compréhensible d'observer chez les personnes qui abordent ce cap un petit décrochage dans la manière d'évaluer leur sort –même quand ce dernier n’est, objectivement, pas pire qu’avant. À cette période de la vie, notre attention se déplace du temps écoulé à celui qui nous reste, ce qui requiert un processus d’ajustement. 

Pas une, mais plusieurs crises étalées dans le temps

De toute évidence, il y a de nombreuses raisons d’être insatisfait de la vie lorsqu’on arrive à mi-parcours. Mais ce constat rend-il la crise de la quarantaine réelle, ou bien celle-ci n’est-elle rien de plus qu’une idée toute faite quoique séduisante? Il existe de bonnes raisons de se montrer sceptique.

D’une part, il est assez difficile de décider à quel moment la crise de la quarantaine est censée survenir. Le concept d’âge mûr est plutôt élastique et change au fur et à mesure que l’on avance en âge. Une étude a révélé que les jeunes adultes pensent qu’il s’étend du début de la trentaine à 50 ans, alors que les adultes de plus de 60 ans considèrent qu’il va de la fin de la trentaine au milieu de la cinquantaine.

Un tiers des septuagénaires interviewés dans le cadre d’une étude américaine se définissent comme étant d’âge mûr. Cette recherche corrobore d’autres travaux, qui ont révélé que les personnes d’âge mûr ont tendance à se sentir une décennie plus jeune que l’âge que leur attribue leur certificat de naissance.

Quelle que soit notre définition de la quarantaine, les crises se concentrent-elles pendant cette période en particulier? Une autre étude suggère que non. Elle indique plutôt que les crises autodéclarées deviennent de plus en plus courantes à mesure que nous vieillissons. Parmi les participantes et les participants à cette étude dont l’âge se situait dans la vingtaine, 44% ont signalé avoir vécu une telle crise, contre 49% de ceux dans la trentaine et 53% de ceux dans la quarantaine.

Dans une autre étude, plus la population interrogée se composait de personnes âgées, plus elles déclaraient que leur crise de la quarantaine s’était produite tard. Les personnes âgées de plus de 60 ans se rappelaient avoir vécu la leur à 53 ans, alors que celles dans la quarantaine situaient l’événement à leurs 38 ans.

On pourrait donc considérer qu’il n’existe pas de crise de la quarantaine clairement identifiée. Il s’agit plutôt de crises qui surviennent aux environs de la quarantaine mais qui auraient pu se produire avant ou après.

Une insatisfaction qui touche aussi les primates

Le psychanalyste Elliot Jaques, qui a inventé le terme «crise de la quarantaine» en 1965, pensait qu’il reflétait l'aurore de la prise de conscience de sa propre mortalité. «La mort […] écrivait-il, n’est plus une idée en général, ou la perte de quelqu’un d’autre; elle devient une affaire personnelle […].»

Le principal accomplissement de l’âge mûr, selon Jaques, est de dépasser l’idéalisme juvénile. Il nomme ces nouveaux états qui attendent tout quadra «pessimisme contemplatif» et «résignation constructive». Jaques soutient que la quarantaine se définit  comme telle quand nous atteignons la maturité en surmontant notre déni de la mort et de la destructibilité humaine.

Carl Jung soutenait, lui, que la quarantaine était une période où des aspects de la psyché qui étaient auparavant supprimés pouvaient être intégrés. Les hommes pouvaient récupérer leur part féminine inconsciente, ou anima, précédemment enfouie durant leur jeunesse, quand les femmes peuvent s’éveiller à leur contraire caché, l’animus. Des explications plus prosaïques ont aussi été avancées pour expliquer l’insatisfaction liée à la quarantaine. C’est le moment où les enfants quittent la maison familiale et où les adultes de la «génération sandwich» doivent à la fois s’occuper de leur progéniture et de leurs parents âgés. Les maladies chroniques font souvent leur première apparition et le nombre de décès augmente dans l'entourage. C’est aussi la période où les exigences professionnelles peuvent atteindre des sommets. Mais il existe peut-être aussi des raisons plus fondamentales, plus biologiques. Les angoisses existentielles, le syndrome du nid vide ou le stress professionnel ne semblent pas faire partie du répertoire des peurs observées chez les chimpanzés et les orangs-outans. Pourtant, arrivés en milieu de vie, ils expérimentent la même diminution de bien-être que leurs cousins humains.

Une étude a en effet révélé que les chimpanzés dans la fin de la vingtaine et les orangs-outans au milieu de la trentaine étaient de moins bonne humeur que les autres, tiraient moins de satisfaction de leurs activités sociales et étaient les moins aptes à atteindre leurs objectifs. Les chercheurs ont émis l’hypothèse que cette tendance pourrait refléter des changements liés à l’âge survenant au niveau des structures cérébrales associées au bien-être –lesquels seraient partagés par toutes les espèces de primates.

Une période de la vie propice à l'empathie

Ces crises de l’âge mûr ne seraient pas forcément inhérentes aux épreuves traversées. Souvent les recherches échouent à mettre en évidence un lien clair entre ces crises et les divers coups du sort qui ont pu survenir.

Une étude a révélé que le fait de déclarer avoir vécu une crise de la quarantaine n’était pas lié au fait d’avoir récemment subi un divorce, une perte d’emploi ou le décès d’un être cher, mais était plutôt lié au fait d’avoir des antécédents de dépression.

Les résultats scientifiques battent aussi en brèche l’idée que l’âge mûr est une période de morosité psychologique. Malgré une courbe de satisfaction à l’égard de la vie en forme de U, la plupart des changements qui se produisent au cours de la quarantaine sont positifs.

Pensez, par exemple, à la façon dont change la personnalité. Une étude longitudinale, qui a suivi des milliers d’Américaines et d'Américains âgés de 41 à 50 ans, a révélé qu’à mesure qu’ils avançaient en âge, ils devenaient moins névrosés et moins complexés. Ces changements de personnalité n’étaient pas liés aux difficultés expérimentées au cours de la vie adulte: la norme était en effet la résilience, et non la crise.

Une autre étude qui a suivi un échantillon composé de femmes âgées de 43 à 52 ans a montré qu’à mesure qu’elles vieillissaient, elles avaient tendance à devenir moins dépendantes, moins critiques envers elles-mêmes, plus confiantes, plus responsables et plus déterminées. Aucun lien entre ces changements et la ménopause ou le syndrome du nid vide n’a été mis en évidence.

Lorsqu’on leur demande quelle est leur phase de vie préférée, les personnes âgées désignent le milieu de l’âge adulte.

D’autres recherches racontent la même histoire. En général, les changements psychologiques qui surviennent durant la quarantaine sont positifs. La personnalité devient plus stable et plus tolérante vis-à-vis d’elle-même, tandis que le niveau d’émotion positive augmente graduellement, en moyenne, durant toute la durée de l’existence.

Même les crises de la quarantaine autodéclarées peuvent avoir un côté positif. Une étude a ainsi montré que plus les gens rapportaient avoir vécu de crises, plus ils faisaient preuve d'empathie envers les autres. Il n’est dès lors peut-être pas si surprenant de constater que, lorsqu’on leur demande quelle est leur phase de vie préférée, les personnes âgées désignent le milieu de l’âge adulte.

Le défi? Quitter l’âge mûr en ayant retrouvé sa satisfaction à l’égard de la vie, comme c’est le cas pour la majorité des gens. Le mot de la fin revient à Victor Hugo, qui encore une fois l'exprime très bien: «Quand la grâce se mêle aux rides, elle est adorable.»The Conversation

 

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

cover
-
/
cover

Liste de lecture