Culture

«Le ciel, les oiseaux et... ta mère!», quand la banlieue faisait salle comble

Il y a 20 ans, l’histoire de quatre banlieusards en vacances à Biarritz a donné naissance à la «comédie de banlieue» et proposé une image positive des cités françaises.

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Ringard pour certains. Vulgaire pour d’autres. Débile pour beaucoup. À sa sortie, Le ciel, les oiseaux et… ta mère! ne fait pas vraiment l’unanimité auprès de la critique française. Les Inrocks y voient «un goût plus prononcé pour l'étude de l'homme considéré comme produit de son environnement social que pour l'art cinématographique». Le Monde parle quant à lui d'«absence de scénario cohérent», d'une «image laide», de «la résurgence de formes cinématographies que l'on croyait enterrées» et d'«acteurs laissés à eux-mêmes». Pourtant, s’il y a bien une chose que l’on ne peut nier c’est son impact auprès de toute une génération –la mienne, celle qui est née à la fin des années 1980, celle que certaines et certains bien-pensants à chemise blanche ont fini par nommer Black-Blanc-Beur.

Le 20 janvier 1999, Le ciel, les oiseaux et… ta mère! débarque en effet sur les écrans dans un contexte favorable: grâce à deux coups de tête prodigieux, Zidane vient d’offrir aux Bleus sa première Coupe du monde, H rencontre depuis quelques semaines un franc succès sur Canal +, le rap français connaît ses premiers grands succès populaires (incarnés à l’époque par «Les Princes de la ville» de 113) et la France entière semble baignée dans des idéaux multiculturels. Au cinéma, même constat: La Haine, Ma 6-T va crack-er ou encore Raï ont permis à la banlieue de se faire une place sur grand écran.

«À l’époque, il y avait une révolution artistique de la jeunesse des banlieues, valide Julien Courbey, interprète de Mike le reurti. Après des années à regarder des films bourrés de clichés sur le sujet, les choses se faisaient alors différemment. Il y avait une effervescence artistique à tous les niveaux, et on a fait partie de cette mouvance.»

L'invention d'un genre

Contrairement aux œuvres précitées, Le ciel, les oiseaux et… ta mère! opte pour l’humour. Dans l’histoire du cinéma français, c’est probablement la première fois qu’un film peut être étiqueté «comédie de banlieue», sans accumuler pour autant les clichés perceptibles dans d’autres longs métrages, types Les Kaïra ou Pattaya. Ici, les quatre personnages principaux ne sont ni des demeurés incapables d’aligner trois mots sans prendre un accent «caillera», ni des voyous qui dealent en bas des blocks et ambitionnent de s’en sortir par le braquage, la violence ou tout autre forme d’économie alternative.

Youssef, Stéphane, Christophe et Mike (incarnés à l’écran par Jamel Debbouze, Stéphane Soo Mongo, Lorànt Deutsch et, donc, Julien Courbey) sont à l’inverse quatre jeunes hommes qui débordent d’idées (on rappelle qu’ils ont gagné un séjour en terres basques grâce à un court métrage et qu’ils souhaitent créer le Pacifique Palissade, le premier bar musical sans alcool, et rêvent simplement de partir en vacances au soleil. Avec tout ce que cela suppose, comme le résume le personnage de Christophe au début du film: «Plage, meuf, baise. Baise, meuf, plage.»

Des gars normaux, à en croire Nicolas Vannier, producteur du film: «Lorsque Djamel Bensalah est venu aux bureaux de notre société, Orly Films, on a tout de suite été marqué par son discours. Il en avait assez de voir la jeunesse de banlieue représentée de façon négative au cinéma et voulait prouver que celle-ci avait les mêmes préoccupations et les mêmes envies que les jeunes de Neuilly-sur-Seine ou autres quartiers aisés».

Lorànt Deutsch, Julien Courbey et Jamel Debbouze | Allociné

Cinéaste éminemment à l’écoute de son époque, qui ne cesse de travailler la question de la communauté et des stéréotypes qui la fondent, Djamel Bensalah fait tout ici pour émettre des valeurs positives, donner l’image d’une France qui accepte d’entrevoir (avant de se raviser en 2002…) la jeunesse des banlieues autrement que comme de petites frappes racailleuses.

«Même s’il aborde régulièrement, sur le ton de l’humour, la question de la lutte des classes ou du racisme, Djamel a toujours voulu faire des films universels, précise Stéphane Soo Mongo. Ne s’adresser qu’aux banlieusards ne l’intéresse pas. Et ses autres succès, comme Neuilly sa mère!, le prouvent bien!».

En banlieue, les hommes aussi ont du cœur

Personnellement, c'est ce qui m'a toujours frappé dans Le ciel, les oiseaux et... ta mère!: cette parfaite représentation d'une jeunesse issue des classes les moins aisées de France, qui souhaite quitter Paris, partir en vacances et draguer les filles, mais qui se rend vite compte qu'elle n'a pas l'argent pour assurer ce mode de vie. Le séjour festif devient alors une ode à la débrouille, avec ces longs moments d’ennuis sur la plage, ces soirées passées sur le canapé d'une boîte de nuit faute de pouvoir payer des tournées et ces courses que l’on rationne par manque de budget.

Dans le film, ces situations sont parfaitement illustrées et systématiquement accompagnées par des répliques qui claquent comme des punchlines («Si tu ne regardes pas vers le ciel, ton cœur ne pourra entrevoir le bonheur», ironise Youssef), par une gouaille et des looks très français («Avec notre argot et nos habits, survets-baskets ou polo-jeans, on ne pouvait pas faire plus français», confirme même Julien Courbey) et par une volonté très nette de se démarquer des comédies populaires de l’époque.

Jamel Debbouze et Lorànt Deutsch | Allociné

Une scène illustre cette ambition mieux qu’aucune autre. De retour de la plage, les quatre potes se rendent au cinéma et hésitent entre plusieurs films. Jurassic Park et Copland sont mentionnés. En vain. Quand Youssef suggère Le Plus beau métier du monde avec Gérard Depardieu, la réplique de Mike se veut cinglante: «Eh, mais t'es relou Youssef avec tes films de céfran! Tu crois quand même pas que j’vais lâcher quatre keuss pour un film de merde, où la seule action qu'il y aura, c'est la claque que Georgette va mettre à Raymond!».

On comprend alors, en sous-texte, que Le ciel, les oiseaux et… ta mère! souhaite se démarquer des comédies françaises, celles qui se veulent bien-pensantes comme celles qui, selon Stéphane Soo Mongo, ont tendance «à se regarder le nombril».

«Il faut reconnaître que ces films avaient souvent tendance à être tournés dans le XVIe arrondissement parisien. Il y avait beaucoup de silence et ça pouvait paraître ennuyeux pour la jeunesse que nous symbolisions dans Le ciel... Donc là, je pense que c’était un moyen pour Djamel Bensalah d’envoyer une petite pique, gentille et marrante, au cinéma français.»

À entendre l’acteur, vu depuis dans Section de recherches et Au service de la France, c’est toutefois cet aspect «banlieusard» qui aurait empêché Le ciel, les oiseaux et…ta mère! d’être apprécié par la critique: «À l’époque, j’ai l’impression que les journalistes venaient d’une même caste sociale, qu’ils avaient grandi loin des quartiers populaires et que, de fait, ils n’adhéraient pas à 100% à ces scènes qui cassent les codes de la bourgeoisie.»

De son côté, Nicolas Vannier se souvient s’être réjoui de lire de mauvaises critiques dans des journaux comme Libération. «Ça voulait dire que l’on ne plaisait pas aux intellectuels, ces ayatollahs de la critique, et que l’on avait donc possiblement produit une œuvre populaire. Les audiences l’ont prouvé: avec 1.280.000 entrées, on tenait là un vrai premier succès.»

Une histoire sans «happy end»

Ce n’était pourtant pas gagné. Dès sa sortie, plusieurs salles françaises tentent de déprogrammer le film, de peur que des jeunes viennent tout casser. À l’UGC de Bruxelles, c’est même pire: après les événements survenus lors de la diffusion de Ma 6-T va crack-er, le complexe refuse de programmer Le ciel, les oiseaux et…ta mère!. «Le propos du film est pourtant essentiellement positif», s’étonne encore le producteur.

«On pourrait même parler d’un film social», répond Stéphane Soo Mongo, qui précise en évoquant «cette volonté d’opposer les milieux sociaux (jeunes banlieusards contre filles aisées et surfeurs), de mélanger les origines (maghrébines, noires africaines, juives, hongroises) et d’aborder de front la question du racisme ou de l’antisémitisme».

Quelques semaines avant la sortie du film, l’équipe fait d’ailleurs le maximum pour véhiculer une image positive. Suivant les conseils d’une agence de pub, elle lance un concours et distribue des flyers dans les écoles pour inciter les étudiants à créer leur propre bande-annonce du Ciel, les oiseaux et… ta mère!. En jeu: une invitation sur le plateau de «Nulle part ailleurs» aux côtés de Jamel –ce qui n'est pas rien quand on sait que l’humoriste est alors en pleine ascension.

C’est aussi une façon pour les producteurs de faire un clin d’œil à la première scène du film, extraite de Y’a du foutage dans l’air, un court métrage où jouaient déjà la plupart des acteurs du Ciel… Dans cette scène, on voit Youssef, Stéphane et Christophe tourner leur propre film dans un parking, se prendre pour Spielberg et donner tout un tas de conseils d’acteurs à Mike, leur personnage principal. Avec tout ce que cette situation peut contenir d’insultes, de moqueries et d’instants de franches camaraderies.

En y réfléchissant je pense que si je revois ce film au moins une fois par an depuis sa sortie –ou presque–, c’est justement parce qu’il symbolise à la perfection, selon moi, ces liens qui unissent les potes. Ces piques –parfois méchantes, parfois maladroites mais toujours envoyées avec l’idée d’être drôles– que l’on peut s’échanger à longueur de journées, ces instants de confessions entre deux blagues et tous ces moments que l’on partage pour la première fois.

D’ailleurs, si Le ciel, les oiseaux et…ta mère! est une première pour toute l’équipe (premier film de Djamel Bensalah, premiers grands rôles pour les quatre acteurs principaux, premières apparitions d'Éric et Ramzy, etc.), c’est aussi –et c’est probablement l’un des passages les plus touchants–, l’histoire d’une dernière fois: celle de Youssef, Christophe, Stéphane et Mike qui finissent par se prendre la tête et s’envoyer tout un tas de reproches pour «des histoires de gonzesses».

En plus d’être l’une des premières comédies de banlieue en France, mais aussi d’être l’une des premières à s’accaparer les codes du buddy movie à l’américaine, Le ciel, les oiseaux et…ta mère! est donc également l’une des rares comédies à esquiver le piège du happy end. C’est là toute la force, l’intelligence et la puissance de ce film: laisser planer une atmosphère mélancolique et montrer, dans une ultime scène rythmée par l'éternel «Ach Adani» de Rachid Taha, des personnages qui se quittent l’air grave, le regard perdu dans le vague, conscients qu’une amitié vient peut-être de se déchirer.

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