France

Arnaud Montebourg, Audrey Pulvar et les franc-maçons

Pourquoi les news magazines révèlent-ils le nom des politiques franc-maçons et pas le nom de leurs conquêtes amoureuses?

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Grosse surprise en lisant la presse la semaine dernière : dans une brève publiée dans son numéro du 4 février, le news magazine Le Point rebondit sur une info publiée par la presse people et l'officialise en balançant un bruit de couloir. Le patron de Canal + aurait assuré à Audrey Pulvar son maintien à la présentation du 18/20 d'i>Télé tant que la personne avec qui elle est apparue en photo dans la presse people, Arnaud Montebourg, n'a pas de «responsabilité gouvernementale».

Jamais L'Express, Le Point, Le Nouvel Obs, Le Monde ou Libération ne révèlent les éventuelles histoires d'amour entre politiques et journalistes. Quand ces titres en parlent, c'est pour évoquer les suites judiciaires de telles révélations, comme l'avait déjà fait le même Point en reprenant une dépêche AFP sur son site internet. L'amourette est présentée au conditionnel et il est bien précisé qu'elle est balancée par un mag people. Histoire, en citant l'émetteur du message, de disqualifier ce message. Dans son avant-dernier numéro, Le Point a une tout autre démarche : en assurant que la direction de Canal + ne remettait pas en cause le poste d'Audrey Pulvar tant que Montebourg n'est pas au gouvernement, le journal établit l'information comme sûre et acquise.

Ces dernières années, c'est donc la presse people - ou à tendance people - qui s'est chargée du sale boulot en publiant révélations et photos volées de journalistes couchant avec des politiques, et en assumant les frais juridiques.

La love story entre Corentin Belgique* et Mallaury Gewurtzraminer*, respectivement chef de parti et journaliste politique en presse et télé ? Une information sortie à grands frais par la presse people. La belle histoire (depuis terminée) entre Francis Lebedouin* et Madeleine Bruckner*, respectivement ex-jeune pousse politique à mèche et présentatrice de JT ? Une information encore sortie par la presse people à grands frais. A tellement grands frais, d'ailleurs, que le journal qui l'avait publiée a dû fermer ses portes, financièrement exsangue. Un peu plus vieux mais tout aussi important, la relation entre Jean-Jacques Boideleau* et Bérénice Bloomberg*, respectivement, à l'époque, membre du gouvernement et présentatrice de JT ? Une info publiée par un news magazine à tendance people, Paris Match VSD (mais sans aucun questionnement sur le problème que cela peut poser). Quant à l'amourette entre un candidat à la présidentielle et une journaliste politique d'un grand quotidien, elle est l'exception qui confirme la règle : là, c'est France-Soir qui a sorti l'affaire, mais en précisant que la journaliste avait été mutée dans une autre rubrique. L'honneur de la profession était sauf.

La Cour de cassation justifie l'outing

Pourquoi, mais pourquoi, la presse en général - et les news magazines en particulier - fait tant l'impasse sur ce genre d'information ? Par corporatisme ? Grands dieux non ! Par respect du sacro saint droit à la vie privée, protégé par l'article 9 du code civil. Enfin ça, c'est la raison avancée. Car il est d'autres sujets à propos desquels les rédacteurs en chef sont beaucoup moins regardants sur la protection de l'intimité. Ces sujets qui, tous les six mois, font la couverture du Point, de L'Obs, de L'Express : les sujets où l'on oute les francs-maçons. Sport national, on y a droit très régulièrement et les journalistes justifient ce choix. Interviewée par la revue Médias dans son dernier numéro, Sophie Coignard, spécialiste du sujet au Point explique qu'elle n'est «pas du tout d'accord avec l'idée que l'appartenance à la franc-maçonnerie relève de la sphère de l'intimité de la vie privée. La Cour de cassation est d'ailleurs assez claire là dessus!». Un avis partagé par la justice, donc, et par François Koch, journaliste à L'Express : «J'approuve totalement sa position [de la Cour de cassation, NDLR] ! Elle a précisé, en 2005 et 2006, les deux éventualités dans lesquelles un journaliste peut révéler l'appartenance de quelqu'un à la franc-maçonnerie : s'il occupe des responsabilités importantes au niveau profane, notamment d'élu, ou s'il appartient à la hierarchie d'une obédience. Hormis ces deux cas, la règle reste que l'appartenance à la franc-maçonnerie est protégée par le droit au respect de la vie privée», décrypte-t-il pour le même magazine.

Juges et journalistes sont d'accord, on peut donc transgresser le droit au respect de la vie privée quand des aspects de cette vie privée peuvent influencer secrètement la vie publique, la vie de la cité... et quand cela concerne la franc-maçonnerie uniquement.

Car là, il semble y avoir collusion.

En revanche, quand des journalistes politiques influents couchent avec des responsables politiques influents, circulez, y a rien à voir... Les confidences en loges seraient-elles plus dangereuses que les confidences sur l'oreiller ?

Christophe Carron

* Les noms ont été modifiés

Image de une: Grand Orient de Périgueux, Flickr/CC By/epimetheus

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