Société

Ne croyez pas ce que racontent les émissions télé de rénovation de maison

Avec mon mari nous rêvions de rénover une maison pour la revendre. Plus jamais ça.

La couleur de la chambre des enfants sera finalement le cadet de vos soucis | Darkmoon 1968 via Pixabay CC <a href="https://pixabay.com/fr/brosse-couleur-bois-art-3207945/">License by</a>
La couleur de la chambre des enfants sera finalement le cadet de vos soucis | Darkmoon 1968 via Pixabay CC License by

Temps de lecture: 8 minutes

Au printemps 2016, mon mari et moi avons plongé la tête la première dans l’un des fantasmes les plus alléchants qu’un couple puisse caresser: nous avons acheté une maison à retaper dans le but de la revendre. À l’été suivant, nous étions enlisés dans les travaux jusqu’au cou. Je suivais la campagne électorale à la radio en peignant des plinthes à longueur de journée. Je regardais mon mari avec des yeux haineux, tout en poussant des hurlements dans ma tête.

«Mais tu en avais envie!», me rappelait-il alors.

Pourquoi avais-je eu envie de retaper une maison et de la revendre une fois rénovée? La vraie question c’est: qui n’en a pas envie? Plus de 80% d’Américains occupent des emplois sédentaires. La plupart ne le font pas par choix. La majorité n’ont même pas envie de travailler pour quelqu’un d’autre. De Flip or Flop à Fixer Upper, la surabondance d’émissions de transformation de maisons à la télé américaine se nourrit de notre fantasme selon lequel rénover une maison est une aventure permettant de s'échapper de la vie au bureau, de créer un beau foyer pour une famille méritante tout en faisant un bénéfice rondelet.

En tout cas, c’est ce que mon mari et moi étions assez naïfs pour croire, autrefois. Avocats condamnés à enchaîner des semaines de 100 heures, nous imaginions acheter un diamant brut, l’arranger nous-mêmes avant d’exposer de glorieuses photos avant/après. Nous rêvions démolition de cloisons à la masse, catharsis et accomplissement ostentatoire que ceux et celles qui passent leurs jours à se débattre au milieu de contentions à la Bleak House ne peuvent pas connaître. Mais surtout, nous fantasmions les moments sexy où nous trinquerions à la bière à la fin d’une bonne journée de démolition. Nous étions des avocats blindés de frustration et nous avions envie de casser du mur.

Mauvaises surprises en série

Mon mari savait déjà faire ça. C’est un bricoleur-né, et en jean-t-shirt et ceinture à outils, il est magnifique. J’étais tombée amoureuse de lui dès notre premier rencard, lorsqu’il avait promis de venir chez moi réparer mes fenêtres coulissantes qui ne cessaient de dérailler.

Nous étions tous deux les premiers avocats de notre famille et travaillions dans de grands cabinets. Moi, j’ai grandi dans l’Alabama rural et avant la fac de droit, mon mari a été métallurgiste en Australie, donc nous étions conscients qu’il existait de nombreuses manières différentes de gagner notre vie. Dont certaines avaient l’air plus marrantes que d’autres. Et rien n’avait l’air plus chouette –en tout cas avant que nous comprenions notre malheur– que de retaper une maison pour la revendre. Nous avons donc pris quelques audacieuses initiatives professionnelles et prévu trois mois pour réaliser ce projet.

Vous pouvez démolir un mur le mardi et retrouver un bout de décombres dans votre soupe le jeudi. C’est l’essence même de la démolition.

Nous devons avoir rejeté cinquante maisons avant de trouver notre chantier à rénover. Il s’agissait d’une bâtisse négligée, sur deux niveaux, posée dans un vieux quartier charmant. Sa pelouse était couverte de mauvaises herbes et de broussailles débordantes, la rambarde du porche avait disparu et la déco datait de 1972. Exactement ce qu’il nous faut, ai-je pensé. À l’intérieur, plusieurs murs non-porteurs suppliaient qu’on les démolisse. Cet endroit voulait être transformé en espace de vie ouvert. Nous avons donc puisé dans nos économies et trouvé le moyen de l’acheter, certains que nous amortirions notre investissement. Je me suis offert un short tout mignon et une casquette comme à la télé, et nous avons commencé à démolir.

Voici quelques-unes des choses dont je ne m’étais pas rendu compte, alors qu’elles auraient dû me sauter aux yeux. Démolir des murs, ça veut dire de la poussière partout. Sous les ongles, oui. Dans les yeux, évidemment. Mais aussi dans la voiture, dans les draps, dans l'ordinateur portable et aussi bien incrustée dans la fourrure de notre chihuahua à poils longs. Vous pouvez démolir un mur le mardi et retrouver un bout de décombres dans votre soupe le jeudi. C’est l’essence même de la démolition. Elle voyage avec vous. «Nuage de gravats», c’est le nom que la barista du Starbucks écrira sur votre gobelet.

Beaucoup découvriront, comme moi, qu’ils sont allergiques aux produits chimiques nocifs contenus dans les produits nettoyants, ou peut-être aux treize chats qui ont vécu autrefois dans la maison qu’ils sont en train de rénover. Pendant des semaines, je me suis baladée avec les yeux boursouflés et de longues marques rouges qui me grattaient partout sur le corps.

Mais les démangeaisons et les marques, ce n’était rien comparé au reste. Si vous avez déjà regardé une de ces émissions de rénovation de maisons, alors vous avez vu le Moment de Crise, où il s’avère que le budget prévu est insuffisant ou qu’on découvre de la moisissure dans le vide sanitaire entre les fondations et le sol. À ce moment-là, tout le monde est pendu à son portable pendant que la scène est passée légèrement au ralenti et que la bande son devient de plus en plus menaçante. Là, il y a une coupure pub, après quoi tout finit par être résolu. Avant de rénover une maison, je me disais: «La bonne blague. C'est bidon.»

Comme je me trompais. Il se trouve que c’est le reste de l’émission, là où tout se passe bien, qui est bidon. En vrai, rénover une baraque est un montage de moment de crises.

Plinthes et déprime

Lorsque nous sommes allés pour la première fois dans notre maison –après la signature– nous nous sommes rendu compte que nous n’avions pas fait suffisamment attention à celle d’à côté. De minuscules chauves-souris rousses voletaient en cercle autour de sa cheminée délabrée. Ça avait l’air tellement hanté que je m’attendais à moitié à voir des vautours voûtés me lorgner d’un œil noir. Son jardin était un aimant à épaves couvertes d’œuvres d’arts sexuellement explicites.

Puis il y a eu les serpents et les souris. Nous avons trouvé un écosystème parfaitement développé dans la cave de notre maison. Un jour, alors que nous soulevions le réfrigérateur, une vipère mocassin à tête cuivrée a jailli et glissé sur ma basket. J’ai hurlé, laissé tomber mon bout de frigo et dérapé en arrière en me cognant dans l’angle bien pointu du plan de travail. Nous avons cru que le serpent était une femelle pleine mais il s’est trouvé qu’en réalité, il était repu et que sa panse contenait une souris à peine ingérée. C'est ce que nous avons découvert alors que mon mari écrabouillait le serpent en l’incrustant dans notre magnifique mais discret sol en céramique fraîchement posé imitation bois.

Cave débarrassée de ses souris et de ses serpents. Des elfes maléfiques sont néanmoins tapis dans les coins. | S.L. Brown

Rénover une maison, c’est osciller sans cesse entre les extrêmes de la panique et de l’ennui. Rien n’est plus chiant que de peindre des plinthes. Ça pourrait être méditatif, mais en fait même pas. Vous rampez par terre, dans la poussière résiduelle, pendant que votre niveau d’agacement monte en flèche. Côté réflexion, pas grand-chose à quoi penser à part au triste état du monde et si la maison va se vendre et ce que vous avez fait de votre vie, exactement. Les fantômes de toutes les mauvaises décisions que vous avez prises réapparaissent –chaque dollar gaspillé, chaque boulot que vous auriez dû accepter, chaque fois que vous avez préféré commander des frites à la place de la salade pour accompagner votre steak. En tout cas, c’est l’effet que le maniement du pinceau a eu sur moi. Tels de petits elfes maléfiques, mes regrets s’agglutinaient et ne me lâchaient plus des yeux.

Pendant ce temps, mon mari, qu’à ce stade je surnommais Monsieur Bricolage McSalopette, peignait des murs entiers dans une sérénité et une satisfaction parfaites, comme s’il était torché au shiraz à une soirée pinard-et-peinture. À l’occasion, il faisait une pause et me donnait quelques conseils sur la manière d’éviter de laisser des traces et des éclaboussures. «Il faut que tes coups de pinceau soient longs et réguliers» déclamait-il, parfaite incarnation d’un Bob Ross australien. Un jour, pour toute réponse, je lui ai rageusement repeint la jambe.

Un conseil: ne faites pas ça

Au bout de six mois de travail intermittent, nous avons fini par terminer le chantier. Nous nous sommes étreints dans la cuisine, jubilants de voir les derniers éléments trouver leur place: d’élégantes poignées de tiroirs et une lumière scintillante au-dessus de l’évier neuf et étincelant. Toute la maison était splendide. Tellement splendide qu’à côté, notre maison à nous paraissait immonde.

Nous avions prévu de faire une grande fête bien bruyante dans la maison une fois terminée mais au final, nous ne supportions plus que quiconque pose un pied sur les sols tout neufs sans avoir au préalable avancé des arrhes conséquentes. Quelques amis sont venus quand même, en chaussettes et en marchant sur des œufs, et ils étaient tellement dithyrambiques qu’on aurait pu croire que nous venions de lancer notre propre fusée lunaire. «Wow! Regardez-moi ce granit», disaient-ils.

Même cette magnifique cuisine ne valait pas autant d’efforts. | S.L. Brown

Tout ce à quoi j’arrivais à penser c’était aux plans de travail de notre maison à nous, qui sont fabriqués avec une matière industrielle conçue spécialement pour attirer les rayures.

«Regardez cette baignoire en marbre» s’émerveillaient-ils. «Et quelle superbe terrasse!»

Je pensais à notre baignoire, à la maison, moulée avec le même matériau que celui qui booste la prolifération des bactéries dans les boîtes de Pétri, et à notre patio en béton froid et humide.

Comme chacun sait après avoir regardé ces émissions, la phase finale, la plus critique de toute rénovation de maison en vue de la revendre, c’est la mise en scène. En fait, j’ai appris que c’était tellement important qu’on aurait pu y consacrer quasiment toute notre énergie et laisser les vieux équipements pourris où ils étaient. C’est un truc de dingue, mais il se trouve que les acheteurs n’entendent absolument pas les grincements du parquet lorsqu’ils traversent la pièce en pirouettant pour admirer un vase rempli de pivoines fraîches.

Compte tenu des mois de travail et du risque financier que nous avons pris, cela n’en valait pas la chandelle.

Savez-vous ce qu’il y a eu de plus bizarre? Les pivoines ont également fonctionné sur moi, alors même que je les avais mises là moi-même pour attirer les acheteurs. Une fois achevé, j’ai admiré notre fantasme commun sous sa forme concrète, tangible. Chaque élégant équipement et chaque arbuste judicieusement placé était une illustration de nos goûts personnels et de nos efforts. Il était devenu un symbole de notre ténacité et de notre ambition immobilière, et c’était dur de le laisser partir. «Nous ne pouvons pas la garder», disait mon mari. Je savais qu’il avait raison. Et puis il y avait les voisins, avec la cheminée et les vautours.

Alors nous l’avons vendue. Au prix que nous demandions, au centime près. En ayant réalisé une si grande partie des travaux nous-mêmes, nous avons fait un retour sur investissement raisonnable sans être démentiel. Pourtant, compte tenu des mois de travail et du risque financier que nous avons pris, cela n’en valait pas la chandelle. Tel un sous-marin qui plonge en-dessous de la zone de sécurité, chaque semaine de retard sur notre programme augmentait la pression de façon exponentielle. Après avoir dépassé les délais que nous nous étions impartis pour la rénovation, nous avons affronté angoisse et incertitude en nous demandant si nous allions pouvoir la vendre, et quand. On ne peut jamais être sûr que ça va marcher.

Quand les gens entendent que nous avons rénové et revendu une maison et qu’ils s’exclament: «J’ai toujours eu envie de faire ca!» nous leur répondons sans faillir: «Ne le faites pas. Ne vous infligez pas un truc pareil.» Parfois, il est plus sage de reconnaître qu’un fantasme doit rester un fantasme.

Cela fait deux ans maintenant et nous n’avons aucune envie de renouveler l’expérience. Et nous ne regardons plus ces émissions. Est-ce qu’une victime d’attaque de requin aurait l’idée de regarder tous les épisodes des Dents de la mer en boucle? Ce qui en est ressorti de mieux, c’est que nous avons appris à nous satisfaire de la maison que nous avons. Notre cuisine est toujours vieillotte, mais pour moi c’est une vieille copine, sans la moindre vipère ou elfe maléfique. Aucun plaisir tiré de la démolition d’un mur ne compensera jamais les tonnes de poussière et de chaos générées par la rénovation d’une cuisine. Et puis un vase de pivoines judicieusement placé peut masquer n’importe quoi.

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