Société

Refuser Noël, à l’heure actuelle, c’est quasiment faire sécession

Faire de Noël la fête du solstice me paraît une manière de réintroduire un sens plutôt qu’un hasard du calendrier.

On trouve la trace de Yule dans notre tradition de la bûche de Noël: on brûlait la plus grosse bûche le soir du solstice. | rawpixel via <a href="https://unsplash.com/photos/TzohECifvDw">Unsplash</a> <a href="https://unsplash.com/license">License by</a>
On trouve la trace de Yule dans notre tradition de la bûche de Noël: on brûlait la plus grosse bûche le soir du solstice. | rawpixel via Unsplash License by

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Ce n’est pas parce qu’après deux grossesses j’ai le périnée dans l’état d’un gant éponge abandonné trois semaines au fond d’une mare, que je n’ai pas envie d’être hype. C’est juste que ma hype a changé. Je suis à l’affût des nouvelles tendances parmi les gens qui ont procréé.

Je venais de subir un choc cognitif en comprenant que mon amour pour Noël, ma fête préférée, allait être difficile à concilier avec des impératifs écolos, et voilà que je découvre que certaines familles (françaises, que je suis sur des blogs ou des réseaux sociaux) n’ont pas seulement renoncé au sapin et au foie gras, elles ont carrément décidé de rayer Noël de leurs fêtes. Elles l’ont jeté à la poubelle. Moi qui en étais restée aux débats sur «Faut-il mentir aux enfants en parlant du père Noël?», je n’étais pas prête.

Mais alors, que font ces familles pendant Noël? Elles passent la soirée à classer leurs rognures d’ongles par taille décroissante? En réalité, elles n’ont pas vraiment éliminé Noël, elles l’ont déplacé. Elles ne fêtent pas Noël comme nous le connaissons le 25 décembre, elles célèbrent le solstice d’hiver avec la fête de Yule. Elles reviennent ainsi aux origines de Noël puisqu’avant la christianisation, les païens fêtaient le solstice d’hiver (fête qui chez les peuples germaniques s’appelait Yule, comme on avait les Saturnales chez les Romains). Si l’Église a choisi d’instaurer la fête de la nativité en décembre, c’était précisément pour qu’on arrête avec ces rituels païens –puisqu’en vrai, rien ne nous dit que Jésus n’est pas né le 1er avril ou le 15 novembre.

Réintroduire les cycles naturels dans nos vies

Mais qu’est-ce que c’est que Yule? C’est donc la fête du solstice d’hiver, soit le jour de l’année où la nuit est la plus longue. À partir du lendemain, on gagne chaque jour un peu plus de lumière, jusqu’au solstice d’été. Il s’agit fondamentalement d’une fête de la lumière, d’un moment où, au milieu de l’obscurité, le renouveau s’annonce déjà –mais de façon très discrète, puisque l’hiver calendaire commence à la même date.

On trouve la trace de cette fête de la lumière dans notre tradition de la bûche de Noël: on brûlait la plus grosse bûche le soir du solstice. Concrètement, pour Yule en 2018, on allume des bougies, on fait un feu, on va dans la nature récupérer des trucs pour faire une couronne. Et on peut se faire des cadeaux. Ça n’a pas l’air très différent de Noël (sauf que Yule est pratiqué par des gens qui vont privilégier des cadeaux qu’ils auront fabriqués eux-mêmes plutôt que JouéClub).

Pourtant, ce qui s’exprime avec Yule c’est un véritable refus, une manière de dire «nous n’approuvons pas le modèle de société dans lequel nous vivons». Parce qu’il y a évidemment en arrière-fond l’envie de réintroduire les cycles naturels dans nos vies –et la plupart de ces familles sont sensibles aux pédagogies alternatives comme Montessori ou Steiner. J’ai déjà raconté comment ma propre enfance avait été déconnectée d’éléments «naturels», je n’ai jamais pensé les fêtes qui égrènent notre calendrier comme des moments liés à la situation de notre planète dans le système solaire. Au mieux du mieux, j’avais vaguement l’idée de leur signification chrétienne.

L’articulation entre telle fête et le cycle des saisons ne se faisait pas dans ma tête –sans doute parce qu’on ne me l’avait pas expliquée. D’ailleurs, le phénomène même de saisons était un mystère pour moi. Je me souviens très bien que la leçon à l’école sur les solstices se résumait à des définitions (solstice d’hiver, solstice d’été, équinoxe de printemps, équinoxe d’automne) que je faisais entrer de force dans ma tête pour pouvoir les recracher par cœur le lendemain, les vomir sur ma copie, récupérer ma bonne note et passer à autre chose. Qu’il fasse plus ou moins chaud selon les mois et que la nuit dure plus ou moins longtemps restaient du domaine du surnaturel.

La Terre au solstice d'été | Idarvol via Wikimedia Commons License by

Pour être franche, afin de comprendre cette sombre histoire d’inclinaison des rayons du Soleil vers la Terre, il a fallu que la semaine dernière je prenne un globe terrestre et que je le bouge moi-même pour constater le bouzin. (Au passage, je suis donc en mesure de vous confirmer que les explications scientifiques sur les saisons et les solstices sont justes.) A priori, si une de mes maîtresses avait fait ça à l’école, mon cerveau aurait mieux imprimé.

Une célébration quasi religieuse

Autre exemple: c’était mon anniversaire parce que c’était le 22 janvier. Parce que j’étais née un 22 janvier. Et j’avais 15 ans parce que j’étais née quinze années avant. Voilà tout. J’avais 30 ans bien tassés le jour où j’ai compris ce qu’était une année (la Terre qui fait un tour complet autour du Soleil) et que donc, avoir 30 ans signifiait simplement que la Terre avait tourné trente fois autour du Soleil depuis ma naissance. Ça peut paraître sans importance mais dans ma tête, ça a été le blast.

Brusquement, des choses comme mon anniversaire, qui me paraissait abstrait et dont la seule matérialité était les cadeaux, prenaient un sens qui ordonnait le monde et me plaçait dedans. Suivant la même logique, faire de Noël la fête du solstice me paraît une manière de réintroduire un sens plutôt qu’un hasard du calendrier. D’ailleurs, mes enfants m’ont déjà demandé pourquoi Noël n’était pas en août. Avec le solstice, la réponse devient évidente. On peut même prendre un globe terrestre et montrer pourquoi en août, les nuits sont plus courtes.  

Mais soyons clairs: je n’imagine même pas la tête de ma famille, enfants inclus, si je leur dis qu’on ne fête plus Noël mais Yule. Cette difficulté explique sans doute que les familles qui fêtent le solstice le font plutôt avec des enfants plus grands, qui ont passé l’âge du père Noël, ou alors le célèbrent en petit comité (la famille au sens de celles et ceux qui habitent sous le même toit) et vont fêter Noël avec la famille élargie. Dans Harry Potter d’ailleurs, il y a, avant Noël, le bal de Yule.

 

 

 

D’autres familles décident de célébrer le solstice entre amies et amis, ou avec des inconnues et inconnus. Et puis, évidemment, c’est une célébration importante dans la wicca (néopaganisme dont se réclament nombre de sorcières modernes). Ce qui est intéressant avec le solstice d’hiver, c’est qu’on peut en faire une célébration quasi religieuse, avec chants, rituels, potions, incantations, mais également une fête de la compréhension scientifique, une espèce de Noël des rationnels.

Individualisme familial

Dans tous les cas, cela dénote d’une prise de liberté des familles. On ne se plie plus aux rites sociaux. On est même prêt à en rejeter l’héritage dans la mesure où réactiver d’anciens mythes, c’est déconstruire les strates de «culture» qui se sont juxtaposées jusqu’à aboutir à notre Noël actuel. On décide de ceux qu’on veut suivre, quitte à les inventer. Dans Sorcières, Mona Chollet cite Starhawk (qui pratique la wicca): «Faites quelque chose une fois, c’est une expérience. Faites-le deux fois, c’est une tradition». Elle écrit cela précisément après avoir raconté comment elle et ses amies ont créé leur propre rituel pour le solstice d’hiver (elles vont se baigner nues dans l’océan).

Je vois de plus en plus de familles qui imaginent leurs propres rites, et fêter Yule fait clairement partie de cette démarche. De même, les couples qui se marient sont de plus en plus nombreux à inventer leur cérémonie, plus ou moins païenne –ce qui est d’autant plus intéressant qu’il y a d’un côté l’envie de se conformer au jeu social en se mariant, et de l’autre celle de sauvegarder sa singularité à travers une personnalisation des rites. Mais refuser Noël, à l’heure actuelle, c’est quasiment faire sécession. (Les familles de confession juive ou musulmane qui ne fêtent pas Noël ne le refusent pas. Cela ne fait simplement pas partie de leurs traditions. Ici, je parle de personnes qui fêtaient Noël et qui ont arrêté.)

Ça me paraît être la marque d’une forme d’individualisme, «je fais mes propres choix y compris en matière de traditions» (ce qui peut sembler contradictoire avec l’idée même de tradition), mais cet individualisme s’exprime sous une forme plus complexe: la famille, valeur refuge. Il ne s’agit pas d’envoyer tout balader et de partir les poings dans les poches crevées, mais de se choisir une microstructure sociale, la famille, dans laquelle on réinvente ses règles sans tenir compte des traditions et des pressions de la macrostructure.

C’est une manière de faire sécession tout en restant dans la société. C’est encore une fois une transformation par le bas, par les gens dans leur vie quotidienne, exactement comme la démarche écologique actuelle –qui est évidemment en lien avec la résurgence de ces fêtes calées sur le rythme planétaire.

Je vous souhaite donc de joyeuses fêtes, un happy Yule et d’heureuses saturnales.

Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq.

 
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