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Avant d'offrir une console à votre enfant, réfléchissez au SAV éducatif que vous devrez fournir

Pour ne pas que le cadeau se révèle empoisonné.

Dans quoi vous lancez-vous? | Pawel Kadysz via Unsplash CC <a href="https://unsplash.com/photos/CuFYW1c97w8">License by</a>
Dans quoi vous lancez-vous? | Pawel Kadysz via Unsplash CC License by

Temps de lecture: 5 minutes

C’est Noël et au passage la grande fête de la consommation. Beaucoup d’enfants –mais aussi pas mal de parents– ont commandé des consoles, objets numériques et jeux vidéo. Ce dernier secteur est le premier de l’industrie culturelle en France et représente un loisir massivement pratiqué par des millions de personnes à travers le monde. Mais attention à ne pas se faire de cadeaux empoisonnés.

Une expérience-test sur Fortnite

Jimmy Kimmel, un présentateur télé américain, s’est fait une spécialité de demander aux parents de mettre en scène leurs enfants et de les filmer. Pour que ces vidéos soient drôles, il leur lance des défis. Par exemple, avait déjà demandé à des parents de filmer leurs gosses après leur avoir dit qu’ils avaient mangé tous les bonbons d’Halloween. Dans une nouvelle vidéo, les parents débranchent brutalement les consoles de gamins qui jouent à Fortnite…

Jimmy Kimmel semble être un sacré connard (pardon mais y a-t-il un autre mot pour qualifier quelqu’un qui demande à des parents de martyriser leur enfant?) Mais derrière la débilité et la méchanceté du projet, on décèle une belle interrogation sur la parentalité et la pédagogie. Y compris une pédagogie à destination, d’abord et surtout, des parents.

Ce qui est censé être drôle dans cette vidéo, ce sont les réactions des enfants: ils sont choqués, se montrent parfois violents. Précisons que Fortnite est un jeu en ligne qui regroupe virtuellement plusieurs joueurs sur un champ de bataille, dans lequel on ne peut pas appuyer sur «pause» et où chaque partie est unique; mettre un terme brutal à l'une d'entre elles revient donc à ruiner un moment de jeu. D'ailleurs, ce principe interroge puisqu'il rend les enfants particulièrement accros. La journaliste Sonia Devillers abordait ce point dans une récente chronique média sur France Inter:

«L’extraordinaire addiction que suscite Fortnite n’est pas due au hasard. Des spécialistes en psychologie cognitive ont travaillé avec les programmeurs d’Epic Game [l'éditeur du jeu, ndlr] pour faire en sorte que l’attention du joueur ne décroche jamais. Fortnite est un jeu gratuit. L’objectif n’est pas de faire que le consommateur l’achète une fois, mais de capter le plus de monde, le plus souvent et le plus longtemps possible en ligne pour qu’au cours d’une partie, on dégaine sa carte bleue et l’on acquiert les éléments payants du jeu.»

Soyons francs: aucun enfant ne réagirait bien si l'on s'attaquait à une activité qui lui a demandé de l'attention et de la concentration. Arracher un livre des mains, détruire une pile de Kapla, mélanger un Rubik's cube bien avancé ou envoyer valdinguer un plateau de jeu engendrerait sa colère et sa protestation. Si Jimmy Kimmel a choisi de faire de Fortnite l'objet de son défi, c'est –on le sent bien– pour se payer les jeux vidéo, ces loisirs idiots qui ne servent à rien. Mais l'animateur télé est lui-même un employé de la société du spectacle (la télévision). Finalement, il nous offre simplement de regarder l’enfer au carré de cette association entre la société de consommation et la société du spectacle (offrir une console + offrir l’image de son enfant aux yeux de millions d’inconnus). Dans l’expérience (controversée) de Milgram, les cobayes auraient préféré torturer plutôt que désobéir, dans l’expérience de Kimmel des parents maltraitent leur enfant pour le plaisir de répondre à ses ordres et de passer dans son émission télé. Personnellement ça me donne juste envie d’aller vivre dans une ZAD sans électricité, mais ce n’est pas le sujet.

L’expérience pose tout de même, sans le vouloir manifestement, une belle question éducative sur l’attitude des parents. Que dire d’un monde où on préfère fustiger des enfants pour des conduites dont les parents et des adultes sont responsables? Car qui produit les jeux, conçoit et fabrique les consoles, en fait la publicité, les vend et les achète? Le Père Noël peut-être?

Trop facile de rejeter la responsabilité sur les enfants

Jusqu’à nouvel ordre, aucun enfant ne possède de carte bleue ou un chéquier, ni ne s’achète tout seul écran, téléphone et autres tablettes. Aucun bambin ne décide lui-même de se faire baby-sitter par une télé ou un jeu vidéo. Et aucun n’a jamais installé de poste de télévision ou d'ordinateur dans sa chambre. Au mieux, un enfant dresse une liste au Père Noël. Celle-ci est ma préférée de tous les temps:

Pourtant, ce sont les enfants qui se font engueuler. Eux aussi qui sortent moins, dorment moins et qu’on envoie en cure de détox Fortnite (spoiler: il suffit de mettre la console de côté). Le coupable n’est pourtant jamais l’enfant, il faudrait plutôt se demander, nous les adultes, ce qu’on fait et pourquoi on achète tout cela. Ce n’est plus trop d’actualité mais ça devrait l’être: interroger notre rapport à la (sur)consommation. Quand j’étais petite on critiquait encore beaucoup Noël, et il y a toujours beaucoup à en dire. Pas seulement pour se demander si les jouets sont genrés, mais aussi pour se demander s’ils sont pertinents, ce qu'on va en faire, ce qu'ils vont apporter à nos enfants.

«Les parents disent “les enfants ne jouent plus” et revendent sur Le Bon Coin leurs Playmobil ou autres Lego. À la place, ils achètent une console»

Guillaume, directeur d’école élémentaire

Cette question touche beaucoup les éducateurs et éducatrices; elle revient dans de nombreux témoignages de profs comme celui de Guillaume*, professeur et directeur d’école élémentaire: «Les parents disent “les enfants ne jouent plus” et revendent sur Le Bon Coin leurs Playmobil ou autres Lego. À la place, ils achètent une console. Une collègue, maîtresse de CP, a constaté que la moitié de sa classe avait demandé un téléphone au Père Noël. Il y a une sorte de dématérialisation du jeu qui est dramatique à mon sens. J’ai fait un entretien cette semaine avec une maman au sujet de l’absentéisme de son enfant de 6 ans. Il fait semblant de s’endormir et joue à Fortnite jusque 3 heures du matin. Résultat: l'enfant n'est pas en état d’aller à l’école. Sans vouloir jouer les vieux c..., on va droit dans le mur!»

Guillaume confie que les enseignants et enseignantes se retrouvent à devoir expliquer certaines choses aux parents. «L’enfant à 6 ans. La maman me dit que le gamin est suivi par un pédiatre qui considère qu’il faut lui enlever la télé dans sa chambre, mais le mari ne veut pas. On a une génération dont les papas (le plus souvent) sont des gamers. Moi, en tant qu’enseignant, je ne sais pas jusqu’où aller dans le conseil aux parents. Je vois qu'ils ont vraiment besoin de recommandations, mais est-ce à nous de les donner? Est-ce de l’ingérence éducative? Mais si on ne le fait pas, qui le fera?»

Les questions à se poser... avant

Il est difficile de résister devant le rouleau compresseur des fêtes et des anniversaires, de défendre les besoins des enfants. Aucun gamin ne demandera du temps de sommeil à Noël, du temps à jouer dehors, du temps à passer avec ses parents. Tout ce qui ne s’achète pas ne représente aucun marché et donc personne n'en fera jamais la publicité.

Alors, on peut se moquer des enfants qui jouent trop et condamner les parents qui les laissent jouer, ces attitudes méprisantes ne sont que le reflet de la même paresse éducative. Réfléchissons individuellement, familialement, collectivement au coût plaisir/ énervement de tous ces objets –car cela vaut pour tous les jouets, y compris ceux qui font du bruit, sont inadaptés et les fameux écrans, encore plus pour Fortnite. Avant d’offrir une console, une tablette, un smartphone, réfléchissez: êtes-vous prêt à assurer le SAV éducatif de ce genre de cadeau? Serez-vous assez calme pour gérer le temps passé devant l’écran avec votre enfant? Savez-vous dire non? Allez-vous passer les prochaines années à vous plaindre de lui ou elle? Et surtout, avez-vous de bonnes cachettes pour planquer les consoles quand vous en avez marre?

Dans les reportages sur les «gilets jaunes», on a entendu des témoignages de gens qui vivaient très mal le fait de ne pas avoir les moyens de faire plaisir à leurs enfants. Cette idée du cadeau est devenue incontournable (plus personne n’ose parler de l’orange ni de la piécette à Noël). Mais les cadeaux sont-ils sacrés? Est-ce qu’on peut encore refuser d’acheter un truc qui va semez la zizanie? Est-ce qu'offrir sous conditions, c'est vraiment faire un cadeau? Faudrait-il organiser des campagnes de sensibilisation auprès des parents pendant les fêtes?

Cette idée que Noël est le jour où les enfants obtiennent tout ce qu’ils veulent (dans les familles qui ont les moyens) n’est-elle pas tout simplement l’arnaque éducative du siècle? Parents, il est urgent arrêter de s’emmerder la vie, Noël n’est pas une religion.

* Le prénom a été changé.

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