Société / Culture

Les réseaux sociaux ou l'irrésistible ascension du troll

[BLOG, You will never hate alone] Aujourd'hui le hater a des désirs d'universalité. Il règne sur tout. Et de lui échapper va devenir de plus en plus compliqué.

Flickr/mkhmarketing-Drowning in Social Media
Flickr/mkhmarketing-Drowning in Social Media

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Rarement, invention marquée du sceau de la technologie aura été aussi funeste –je parle là des réseaux sociaux. Jamais, elle n'aura permis à autant de millions et de millions d'individus de se montrer odieux, haineux, bêtes non seulement à manger du foin mais à s'étouffer avec. Tout ce que la civilisation avait eu tant de mal à bâtir, le respect de l'autre, la tolérance, la courtoisie démocratique, la possibilité de débattre sans s'étriper, l'émancipation par la connaissance, toutes ces notions de savoir-vivre sont en train d'être battues en brèche par ce foisonnement de commentaires, messages, et autres invectives omniprésents dans les fils de conversation.

À se demander si l'on n'est pas en train d'assister, sous nos yeux consternés, à une formidable régression, capable d'emmener le genre humain tout entier dans les bas-fonds de l'ignorance, de la stupidité féroce, de la farouche imbécillité, du triomphe de l'éternelle connerie qui, il faut bien le dire, ne s'est jamais aussi bien portée que depuis l'apparition des réseaux sociaux. Non point que la civilisation était parvenue à l'éradiquer, mais au moins avait-elle eu la décence de rester jusque là anonyme, silencieuse, invisible, partagée entre quatre murs ou réservée à la seule fréquentation du café du commerce.

Désirs d'universalité

Joyeuse époque où le con s'épanouissait à la seule ombre de ses partenaires de conversation, à table ou devant la télé, à sa pause-déjeuner ou lors d'un repas dominical, au sein de sa famille ou parmi ses amis. Le con d'alors paradait en petit comité. Le con de jadis ne dérangeait personne hormis ses intimes, ses proches, parfois ses voisins, le cercle restreint de ses connaissances tout autant à leur aise quand il s'agissait d'aligner, avec une facilité prodigieuse, sornettes sur sornettes. Le con vitupérait en solitaire. Le con morigénait devant madame son épouse. Le con plastronnait à la salle des fêtes de son inénarrable bêtise.

Aujourd'hui le con a des désirs d'universalité. Il entend se faire entendre. Il prétend à la reconnaissance officielle de sa connerie. Voilà que grâce aux réseaux sociaux, sur à peu près n'importe quel sujet, à toute heure de la journée, il peut l'ouvrir dans une débauche de commentaires si prodigue que de suivre l'évolution de sa pensée équivaudrait à surveiller l'éclosion de bulles quand chauffe l'eau des pâtes. C'est que le con –principe de base–ignorant tout de sa condition, a une prédisposition quasi génétique à avoir un avis sur tout. Il peut pérorer avec le même allant sur le réchauffement climatique, la gestation pour autrui, la métaphysique des astres comme sur la démocratie participative, et dans l'innocence de son insignifiance, grisé par l'imprimatur de ses diatribes, il s'épanouit à l'ombre de forums, de pages Facebook, d'articles de journaux, autant d'occasions de laisser prospérer les infinies propensions de son génie créateur.

Jamais, dans la longue et parfois chaotique histoire de l'humanité, nous ne fûmes cernés par autant d'entre-eux. Jamais nous eûmes à en combattre autant –des légions entières– répartis uniformément sur la surface du globe, reconnaissables entre mille à leur orthographe sommaire, leur grammaire boiteuse –excusables imperfections– leur violence verbale, leur opiniâtre médisance, leur dégueulis d'insultes, de vociférations, de clameurs emportées, toutes récitées avec le merveilleux aplomb du savant.

Complotisme

Son heure de gloire est arrivée: le con a tout envahi, tout colonisé, tout lobotomisé. Il parle d'égal à égal avec les plus grands de ce monde. Il interpelle l'intellectuel, admoneste le chercheur, exécute d'un simple mot les essais les plus fouillis—nul, verbeux, à chier. Il ne connaît pas de limites. Puisque tout lui est ouvert, il en profite et batifole au gré de ses colères changeantes. Et quand il est vraiment en forme, au sommet de son inconsistance, il complote à tout-va.

Ah le complotisme. Merveille des merveilles. Quand l'homme repousse encore un peu plus loin les frontières de son invincible imbécillité. Quand il se met à émettre des opinions si absconses qu'à lui tout seul, il renverse la théorie de l'évolution de Darwin. Quand il fabrique des raisonnements si dénués de toute logique, de tout fondement, du moindre début de véracité, qu'il en devient impossible de les démonter. Magie du verbe, puissance de la pensée, magnificence du raisonnement, triomphe de la logique... le complotisme ne connaît pas de limites et porte à incandescence la flamme de son immarcescible bêtise.

La libération du con marque la fin des Lumières et qui pourra dire les limites de cette infernale régression ? Personne.

Et si aujourd'hui, nous sommes encore des millions à lui résister, combien serons nous demain?

Oui combien?

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