Temps de lecture: 2 minutes - Repéré sur Quartz
Il n’est pas rare de surprendre, au détour d’une conversation sur le boulot, deux fâcheux en train de disputer à qui mieux mieux sur leur nombre incroyable d’heures passées à travailler. Comme si l’endurance laborieuse, l’acharnement zélé et la peine infinie étaient de ces vertus qui caractérisent les gens de bonne –et surtout de meilleure– qualité.
Remballez l’argumentaire: si la seule chose dont vous pouvez aisément vous vanter est votre quantité de travail, ça ne laisse rien présager de bon sur la qualité de celui-ci.
Gloire du surmenage
Phénomène curieux de la modernité, le surmenage est devenu une fierté, et mentionner les heures passées au bureau –et hors de son lit, car le manque de sommeil ajoute au prestige– semble imposer le respect. Significativement, c’est un discours que l’on retrouve chez les grands chefs d’entreprise:
«Lorsque vous entendez les histoires soi-disant apocryphes selon lesquelles Tim Cook viendrait travailler tard dans la nuit, ce ne sont pas seulement des chargés de relations publiques qui vous racontent des bobards pour vous faire penser que les cadres d’Apple travaillent vraiment dur. Ils le font vraiment», racontait Don Melton, le père de Safari (Apple), en 2014. Récemment encore, le sulfureux Elon Musk, PDG de Tesla, se targuait de travailler jusqu’à 120 heures par semaines, affirmant qu’il faudrait compter de 80 à 100 heures de travail hebdomadaire pour changer le monde: selon lui, «personne n’a jamais changé le monde en y passant 40 heures par semaines».
Heureusement, c’est faux. Concernant le volume horaire, on ne compte plus les études ayant démontré que la productivité au travail diminuait considérablement à mesure que les heures se prolongeaient. Quant à changer le monde, Quartz souligne avec ironie qu’en dépit de son volume horaire colossal… «Musk n’a pas encore changé le monde». Du moins, «pas dans un sens significatif qui restera dans les mémoires pour les générations à venir, comme par exemple Charles Darwin, qui travaillait quatre heures par jour».
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Une morale de PDG
Ce qui est digne d’être cité, plus qu’un volume horaire, demeure pourtant le résultat atteint: le reste est affaire d’enrobage. Si on ne parvient pas à remplir un objectif, le nombre d’heures passées sera avancé comme justification: avec un tel dévouement, c’est simplement que la chose était impossible. Au contraire, si les résultats sont bons, ils seront rapportés à la charge de travail comme une valeur éthique. Ces justifications sont idéologiques. Il faudrait se souvenir des mots de Nietzsche, qui faisait de «la hâte sans répit au travail le vice proprement dit du Nouveau Monde».
Comme le rappelle Quartz, «quand Musk dit que vous ne pouvez changer le monde que si vous travaillez 80 heures par semaines, il ne présente pas un argument sérieux, mais il présente une morale selon laquelle travailler plus est fondamentalement bon.»
Que l’on se rassure, la valeur des humains et de leur travail n’est pas à chercher dans un dévouement servile.