Culture

De quoi le jaune est-il la couleur dans l’histoire française?

Alors que les «gilets jaunes» remettent cette couleur au goût du jour, il est utile de se plonger dans une belle monographie historique à propos des «Jaunes» d'il y a un siècle.

il est assez troublant de voir dans quelle mesure cette couleur trouve un sens politique différent aujourd'hui. | Jason Leung via <a href="https://unsplash.com/photos/hsS6jTr-pns">Unsplash</a> <a href="https://unsplash.com/license">License by</a>
il est assez troublant de voir dans quelle mesure cette couleur trouve un sens politique différent aujourd'hui. | Jason Leung via Unsplash License by

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Le fait a été peu relayé depuis l'apparition du mouvement «spontané» des «gilets jaunes», mais la couleur choisie pour ce mouvement (qui est tout bonnement celle des gilets de sécurité, rendus obligatoires dans nos voitures) n'est pas neutre politiquement, d'un point de vue historique. Longtemps synonyme de «non gréviste» voire de «traître» ou de «vendu» dans le langage des grévistes et des manifestants, il est assez troublant de voir dans quelle mesure cette couleur trouve un sens politique différent aujourd'hui. De la même manière que les «bonnets rouges» d'il y a quelques années, dont le parallèle (assez hasardeux a priori) avec les bonnets phrygiens de la Révolution française avait été tenté, de manière plus ou moins convaincante.

Il y a un peu plus d'un siècle en effet, plus précisément de 1899 jusqu'à la veille de la Première Guerre mondiale, le mouvement des «Jaunes» (ou Fédération nationale des Jaunes de France) fut une aventure syndicale oubliée, justement restituée par un ouvrage de 2016 de l'historien Christophe Maillard (Un syndicalisme impossible? L'aventure oubliée des Jaunes, éditions Vendémiaire). Elle rassembla tout de même jusqu'à 100.000 personnes, soit autant que la CGT à la même période, c'est-à-dire au moment décisif de la Charte d'Amiens en 1906 et de la fondation de la SFIO en 1905. Dans son célèbre essai sur La Droite révolutionnaire 1885-1914. Les origines françaises du fascisme, l'historien israélien Zeev Sternhell avait d'ailleurs vu le fondateur des «Jaunes», Pierre Biétry (devenu député de Brest de 1906 à 1910), comme l'un des précurseurs de l'idéologie réactionnaire pré-fasciste en France, eu égard à la dérive qui fut progressivement la sienne.

Cette couleur jaune, qui était déjà à l'époque symbole de trahison, a été choisie sciemment, en opposition au rouge et, derrière ce mot de «Jaune», devenu une insulte, Christophe Maillard nous apprend ainsi qu'il se cache des trajectoires individuelles d'ouvriers et d'artisans qui se définissaient eux-mêmes comme de «braves travailleurs» rejetant la lutte des classes (et le marxisme), la grève et l'affrontement au profit d'une entente avec les patrons et les structures traditionnelles de la société. Né au Creusot puis actif dans la région de Belfort et de Montbéliard, mais aussi à Dole, à Longwy, dans les secteurs du textile, de la métallurgie, partout où l’industrie est moderne et performante, le mouvement jaune fut important et mit en place des caisses d’assurance chômage et maladie, des soupes populaires et créa de nombreux journaux.

Défense du travailleur français teintée d'antisémitisme

Comme le montre l'ouvrage dans un chapitre spécifique, leur lutte contre les «Rouges» fut particulièrement intense et marqua durablement la Belle Époque, y compris par des rassemblements violents (notamment au moment des grèves). Originaire des environs de Belfort, Biétry était un ancien ouvrier et artisan horloger qui s’était inspiré de ce qu’il a connu en Allemagne et en Suisse, des pays où la lutte sociale est envisagée différemment, dans un dialogue voire une certaine forme de cogestion et de partage du pouvoir, ainsi que la possibilité d’avoir des parts dans l’entreprise.

Le destin de ce leader charismatique, qui, élu à la Chambre des députés (soutenu par les conservateurs, royalistes et bonapartistes), se posa en rival de Jaurès, fut particulièrement emblématique car il chercha à rapprocher, au grand dam des syndicalistes révolutionnaires, l'Église et les grandes fortunes, et prétendit enfin fonder une forme de «socialisme national», avant de sombrer dans des errances idéologiques qui effrayèrent ses partisans les plus modérés. Les passions «populistes», les rivalités internes et les arrière-pensées de ses bailleurs de fonds contribuèrent peu à peu à discréditer le mouvement... Les leaders jaunes prônaient en effet un discours sur la défense du travailleur français et de la production française fortement teinté d'antisémitisme. En définitive, le mouvement syndical (et politique) finit par s’isoler, perdre ses soutiens et s'éteindre après la Grande Guerre. Paul Biétry, parti en 1914 diriger une plantation de caoutchouc en Indochine où il maltraite ses ouvriers, ne s'en remettra pas; il meurt à Saïgon à la fin de l'année 1918.

Outre son actualité improbable et insoupçonnée (que l'on peut voir comme une forme de clin d'œil de l'histoire, sinon une ruse), cette courte histoire politique des Jaunes mérite d'être lue car cet itinéraire atypique de ces hommes et de ces femmes n'avait jusqu'à présent jamais fait l'objet d'une étude minutieuse, au plus près des archives.

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