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«Nous sommes le seul pays au monde où, si une personne arrive et a un bébé, le bébé est citoyen des États-Unis, avec tous les avantages. C’est ridicule, il faut que cela cesse.» Une semaine avant les Midterms, Donald Trump a mis sur le tapis la question de la suppression du droit du sol alors que des milliers de migrantes et migrants veulent gagner les États-Unis pour fuir la violence et/ou la misère économique de leur pays.
Une proposition contestée par des juristes qui affirment qu'elle remettrait en cause le 14e amendement gravé dans la constitution depuis 1868 et qui garantit ceci:
«Toute personne née ou naturalisée aux États-Unis, et soumise à leur juridiction, est citoyenne des États-Unis et de l'État dans lequel elle réside. Aucun État ne fera ou n'appliquera de lois qui restreindraient les privilèges ou les immunités des citoyens des États-Unis; ne privera une personne de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale régulière; ni ne refusera à quiconque relevant de sa juridiction, l'égale protection des lois.»
Le pays n'a pourtant pas attendu Trump pour remettre en cause cet amendement. Au XXe siècle, un autre président républicain a fait un beau doigt d'honneur au droit du sol: Herbert Hoover.
La Grande Dépression
À l'époque, les États-Unis sont touchés par la plus grave crise boursière du siècle, suite au krach du 24 octobre 1929: le Jeudi noir. Des milliers de banques ferment, des millions d'épargnants perdent leurs économies, la production industrielle chute, les ravages sur la population sont terribles. Aux États-Unis, quatre millions de personnes sont au chômage en 1930, huit millions en 1931 et ce chiffre grimpe à douze millions en 1932.
Pour baisser le taux de chômage, le président Herbert Hoover décide de trouver des boucs émissaires: les Mexicains. «Beaucoup étaient là depuis vingt, vingt-cinq ans. Ils avaient fondé leur vie ici. Ils avaient contribué à ce que la société américaine devienne prospère», rappelle Francisco Balderrama, coauteur du livre Decade of Betrayal: Mexican Repatriation in the 1930s [Une décennie de trahison: le rapatriement mexicain dans les années 1930].
Les autorités vont apparemment l'oublier. Un homme est chargé de mettre sur pied un plan intitulé «Mexican repatriation» ou «Rapatriement mexicain»: William N. Doak, le secrétaire au Travail. Son objectif est clair: redonner du travail aux «vrais» Américains en expulsant les immigrants.
Rafles, licenciements, pressions...
Ce plan national est mis en place au niveau fédéral et grâce à la complicité des autorités locales (État, comtés, villes...).
Des arrestations ont d'abord lieu, comme ce fut le cas dans le parc La Placita de Los Angeles, le 26 février 1931, lorsque des agents du Service de l'immigration et de la naturalisation (INS) arrêtent 400 personnes.
«Ceux qui ressemblaient à des Mexicains ou des Latinos étaient embarqués dans des camions, puis emmenés à la gare pour un train vers le Mexique. Ce genre de choses a eu lieu dans quasiment tous les quartiers latinos du pays. Principalement à Los Angeles, à Détroit, au Texas mais également dans l'Ohio, l'Indiana, la Pennsylvanie…», affirme Joe Dunn, ancien sénateur démocrate de Californie entre 1998 et 2006.
Le chercheur Francisco Balderrama évoque, de son côté, les rafles «vicieuses» réalisées à Los Angeles par l'intermédiaire d'aides-soignants «plaçant des gens sur des brancards [dans les hôpitaux] dans des camions qui les laissaient à la frontière».
Des lois locales interdisent aussi l'embauche des Mexicains dans la fonction publique. Certaines grandes entreprises ont été complices en licenciant en priorité des milliers d'employés mexicains, «leur disant qu'ils seraient mieux avec leur propre peuple». Parmi elles, l'U.S. Steel, la Southern Pacific Railroad ou encore Ford. Selon Balderrama, le comté de Los Angeles «encourageait les Mexicains à accepter des billets de trains pour le Mexique».
Une mère mexicaine en Californie avec son enfant en juin 1935. | Dorothea Lange, Library of Congress
Certains médias ont d'ailleurs mis de l'huile sur le feu comme la Hearst Corporation, groupe propriétaire notamment du feu San Antonio Light. Dans ce quotidien texan, les Mexicains étaient décrits à travers les termes «vermine» et «peste», explique Melita M. Garza, professeure en journalisme à la Texas Christian University (TCU) qui vient de publier un ouvrage sur le sujet.
Toutes ces initiatives ont terrorisé la communauté et la pression était telle que beaucoup ont quitté le pays «par eux-mêmes».
Un traumatisme pour les petits
José Santos Herrada était l'un d'eux. Avec son épouse, ils avaient quitté le Mexique pour s'installer à Saint-Louis (Missouri) où il a travaillé dans les chemins de fer. Après s'être engagé dans l'armée américaine durant la Première Guerre mondiale, Herrada a fini par atterrir dans l'usine de Détroit (Michigan) chez Ford où il a travaillé avant de se faire licencier.
Vu le climat délétère, le couple a décidé de plier bagage avec toute sa famille. Ils ont mis toutes leurs affaires dans leur voiture avant de partir à Aguascalientes, au Mexique, leur ville d'origine.
La carte d'identité mexicaine de José Santos Herrada . | Elena Herrada
«Ils avaient six enfants et ils ont dû les laisser à mon arrière-grand-mère car ce qui est particulièrement ironique, c'est que mon grand-père en tant qu'ancien soldat durant la Première Guerre était éligible pour travailler à la Work Projects Administration, il est donc revenu aux États-Unis et il envoyait de l'argent à sa mère pour ses enfants qui eux étaient nés aux USA», raconte aujourd'hui sa petite-fille Elena Herrada.
Son père Alfredo Herrada était bébé lorsqu'ils ont déménagé. Plusieurs décennies plus tard, Elena n'a jamais compris pourquoi il lui interdisait de parler espagnol et c'est ce qui l'a poussée à s'intéresser au sujet. «Il avait honte de ses racines mexicaines et je ne savais pas pourquoi. Finalement, un vieux de la communauté a fini par cracher le morceau: “Alfredo faisait partie de ceux qui ont été obligés de partir lorsqu'ils étaient enfants”», se souvient-elle très émue. Son père s'est finalement un peu ouvert sur son passé. «Il m'a dit qu'il avait failli mourir de faim là-bas. Cela a été très dur car ils étaient petits et ne parlaient pas la langue.»
Une lettre envoyée par José Santos Herrada à sa mère le 12 janvier 1919. | Elena Herrada
Un témoignage que vient étayer le chercheur mexicain Fernando Saul Alanis Enciso, qui a rencontré de nombreux rapatriés dans le cadre de son ouvrage They Should Stay There: The Story of Mexican Migration and Repatriation during the Great Depression [Ils auraient dû rester: l'histoire de la migration et du rapatriement mexicains pendant la Grande Dépression]: «Les autres enfants les traitaient mal, ils étaient harcelés, les profs ne les comprenaient pas. C'était très dur pour les enfants d'arriver dans un pays totalement étranger».
Dans un documentaire, Ignacio Pina fait part de son traumatisme après avoir été arrêté chez lui avec sa famille dans le Montana. À 6 ans, il s'est retrouvé en cellule «pendant six ou sept jours» à Pocatello (Idaho) avant que toute la famille ne soit envoyée au Mexique.
Raymond Rodriguez, l'autre coauteur du livre Decade of Betrayal avait 10 ans lorsque son père est parti. Aujourd'hui décédé, il affirmait en 2003 et à 80 ans ne plus jamais l'avoir revu.
60% nés aux États-Unis
Combien de personnes ont été contraintes de partir? Pas facile de le dire... Le sénateur Joe Dunn, qui a longtemps travaillé sur le sujet, suppose qu'elles étaient 1,8 million. «Ce chiffre vient d'un document du gouvernement fédéral qui payait pour que ce programme soit réalisé au niveau local: le comté de Los Angeles, la ville de Los Angeles ou autre... Une facture était envoyée au gouvernement fédéral dans laquelle ils devaient lister le nombre d'individus déportés ou rapatriés.»
L'historien mexicain Fernando Saul Alanis Enciso considère qu'il n'y a «pas de preuve» permettant d'avancer un tel chiffre. «De notre côté, on a calculé qu'ils étaient environ 500.000», affirme-t-il.
Le chiffre le plus repris dans les médias américains est celui de Francesco Balderrama. Il se situe entre les deux, considérant qu'un million de personnes ont quitté le pays. Les trois sont d'accord pour dire que la majorité d'entre elles (environ 60%) étaient nées aux États-Unis.
Une histoire peu connue
Selon le sénateur démocrate Joe Dunn, les autorités américaines ne mirent jamais officiellement fin à ce plan. «À partir de 1933 et l'arrivée de Roosevelt, il a été progressivement abandonné jusqu'à la Seconde Guerre mondiale et la fin de la dépression», indique-t-il.
Les Mexicains seront par la suite accueillis à bras ouverts via le programme Bracero, une série de lois entre 1942 et 1964 qui accordera de nombreux permis de travail temporaires aux Mexicains.
Après avoir découvert l'ouvrage de Franceso Balderrama, Joe Dunn a longtemps bataillé pour que cette histoire «soit plus connue». Pour cela, l'ancien sénateur a introduit plusieurs projets de loi. Le premier avait pour but d'accorder une compensation financière aux victimes californiennes encore vivantes, comme ce fut le cas pour les internés nippo-américains durant la Seconde Guerre mondiale. Un échec.
L'ancien politicien a, par contre, obtenu de l'État californien la reconnaissance officielle des torts causés aux Mexicains et aux Mexicano-Américains via une loi adoptée en 2006. Le comté de Los Angeles a fait pareil et même érigé un mémorial dans le parc La Placita. Rien, en revanche, n'a été entrepris au niveau fédéral.
Des enfants font la loi
Cette période vient également d'être intégrée au programme des écoles publiques en Californie, qui encourage désormais le corps professoral à l'enseigner. Pour y arriver, il a fallu compter sur l'abnégation d'une classe de fourthgraders (équivalent du CM1) de l'école élémentaire de Bell Gardens.
Ces élèves âgés de 9-10 ans ont rencontré un jour Emilia Castaneda, 89 ans, venue leur raconter son exil forcé en 1935 lorsqu'elle avait leur âge. Ils se sont alors rendu compte qu'aucune mention n'y était faite dans leur livre d'histoire. «La grande majorité des élèves de ma classe provenait de familles immigrées de première génération. Pour eux, cette omission était un affront personnel», racontait cet été leur professeure Leslie Hiatt qui ne connaissait pas non plus ce chapitre.
En classe, ils ont mené des recherches sur le sujet (des films, une pièce de théâtre...), écrit une lettre à Barack Obama mais surtout participé au concours There Ought to Be a Law [Il devrait y avoir une loi] lancé par la députée démocrate californienne Cristina Garcia et qui permet à n'importe quel citoyen ou citoyenne de proposer une loi qu'il ou elle aimerait voir adopter.
Les trente-quatre élèves ont gagné et se sont retrouvés devant la commission d'éducation de l'État de Californie à Sacramento pour défendre l'adoption du texte AB 146. Un texte finalement voté et ratifié par le gouverneur de l'État.