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Bien que la procréation médicalement assistée ait fait de spectaculaires bonds en avant depuis la première fécondation in vitro (FIV) il y a quarante ans, elle ne permet pas encore de répondre à tous les désirs d’enfant des couples qui s’adressent à la médecine pour compléter leur projet parental. En effet la FIV à elle seule ne peut aider que des couples qui ont déjà accès à des gamètes. Or nombreux sont ceux qui requièrent au moins un gamète supplémentaire pour réaliser leur rêve. On peut compter parmi eux les couples hétérosexuels dont l’homme qui ne peut produire de spermatozoïdes ou dont la femme ne peut produire d’ovules, les couples hétérosexuels dont la femme se rapproche ou a dépassé l’âge de la ménopause, ou encore les couples homosexuels.
Jusqu’à présent une solution s’est présentée à ces personnes: faire usage d’un don d’ovule ou d’un don de sperme. Bien que cette solution ait permis la création d’un grand nombre de familles heureuses, elle est loin d’être pleinement satisfaisante. En effet d’une part les pénuries de gamètes sont chroniques dans des pays comme la France, ce qui peut grandement retarder le projet parental ou même l’empêcher complètement. D’autre part, le don d’un gamète d’une personne tierce ne permet pas de réaliser le désir profond qu’ont d’innombrables couples: avoir un enfant génétiquement lié aux deux parents.
Répondre au désir d’avoir un enfant génétiquement lié
Ce désir de lien génétique avec son enfant peut paraître irrationnel, d’autant plus que nous avons maintenant des décennies de recul sur les familles avec enfant né grâce à un don de gamète. Les travaux de Susan Golombok ont montré que ces familles ne sont pas moins fonctionnelles ou heureuses que les autres et que les enfants ne rencontrent pas de problèmes psychologiques particuliers dès lors que les parents sont transparents sur leurs conditions de naissance dès leur plus jeune âge.
Avoir un enfant génétiquement lié aux deux membres du couple peut néanmoins être vu comme une stratégie de réduction des risques vis-à-vis des responsabilités parentales: aucune personne externe ne peut alors venir réclamer une quelconque sorte de rôle parental sur l’enfant. Les deux membres du couple sont à pied d’égalité et il n’y a pas un membre qui pourrait paraître avoir plus de légitimité que l’autre vis-à-vis de la biologie. En fin de compte on pourrait débattre encore longuement de ce désir de lien génétique, chercher à comprendre quelles en sont les motivations, il reste malgré tout indéniable que ce désir profond existe et qu’il n’est pas près de disparaître.
Face à ce double problème de pénuries de gamètes et d’impossibilité d’avoir un lien génétique, la recherche médicale avance à grand pas dans le domaine de la création de gamètes issus de cellules souches. Le 20 septembre dernier des chercheurs japonais ont en effet publié une étude dans le prestigieux journal Science où ils annoncent leur succès dans la création d’ovogonies, c’est-à-dire des cellules qui sont capables de devenir des ovules matures, à partir de cellules souches humaines.
Le potentiel des cellules souches pluripotentes induites
Il est à noter que ce ne sont pas n’importe quelles cellules souches que les chercheurs ont utilisées mais des cellules souches pluripotentes induites. En 2007, des chercheurs japonais ont fait la fascinante découverte qu’une cellule somatique du corps humain, comme une cellule de peau, pouvait être convertie en cellule souche, c’est-à-dire une cellule qui peut elle-même être convertie en n’importe quelle autre cellule du corps humain. Ces cellules souches pluripotentes induites offrent aujourd’hui beaucoup d’espoir pour la création de tissus et d’organes parfaitement compatibles avec les patients qui en ont besoin, en vue de transplantation. Ces mêmes cellules souches pluripotentes induites pourraient à l’avenir être utilisées pour créer des gamètes.
Induction de cellules souches pluripotentes à partir de fibroblastes dermiques humains adultes | ScienceDirect
Si la recherche sur les gamètes issus de cellules souches avançait et que la technique de gamétogénèse in vitro (GIV) devenait sûre et efficace, voici la manière dont les choses se dérouleraient. Imaginons qu’un couple hétérosexuel souhaite avoir un enfant mais souffre d’infertilité car la femme ne produit pas ou plus d’ovule. Ce problème peut venir d’une pathologie, d’un traitement lourd de chimiothérapie, d’une transition hormonale du sexe, ou encore d’une infertilité liée à l’âge. On prélève alors à cette femme des cellules de peau, qui sont ensuite transformées en cellules souches pluripotentes induites grâce à l’injection d’un mélange de gènes.
Une fois obtenues, ces cellules souches sont alors dérivées en cellules germinales primordiales. Ces dernières cellules sont similaires aux cellules germinales qu’on retrouve chez un fœtus. C’est à ce stade là que les chercheurs en étaient précédemment arrivés chez l’humain avant l’exploit des scientifiques japonais le 20 septembre dernier.
Grâce à la gamétogénèse in vitro, les cliniques seront capables de créer des gamètes à partir de simples prélèvements de cellules de peau
Pour aller plus loin dans le processus d’obtention de gamètes matures, les chercheurs de l’Université de Kyoto menés par Mitinori Saitou ont fait baigner pendant dix-sept semaines les cellules germinales primordiales dans un medium rempli de cellules issues d’ovaires de souris. Ces cellules issues d’ovaires, malgré le fait qu’elles viennent d’une espèce différente, ont alors envoyé avec succès les signaux chimiques nécessaires à la transformation des cellules germinales primordiales en ovogonies.
Il reste alors à transformer ces ovogonies en ovocytes, qui seront prêtes à subir le processus de méiose pour devenir des ovules matures capables d’être fécondés. Une fois que la recherche aura progressé jusque-là et que tout aura été fait pour s’assurer que les gamètes sont sains, notre couple imaginaire sera alors en mesure d’obtenir un ovule issu du génome de la mère d’intention, malgré son incapacité initiale à en produire d’elle-même. Grâce à la GIV, les cliniques seront capables de créer des gamètes à partir de simples prélèvements de cellules de peau. On peut imaginer que de strictes lois seraient mises en place pour s’assurer que le consentement de la personne dont on a obtenu les cellules somatiques ait bien été respecté.
Une GIV sûre et efficace signerait ainsi la fin de la pénurie de gamètes, et permettrait donc à tous les couples souffrant d’infertilité gamétique de réaliser leur rêve d’enfant, avec le bénéfice supplémentaire que cet enfant serait génétiquement issu des deux parents, sans intervention d’un donneur tiers de gamète. Un tel changement bouleverserait le champ de l’assistance médicale à la procréation.
En permettant la création d’un grand nombre d’embryons issus de nombreux ovocytes obtenus à partir de cellules souches, la GIV révolutionnerait aussi la pratique du diagnostic pré-implantatoire (DPI). En effet la sélection d’un embryon avec un génome désiré pourra être faite sur un échantillon d’embryons bien plus grand qu’aujourd’hui. C’est ce que Hank Greely, bioéthicien à la Stanford University en Californie, a appelé le «DPI-Facile» («Easy PGD»).
Une révolution de l’AMP pour les couples homosexuels
La GIV pourrait aussi révolutionner le champ de la reproduction pour les couples homosexuels à condition qu’un niveau supplémentaire de difficulté soit surpassé par la recherche médicale: la création d’un gamète du sexe opposé à partir de cellules souches. En effet pour aider un couple de femmes, il faudrait être capable de dériver du sperme à partir de cellules de peau d’une des membres du couple, ce qui implique des difficultés supplémentaires de reprogrammation génétique. Des premiers pas ont déjà été franchis en la matière, avec une équipe de chercheurs qui, en 2011, a réussi à obtenir des cellules germinales primordiales similaires à du sperme à partir de cellules souches humaines féminines.
Une autre voie pourrait aussi permettre aux couples homosexuels d’avoir des enfants génétiquement liés aux deux parents. En effet une équipe de chercheurs chinois a annoncé le 11 octobre dans le journal Cell Stem Cell avoir réussi à faire naître des souris génétiquement liées à deux parents de même sexe. La méthode suivie est toutefois extrêmement différente de la technique de GIV étudiée plus tôt.
Pour faire naître des bébés souris génétiquement issus de deux mères, les chercheurs ont utilisé un ovule d’une mère et des cellules souches embryonnaires haploïdes de l’autre, c’est-à-dire des cellules souches qui, comme des gamètes, ne possèdent que vingt-trois chromosomes. Ces cellules souches embryonnaires sont obtenues à partir des ovules des souris femelles.
Injecter les cellules souches n’était toutefois pas suffisant pour créer un embryon sain, car l’empreinte génomique spécifique des cellules souches embryonnaires issues des souris femelles agissait comme une barrière. Cette empreinte génomique spécifique régule l’activité de certains gènes. Les chercheurs chinois ont donc utilisé l’outil de modification génétique CRISPR-Cas9 pour supprimer trois régions clés du génome de ces cellules souches.
Une fois la modification effectuée, les cellules souches ont été injectées dans l’ovule avant transfert dans une souris pour gestation. Cette technique a permis aux chercheurs de faire naître vingt-neuf souris en bonne santé à partir de 310 embryons. Ces souris ont plus tard pu elles-mêmes procréer sans problème.
Le processus s’est révélé beaucoup plus compliqué dans le cas des souris issues de deux pères. Les chercheurs ont utilisé le sperme d’un père et les cellules souches embryonnaires de l’autre qui ont été obtenues via son sperme. La modification génétique des cellules souches embryonnaires a cette fois dû toucher pas moins de sept régions de leur génome. Le sperme et les cellules souches modifiées ont ensuite été injectées dans un ovule dont on a préalablement retiré le nucléus qui contient l’immense majorité du matériel génétique. L’œuf a enfin été transféré dans une souris femelle pour gestation.
Nous sommes encore très loin d’un usage clinique chez l’humain
Contrairement aux souris issues de deux mères, celles issues de deux pères sont mortes peu après leur naissance. Sur les douze souriceaux nés, seuls deux ont survécu plus de 48h. Ces problèmes chez les souris rappellent à quel point la recherche dans ce domaine, bien que très enthousiasmante, est encore très loin d’un usage clinique chez l’humain.
Wei Li, membre sénior de l’équipe chinoise, explique qu’«on ne peut affirmer que cette technique ne sera pas un jour utilisée chez les humains dans le futur. Mais pour le moment, la réponse est non. On n’en fait jamais trop pour mettre en valeur les risques et l’importance de la sécurité avant que toute étude humaine soit conduite».
L’objectif initial des chercheurs n’était pas de permettre aux couples homosexuels de procréer comme les couples hétérosexuels, mais de comprendre quelles règles de la reproduction ils devaient braver
L’objectif initial des chercheurs n’était d’ailleurs pas de permettre aux couples homosexuels de procréer comme les couples hétérosexuels, mais de comprendre quelles règles de la reproduction ils devaient braver pour faire naître des souriceaux issus de parents de même sexe. Les scientifiques chinois ont essayé de comprendre ce qui fait que les mammifères ne peuvent se reproduire que sexuellement alors que d’autres vertébrés comme les dindes ou encore les requins peuvent parfois se reproduire avec un seul parent.
L’étude chinoise permet de faire progresser notre compréhension des empreintes génomiques et de leur rôle dans la reproduction. Ces connaissances pourraient permettre à l’avenir de corriger les erreurs dans l’empreinte génomique qui entraînent des anomalies congénitales, comme le syndrome d'Angelman qui est un trouble grave du développement neurologique.
Il en va de même pour la recherche japonaise sur la gamétogénèse in vitro qui, si elle est encore loin de pouvoir fournir ses immenses bénéfices en termes d’usage clinique humain, nous permet dès aujourd’hui de faire grandement avancer nos connaissances sur le processus extrêmement complexe de formation de gamètes. Comme l’expliquent deux chercheurs suisses dans un édito du journal Science:
«Générer des cellules germinales humaines in vitro est une avancée majeure en vue d’améliorer la reproduction humaine car cela aidera les scientifiques et embryologistes à identifier les modes critiques de régulation et à développer des traitements cliniques qui aident la formation de gamètes sains.»
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Gageons que la recherche continuera de progresser dans les années et décennies à venir. Les bouleversements qu’induiront la possibilité de créer des gamètes in vitro ainsi que des embryons issus de deux parents de même sexe seront immenses. Les cliniques seront en effet capables de répondre parfaitement aux problèmes d’infertilité gamétique des couples qui sollicitent leur aide, peu importe la composition ou l’orientation sexuelle de ces derniers. La GPA ou le recours à l’utérus artificiel resteront toutefois nécessaires pour les couples dont aucun membre ne dispose d’utérus sain.
Une fois que l’efficacité et la sûreté de ces techniques auront été rigoureusement démontrées, le législateur français saura-t-il rester rationnel et adopter des lois libérales à leur endroit? Il ne fait aucun doute que la GIV et la reproduction de même sexe choqueront un grand nombre de personnes. Cela ne retire rien au fait que ces techniques semblent en réalité poser un bien moins grand nombre de questions éthiques par rapport à la PMA avec don de gamète, puisqu’elles ne nécessiteront pas l’usage de dons de personnes tierces. L’État français saura-t-il se garder de prohiber des techniques qui promettent d’offrir d’immenses bénéfices tout en ne créant aucune victime? Seul l’avenir nous le dira.