Culture

Les 30 nouveaux classiques de la musique américaine

Parmi les tubes des vingt-cinq dernières années, ceux-ci continueront assurément d'être chantés par nos petits-enfants, et de faire danser leur propre progéniture.

<a>Évidemment, on ne les écoutera pas avec ça.</a> | Malte Wingen via Unsplash <a href="https://unsplash.com/photos/PDX_a_82obo">License by</a>
Évidemment, on ne les écoutera pas avec ça. | Malte Wingen via Unsplash License by

Temps de lecture: 19 minutes

Qu’est-ce qui fait qu’une chanson reste appréciée longtemps? L’histoire de la musique populaire montre que de nombreux chefs-d’œuvre –y compris des morceaux qui ont radicalement changé la donne– sont rapidement oubliés.

Dans le même temps, une multitude de musiques entêtantes imprègnent la conscience collective, qu’on les aime ou non.

Qui aurait pu prédire que «Don’t Stop Believin’», un titre d’un groupe décrié par la critique et qui a fait un flop à sa sortie en 1981, détiendrait le record de téléchargements du XXe siècle? Ou que l’hebdomadaire Billboard désignerait, parmi toutes les catégories de chansons, le single d'une nouvelle danse comme plus grand tube américain de tous les temps?

Distinguer les morceaux les plus durables des millions d’autres classiques potentiels n’est pas chose aisée. Nous avons donc demandé à des critiques, des musiciennes ou musiciens et des pros du secteur de prédire quels seront les titres de ces vingt-cinq dernières années sur lesquels nous danserons et chanterons encore dans cent ans. Certains d'entre eux seront repris en chœur par nos enfants dans les stades; d’autres seront choisis par le DJ du mariage de nos petits-enfants.

Cette liste des nouveaux incontournables de la musique américaine n’est pas la liste des meilleurs titres du dernier quart de siècle, même si certains des morceaux référencés pourraient aussi y figurer.

Selon les membres de notre panel, les classiques de demain, comme l’Amérique de demain, seront beaucoup moins dominés par les hommes et feront beaucoup plus la part belle à la diversité. Moins d’un tiers des morceaux de notre liste sont interprétés par des hommes blancs, et les artistes les plus cités sont Beyoncé et Jay-Z, le couple qui domine la pop. Le rock classique sera bientôt éclipsé par le rap classique, et le Cole Porter de la prochaine liste des incontournables pourrait bien être Max Martin.

Pour figurer dans notre top 30, les morceaux ont dû être nommés par au moins deux membres du panel. Vous pouvez consulter les choix personnels de tous nos spécialistes.

Alors quels sont les hits d’aujourd’hui qui s’imposeront comme des incontournables? Voici notre classement.

30. Idina Menzel – «Let It Go»

Production: Kristen Anderson-Lopez, Robert Lopez
Écriture-composition: Kristen Anderson-Lopez, Robert Lopez
Année: 2013

Une liste de classiques comprend toujours des musiques de films, et les films d’animation Disney –le plus grand pourvoyeur de mythes populaires de notre ère– ont de grandes chances de rester des incontournables de la culture chez les plus jeunes. Ce qui signifie que presque tous les enfants du XXIe siècle regarderont La Reine des neiges, et donc que presque tous entendront cette chanson «va te faire foutre» déguisée en hymne de la libération de la femme. Et si vous l’entendez une fois, vous n’avez aucune chance de vous la sortir de la tête, comme c’est le cas des autres classiques Disney –«Quand on prie la bonne étoile», «Un jour mon prince viendra» ou «Un morceau de sucre».

29. Liz Phair – «Fuck and Run»

Production: Liz Phair, Brad Wood
Écriture-composition: Liz Phair
Année: 1993

La présence de ce morceau est peut-être un peu ambitieuse: «Fuck and Run» est de loin le titre de ce classement le moins bien classé dans les charts –il n’a même pas été commercialisé sous la forme d’un single. Mais l’expérience présentée dans ce titre d’indie-rock de Liz Phair parle tellement à tout le monde qu’il est facile d’imaginer des femmes et des hommes vingtenaires s’identifier au morceau pendant des dizaines d’années. Selon le critique musical de Slate Carl Wilson, «il s'agit d'un modèle d'écriture que des vagues de jeunes musiciens continuent de découvrir, et ça fait des ravages».

28. Daft Punk ft. Pharrell Williams et Nile Rodgers – «Get Lucky»

Production: Thomas Bangalter, Guy-Manuel de Homem-Christo
Écriture-composition: Thomas Bangalter, Guy-Manuel de Homem-Christo, Nile Rodgers, Pharrell Williams
Année: 2013

Si vous alimentiez un algorithme d’écriture de morceaux avec l’œuvre de Chic, Kool & the Gang et Earth, Wind & Fire, il vous renverrait certainement un truc comme ce titre de Daft Punk, qui a le don de remplir les dancefloors. Comme pour «Uptown Funk», qui figure aussi dans ce classement, l’expert des charts pop de Slate Chris Molanphy écrit que «ce morceau avait des airs de classique dès sa sortie». En plus, il a «déjà fait l’objet de reprises, notamment par un chœur lors des Jeux olympiques en Russie».

27. Alanis Morissette – «You Oughta Know»

Production: Glen Ballard
Écriture-composition: Alanis Morissette, Glen Ballard
Année: 1995

L’angoisse existentielle gutturale du début des années 1990 pourrait bien être mal vue dans une génération, mais les cris rebelles d’Alanis Morissette «permettent [à ce titre] d’être en bonne place dans la case des hymnes grunge, même s’il est interprété par une Canadienne», selon Nabil Ayers du label indépendant 4AD. Vous n’avez pas besoin d’avoir été trompé par une ancienne star de la série La Fête à la maison pour ressentir la catharsis lorsque la chanson explose dans le refrain, un cri primaire –«It’s not fair» [«C’est pas juste»]– qui parle à l’ado sommeillant en chacun de nous.

26. Old Crow Medicine Show – «Wagon Wheel»

Production: David Rawlings
Écriture-composition: Bob Dylan, Ketch Secor
Année: 2004

Qu’on l’aime ou non, «pfff, je pense qu’on ne peut pas y échapper», écrit Franz Nicolay du groupe The Hold Steady. Comme le dit Dan Kois, de Slate, «Wagon Wheel» est une «chanson simple et entraînante qu’on continuera à chanter autour des feux de camp, dans les dortoirs et partout où il y aura une personne capable de jouer en sol majeur sur une guitare acoustique».

25. Destiny’s Child – «Say My Name»

Production: Darkchild
Écriture-composition: LaShawn Daniels, Rodney Jerkins, Fred Jerkins III, Beyoncé, LeToya Luckett, LaTavia Roberson, Kelly Rowland
Année: 1999

Si la carrière solo de Beyoncé a éclipsé son travail dans ce groupe féminin (c’est la seule artiste à avoir plus d’un morceau dans cette liste en tant qu’artiste principale), «Say My Name» est déjà bien en place depuis presque vingt ans, et elle ne présente pas de signes d’essoufflement. Bien que le mélange de pop, R&B et hip hop –une association que maîtrisait le co-compositeur et producteur du titre, Rodney «Darkchild» Jerkins– crée un résultat typique de la fin des années 1990, ce morceau était clairement en avance sur son temps: le chanté-rappé du groupe n’est pas suffisamment reconnu comme une inspiration par les rappeurs qui chantent, comme Drake. Aussi, le concept de la chanson est intemporel. La rédactrice en chef de Jezebel, Julianne Escobedo Shepherd, fait remarquer «que la tradition du blues comprenait déjà des histoires de femmes trompées faisant valoir leurs droits». Au moins, Drizzy a rendu hommage à la chanteuse avec «Girls Love Beyoncé», en 2013. Il ne sera pas le dernier.

24. Israel Kamakawiwo'ole – «Somewhere Over the Rainbow / What a Wonderful World»

Production: Israel Kamakawiwoʻole, Jon de Mello
Écriture-composition: Edgar Yipsel Harburg, Bob Thiele, George David Weiss
Année: 1993

Un bon moyen de s’assurer une place dans la liste des nouveaux classiques américains? Mélangez deux anciens standards pour en faire le morceau le plus téléchargé de l’ère numérique. Le «Rainbow» d’Iz est tellement omniprésent que ses paroles semi-improvisées enregistrées à 4h du matin commencent déjà à remplacer les originales. Ce titre unique d’un musicien hawaïen et son ukulélé persisteront tant qu’il y aura des présentations PowerPoint de mariage à accompagner.

23. Beyoncé ft. Jay-Z – «Crazy in Love»

Production: Rich Harrison, Beyoncé
Écriture-composition: Beyoncé, Rich Harrison, Eugene Record, Shawn Carter
Année: 2003

Le seul artiste qui figure autant de fois dans cette liste que Beyoncé, c’est son mari. Il est donc normal que le tube qui saisit le délire de leur amour soit ancré dans la mémoire collective américaine pour toujours. Bien entendu, les artistes ont produit de nombreuses autres collaborations mémorables, de «Drunk in Love» –qui est moins adapté aux familles et, partant, moins susceptible de passer de génération en génération– à un album commun complet sorti l’été dernier. Mais la tonitruante fanfare de cuivres qui ouvre «Crazy in Love» (un sample du titre de R&B 1970 des Chi-Lites «Are You My Woman (Tell Me So)») a annoncé l’arrivée sur le devant de la scène du puissant couple musical qui régnerait sur le monde pendant quinze ans –et ce n'est pas fini. Et puis finalement, combien de couples parviennent à retrouver l’intensité de leurs débuts?

22. Nine Inch Nails – «Hurt»

Production: Trent Reznor
Écriture-composition: Trent Reznor
Année: 1994

Parfois, pour qu’un morceau devienne incontournable, il lui suffit d’être dépoussiéré par le bon artiste au bon moment. La version de Johnny Cash de «Hurt», enregistrée dans les derniers mois de sa vie avec le producteur chevronné Rick Rubin, a déjà sa place dans le panthéon des reprises qui dépassent l’original, aux côtés de «I Will Always Love You» de Whitney Houston et «Respect» d’Aretha Franklin. En entendant la version de Johnny Cash, Trent Reznor a même dit qu’il avait l’impression qu’il venait de «perdre sa copine, parce que cette chanson ne m’appartient plus».

21. 50 Cent – «In Da Club»

Production: Dr. Dre, Mike Elizondo
Écriture-composition: Curtis Jackson, Andre Young, Mike Elizondo
Année: 2003

Quelle est la raison pour laquelle c’est ce classique du gangsta-rap qui survivra à tous les autres? On aimerait croire que ce sont les six notes au synthé qui habillent le beat du chef-d’œuvre minimaliste de Dr. Dre et Mike Elizondo, les rares touches instrumentales qui ornent le reste du morceau ou encore les différents flows infectieux que Curtis Jackson a montrés dans son premier N°1. Mais comme le notent le critique pop de Slate Jack Hamilton et Julianne Escobedo Shepherd, la vraie raison pour laquelle cet morceau restera sur les playlists de fêtes pendant des années tient en ces cinq mots simples: «Go shorty, it’s your birthday».

20. Adele – «Rolling in the Deep»

Production: Paul Epworth
Écriture-composition: Adele Adkins, Paul Epworth
Année: 2010

Comme le fait remarquer Chris Molanphy, «n’importe quel morceau d’Adele perdurera; elle a vendu trop d’albums (à une époque où personne n’en vend) pour ne pas inspirer au moins un classique». Alors pourquoi celui-ci et pas «Hello» ou le larmoyant «Someone Like You»? Parce qu’il semblerait qu’à ce jour, il se soit mieux vendu que tous ses autres tubes. Le titre est certifié huit fois disque de platine, une prouesse. Et comme le souligne Chris Molanphy, il a déjà entamé une deuxième vie grâce à la consécration de la reine de la soul elle-même, Aretha Franklin, qui en a fait une reprise dans The Great Diva Classics –ce qui lui offre de bonnes chances de durer.

19. Oasis – «Wonderwall»

Production: Owen Morris, Noel Gallagher
Écriture-composition: Noel Gallagher
Année: 1995

Qu’est-ce qu’un «wonderwall» («mur des merveilles»), exactement? On ne sait pas non plus, mais ça n’a pas empêché ce morceau de se faire entendre à tout bout de champ sur les répondeurs de la messagerie instantanée AOL, dans les dortoirs universitaires et les réceptions de mariage, ou encore sur les playlists Spotify. De fait, la ballade d’Oasis a été élue à plusieurs reprises titre des années 1990 le plus écouté sur la plateforme musicale, battant même «Smells Like Teen Spirit». Pourquoi? Comme l’écrit l’auteur Chuck Klosterman, «c’est une chanson simple que les jeunes guitaristes apprennent souvent à jouer, et les paroles sont suffisamment abstraites pour tout vouloir dire, ce qui a l'air de convenir aux gens». Cela ne veut pas pour autant dire que c’est un bon morceau, comme beaucoup de ceux qui l’ont nominé s’accordent à dire. «Il y a… beaucoup, beaucoup d’autres chansons bien meilleures que “Wonderwall” dont on ne se souviendra pas», poursuit Chuck Klosterman. Le critique pop de Slate Jack Hamilton est encore plus tranché: «Cette chanson est complètement idiote, mais elle est entraînante et ridiculement facile à jouer, et c’est pour cela qu’elle séduira des générations de jeunes qui broient du noir et savent jouer quatre cordes sur une guitare acoustique.

18. Backstreet Boys – «I Want It That Way»

Production: Kristian Lundin, Max Martin
Écriture-composition: Andreas Carlsson, Max Martin
Année: 1999

Parfait tube de boys band, l’hymne inoubliable des Backstreet Boys –l’un des deux morceaux figurant dans notre liste à avoir été co-écrit par la machine à hits Max Martin– associe l’intimité d’un compositeur-interprète triste et l’étreinte collective de cinq copains débordant de sentimentalisme. C’est également un «classique de karaoké», comme le fait remarquer Aisha Harris du New York Times –pas d’inquiétude, les aigus sont en option.

17. Rihanna ft. Calvin Harris – «We Found Love»

Production: Calvin Harris
Écriture-composition: Calvin Harris
Année: 2011

Les morceaux de Rihanna à avoir été nominés pour ce classement ne manquent pas, de «Work» à «Diamonds», en passant par «Umbrella». Alors pourquoi ce succès de la chanteuse de la Barbade survivra-t-il aux autres? Slate n’a pas été avare de compliments dans son éloge de cet «hommage vibrant à l’europop des années 90», «qui alterne entre crescendos frénétiques et un peu moins frénétiques». Mais c’est Ann Powers qui explique le mieux ce choix: «Rihanna est l’artiste pop la plus importante du XXIe siècle, musicalement parlant. Son mélange d’adrénaline EDM, de somnolence hip-hop et de calme des Caraïbes définit la pop internationale, tandis que l’empreinte émotionnelle de sa musique –branchée, mais sans jamais oublier les difficultés– définit sa génération. Ce morceau est le condensé le plus pur de son époque, avec une touche en plus.»

16. The Killers – «Mr. Brightside»

Production: The Killers
Écriture-composition: Brandon Flowers, Dave Keuning, Mark Stoermer, Ronnie Vannucci Jr.
Année: 2003

Les groupes de guitares new-yorkais faisaient les gros titres au début des années 2000, mais le premier single des Killers est, comme l’écrit Ann Powers, «le son du rock déjanté du millénaire pour tous les Américains qui ne pouvaient pas se permettre de vivre à New York». Franz Nicolay, qui a joué dans un «The band» de Brooklyn, va dans le même sens et nomine ce hit du groupe de Las Vegas pour «représenter une catégorie qui comprend» d’autres titres de rock alternatifs aux influences variées, comme «Maps», «Time to Pretend», «Common People», «Do You Realize?? », «The District Sleeps Alone Tonight» et «Take Me Out». Même si on écoute ce titre avec de mauvais écouteurs, il procure la même sensation qu’un stade rempli d’écrans de téléphones lumineux.

15. Céline Dion – «My Heart Will Go On»

Production: Walter Afanasieff, James Horner, Simon Franglen
Écriture-composition: Will Jennings, James Horner
Année: 1997

«Les ballades sentimentales durent bien plus longtemps que les cyniques qui les méprisent, écrit le chef du service culture de Slate Forrest Wickman. Le morceau “Yesterday” des Beatles, l’une des ballades les plus sentimentales du répertoire plein de ballades du groupe anglais, est sans doute le morceau le plus repris de tous les temps.» Chuck Klosterman ne dit pas autre chose: il estime que la réputation de ce tire-larmes «s’améliorera lorsque Céline Dion mourra et que le public décidera de réinventer son statut historique pour la faire passer pour une véritable chanteuse à voix (ce qui semble inévitable)». Dan Kois pressent également que «les gens regarderont encore Titanic dans cinquante ans», si bien qu’il ne fait aucun doute que «My Heart Will Go On» sera écoutée pendant encore bien longtemps.

14. Santana ft. Rob Thomas – «Smooth»

Production: Matt Serletic
Écriture-composition: Itaal Shur, Rob Thomas
Année: 1999

Celle-ci ne nous satisfait pas non plus. De toutes les chansons de l’explosion de la pop latino de 1999 et de tous les hits qui sont arrivés depuis, de l’incontournable «Hips Don’t Lie» au succès planétaire de Daddy Yankee «Gasolina, en passant par le titre de tous les records de l’été 2017 «Despacito», comment est-il possible que le seul morceau latino de cette liste soit interprété par le gars du groupe Matchbox Twenty? Ce n’est pas la faute des Latinos, comme l’indique Isabelia Herrera dans un autre article de cette série, dans lequel elle s’intéresse à l’avenir de la pop latine d’aujourd’hui. Au moins, ce morceau –qui a reçu un Grammy Award– n'est pas placé trop haut dans ce classement. Après tout, «Smooth» s’est classé en tête du classement Billboard 2002 des plus gros hits de l’ère du rock et dans la réévaluation de 2018 de la publication, il est arrivé deuxième derrière «The Twist». En d’autres termes, ce morceau est resté tellement longtemps dans la playlist des radios et dans nos lecteurs CD que l'on est condamnés à l’écouter. Même les membres de notre panel l’ont nommé à contrecœur. Rembert Browne explique pourquoi il a choisi ce titre de façon très succinte: «Parce que la Terre est un champ de ruines».

13. Lauryn Hill – «Doo Wop (That Thing)»

Production: Lauryn Hill
Écriture-composition: Lauryn Hill
Année: 1998

«Sans doute la chanson la plus durable de l’un des albums les plus importants de ces vingt-cinq dernières années, écrit Carl Wilson. Elle est très facile à chanter, elle mêle parfaitement R&B et hip hop et elle est encore énormément reprise et samplée.» Jack Hamilton concorde, et fait remarquer que c’est «une chanson que de très nombreuses personnes connaissent par cœur, même si elles n’étaient pas nées quand elle est sortie».

12. Drake – «Hotline Bling»

Production: Nineteen85
Écriture-composition: Aubrey Graham, Paul Jefferies, Timmy Thomas
Année: 2015

Quand le morceau «Hotline Bling» est entré dans nos vies avec sa danse de papa en 2015, et est devenu le plus gros hit de Drake, il semblait parfaitement calibré pour n’être qu’un feu de paille, sa croissance dans les charts étant autant alimentée par les GIF et Vine raillant les mouvements de Drake que par la musique elle-même. Mais depuis sa sortie, ses caractéristiques très actuelles en ont fait un morceau paradoxalement plus durable. Comme l’écrit Jack Hamilton, «son invocation bizarrement spécifique de la technologie (“You used to call me on my cellphone” [“Avant, tu m’appelais sur mon portable”]), semble être la raison de sa durabilité insolente», en tant que relique niaise de son époque. Si on l’écoutait encore dans cent ans, «Hotline Bling» rejoindrait une  fière tradition de hits «décalés» qui se sont révélés bien plus persistants que ce que leurs contemporains auraient pu prédire. Ce faisant, ce titre entretiendrait la notoriété d’un autre morceau étonnamment durable, le «Why Can’t We Live Together», le morceau de rock-bossa nova de Timmy Thomas dont il est tiré. Tout comme on danse toujours le twist sur du Chubby Checker près de cinquante ans après nos grands-parents, ne soyez pas surpris si vous voyez un jour votre arrière-petite-fille faire le geste du «Ahhh, dégage de ma jambe sale tique!».

11. Eminem – «Lose Yourself»

Production: Eminem, Jeff Bass, Luis Resto
Écriture-composition: Marshall Mathers
Année: 2002

La misogynie faussement transgressive des singles novateurs de Marshall Mathers nous laisse un goût d’amertume après moins de deux décennies, mais son autobiographie romancée, 8 Mile, a donné la possibilité au rappeur de se bâtir un personnage moins abrasif que Slim Shady. La cascade de rythmes infernaux, tantôt inspirés tantôt forcés, fait de «Lose Yourself» un incontournable de karaoké pour les personnes qui savent un peu rapper mais chantent totalement faux. Et puis, il y a cet impressionnant riff de guitare qui persistera car, comme l’écrit Franz Nicolay, «il y aura toujours les stades».

10. Carly Rae Jepsen – «Call Me Maybe»

Production: Josh Ramsay
Écriture-composition: Carly Rae Jepsen, Josh Ramsay, Tavish Crowe
Année: 2012

Morceau de bubblegum pop le plus irrésistible de la décennie, «Call Me Maybe» a complètement hypnotisé l’Amérique en 2012, et la passion ne s’est toujours pas éteinte. Cet hymne d’exaltation fébrile «a provoqué une nostalgie immédiate, dès le moment où il a acquis le statut de hit», écrit Chris Molanphy. Depuis, il est devenu une «abréviation pour “les années 2010”, note le critique Steven Hyden, tout en étant parfaitement adapté pour les mariages et les “kiss cams” des événements sportifs américains». En d’autres termes, bon nombre d’Américaines et d'Américains ont été filmés en train de chanter la chanson en 2012, et ce n’est pas fini. Parfois, les amours de jeunesse durent toujours.

9. TLC – «Waterfalls»

Production: Organized Noize
Écriture-composition: Marqueze Etheridge, Lisa Lopes, Organized Noize
Année: 1994

Comme l’ont indiqué les membres de notre panel, les sentiments de cette chanson sont universels, sa mélodie est immortelle et elle est facile à jouer, si bien qu’elle a inspiré de nombreuses reprises –dont une de Meshell Ndegeocello, entre autres– et de performances improvisées. Plus important encore, comme l’écrit Chris Molanphy, «son titre est entré dans le vocabulaire courant». Tout le monde a une «waterfall» [«cascade», employée pour représenter un objectif trop ambitieux, ndlr] et on se rappellera qu’il ne faut pas la poursuivre, même lorsque le changement climatique aura entraîné la disparition des fleuves et lacs d’aujourd’hui.

8. The White Stripes – «Seven Nation Army»

Production: Jack White
Écriture-composition: Jack White
Année: 2003

Ce morceau de rock martelant a «déjà été complètement adopté dans le monde des groupes de musique universitaires, écrit Chuck Klosterman. Les gens du futur ne connaîtront peut-être pas toutes les paroles (ou pas du tout), mais le riff principal parlera toujours à tout le monde.» Forrest Wickman et Steven Hyden conviennent du caractère «inévitable» de ce morceau, repris en cœur dans les stades. Forrest Wickman ajoute: «C’est non seulement l’un des riffs les plus mémorables de l’histoire du rock, mais c’est aussi l’un des plus faciles. En tant que tel, ce sera l’un des premiers morceaux qu’apprendront les guitaristes en herbe pendant de nombreuses décennies, à côté de “Sunshine of Your Love”, “Smoke on the Water”, etc.»

7. Mariah Carey – «All I Want for Christmas Is You»

Production: Mariah Carey, Walter Afanasieff
Écriture-composition: Mariah Carey, Walter Afanasieff
Année: 1994

Le plus gros hit du XXe siècle est «White Christmas», et «All I Want for Christmas Is You» semble être le «White Christmas» du XXIe siècle. Des années avant que nous ne lancions ce projet, Adam Ragusea écrivait déjà dans Slate que c’était la «seule chanson de Noël écrite au cours du demi-siècle dernier qui mérite d’être inscrite dans le Recueil de chansons américaines». Depuis, l’hymne des fêtes de fin d’année de Mariah Carey a encore gagné en popularité, atteignant une place jamais atteinte dans le Hot 100 de Billboard en 2015 et se hissant même dans le top 10 pour la première fois en 2017, vingt-trois ans après sa sortie. Pour une analyse musicologique de ce phénomène, il suffit de lire l’article d’Adam Ragusea, mais plusieurs membres de notre panel étaient d’accord. Dan Kois estime que ce morceau «vivra tant qu’on fêtera Noël» et Chuck Klosterman prédit avec audace que «Noël restera populaire». Sur cette onction du classique de Mariah Carey, Rembert Browne conclut: «C’est la seule réponse qui est clairement vraie».

6. Mark Ronson ft. Bruno Mars – «Uptown Funk»

Production: Mark Ronson, Jeff Bhasker, Bruno Mars
Écriture-composition: Jeff Bhasker, Philip Lawrence, Peter Hernandez, Mark Ronson, Nicholas Williams, Devon Gallaspy, Lonnie Simmons, Charles Wilson, Ronnie Wilson, Robert Wilson, Rudolph Taylor
Année: 2014

Il a fallu des mois à Mark Ronson et Bruno Mars pour créer cette compilation de hits en un seul morceau, mais leur travail devrait payer pendant des décennies. Comme l’écrit Chris Molanphy, ce «classique instantané […] crée un genre hybride et rend accessible tout un segment du R&B du début des années 1980 que les stations de radio de pop blanche ne passaient pas au départ». Il en résulte un ovni mêlant du Gap Band, du Zapp, du Morris Day et du James Brown post-disco, qui a dépassé presque toutes ses sources dans les charts et devrait leur survivre. Comme le dit la chanson: «Don’t believe me? Just watch» [«si vous ne me croyez pas, regardez!»].

5. The Notorious B.I.G. – «Juicy»

Production: Poke of Trackmasters, Pete Rock
Écriture-composition: Christopher Wallace, Hunter McIntosh, Sean Combs, Pete Rock, Jean-Claude Olivier, Samuel Barnes
Année: 1994

Ce morceau a été empreint de nostalgie dès sa sortie, et ce phénomène a encore gagné en intensité avec la mort de Biggie. Il est d’autant plus bizarre que toutes les références du monde du rap que Christopher Wallace passe les couplets à énumérer –«Vous vous souvenez de Rappin’ Duke, demande-t-il, et votre réponse est très certainement «non»– étaient déjà obscures à l’époque. D’autres aspects sont néanmoins intemporels. Comme le fait remarquer Jack Hamilton dans son essai sur le succès étrangement durable de «Juicy», «à son niveau le plus basique, “Juicy” est l’histoire d’une ascension sociale, un genre américain classique largement représenté dans le hip hop». Le sample puissant de Mtume n’est certainement pas non plus étranger au succès du titre. Mais la raison principale de la durabilité de «Juicy» est Notorious B.I.G. lui-même, selon Jack Hamilton: «Christopher Wallace est l’une des figures majeures de la musique de la fin du XXe siècle. C’était un génie, en ce sens qu’il savait transformer le rap hardcore en pop à succès grâce à une combinaison de technique, de vision artistique et d’une énorme dose de charisme musical.»

4. Kelly Clarkson – «Since U Been Gone»

Production: Max Martin, Dr. Luke
Écriture-composition: Max Martin, Lukasz Gottwald
Année: 2004

Chanson pop la plus criée des années 2000, «Since U Been Gone» est le point culminant de deux tendances du début du siècle: la pop adolescente des années 1990 (comme celle écrite par l’expert en hits Max Martin) et les riffs du rock alternatif des années 2000 (comme ceux de «Maps» du groupe Yeah Yeah Yeahs, imaginés par Dr. Luke, le protégé de Max Martin désormais décrié). «Cette combinaison est irrésistible pour tout le monde, des fans de pop aux snobs du rock», écrit Forrest Wickman. Et «alors que les histoires sur R. Kelly ternissent “Ignition (Remix)” de façon irréparable, ou au moins jusqu’à la fin de ses jours, cette collaboration est jusqu’à présent passée sous les radars, et il ne faut pas jeter le bébé de Kelly Clarkson avec l’eau du bain de Dr. Luke». De nombreux autres membres du panel étaient du même avis. «Que ce soit à un mariage, dans un bar ou à un karaoké, dès que ce morceau passe, tout le monde chante le refrain. Tout le monde», explique Aisha Harris. Dan Kois ne pourrait être plus clair: «Tant que les filles feront des road trips post-rupture, elles entonneront cette chanson.»

3. Beyoncé – «Single Ladies (Put a Ring on It)»

Production: Christopher Stewart, Terius Nash, Beyoncé
Écriture-composition: Christopher Stewart, Terius Nash, Thaddis Harrell, Beyoncé
Année: 2008

«Il y aura toujours des enterrements de vie de jeune fille dont les participantes se saouleront et voudront danser, écrit Chuck Klosterman. Je ne sais pas si cette réalité a été prise en compte lors de l’écriture de ce titre, mais il est parfaitement adapté à ce type d’événement en particulier.» Nombre des membres de notre panel sont d’accord sur ce point, et Forrest Wickman considère que «cette chanson sera jouée lors des mariages et enterrements de vie de jeune fille jusqu’à la fin des temps (bien plus longtemps, ironiquement, que la chanson “End of Time” de Beyoncé)». Jack Hamilton, néanmoins, pense que le public de ce «morceau parfait» est bien plus large, et il note qu’il «n’y aura jamais PAS de public pour une chanson valorisante et exubérante à propos du fait d’être célibataire».

2. Jay-Z ft. Alicia Keys – «Empire State of Mind»

Production: Al Shux
Écriture-composition: Angela Hunte, Alicia Keys, Alexander Shuckburgh, Bert Keyes, Janet Sewell-Ulepic, Shawn Carter, Sylvia Robinson
Année: 2009

Tous les membres de notre panel ont été d’accord sur le facteur principal qui nous a poussés à mettre «Empire State of Mind» sur notre liste: comme le dit Steven Hyden, c’est la «myopie des New-Yorkais». «Parfois, une chanson persiste parce que la ville dont elle parle a un besoin irrépressible de se célébrer elle-même, reconnaît Dan Kois. C’est pour cela qu’on connaît toujours “New York, New York”, et c’est pour cela que les gens du futur connaîtront ce morceau.» Et le souffre-douleur préféré de tout le monde, la presse, est aussi à blâmer. Comme le souligne Chuck Klosterman, «la prédominance écrasante des médias new-yorkais conduit à un référencement plus large et plus durable des chansons portant sur New York, si bien que de nouvelles générations de public découvrent constamment ces morceaux».

1. Outkast – «Hey Ya»

Production: André 3000
Écriture-composition: André 3000
Année: 2003

Ce standard du futur, un hit hybride, a «le meilleur hook de l’histoire», écrit Ann Powers. Preuve en est que vous ne pouvez pas vous empêcher de passer en revue mentalement les nombreux éléments entraînants de ce numéro un pérenne et de vous demander: «Attends, lequel?». Bien sûr, il y a le refrain-titre, à la fois triomphal et mélancolique –si certains membres du panel l’ont décrit comme «une expression de joie pop pure», les paroles indiquent que le chanteur s’inquiète du caractère passager de l’amour. Mais il y a aussi les mains qui claquent à la fin de chaque couplet, tels des points d’exclamation, la section question-réponse qui donne au public la possibilité de rétorquer avec la punchline «cooler than cool» [«plus cool que cool», ndlr], le pont «Shake it like a Polaroid picture» [«Secoues-toi comme tu secoues un Polaroid», ndlr] que l’on entonnera bien après avoir oublié l’intérêt de secouer les Polaroids, et même la répétition de quatorze «All rights», qui incarne l’universalité de la pop –et le côté bizarre d’André 3000. (Et il y a enfin la mesure, qui est soit une 4/4 standard ou une étrange 11/4, selon à qui vous demandez.)

Tous ces hooks ont déjà été transmis aux nouvelles générations. Comme l’écrit Dan Kois, «la première fois que j’ai fait écouter ce morceau à mes enfants, c’est comme s’ils l’avaient déjà entendu 1.000 fois». Si l'on dit que rien ne dure éternellement, «Hey Ya» pourrait bien être l’exception qui confirme la règle.

cover
-
/
cover

Liste de lecture