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Pour la Manif pour tous, le constat est clair: il existe en France une «opposition franche à l’idée de PMA pour les couples de femmes et les célibataires». Cette affirmation dévoilée dans un communiqué s’appuie sur les résultats d’un sondage Ifop. Basée sur un échantillon de 1.012 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, l'étude a été réalisée en partenariat avec le mouvement anti-mariage pour tous les 18 et 19 septembre 2018.
Pourtant, si la Manif pour tous est catégorique, l’institut de sondage l’est beaucoup moins. «Il n’existe aucun consensus d’opinion concernant la procréation médicalement assistée (PMA) et notamment son extension», peut-on lire dans la synthèse de l’enquête.
Interprétation par dérivation
Tout est en réalité question d’interprétation. Sur quatre questions, aucune ne mentionne clairement la proposition: «Êtes-vous pour ou contre l’ouverture de la PMA aux couples de femmes homosexuelles et aux femmes célibataires?»
L'Ifop préfère se concentrer sur un chiffre: 50% des personnes interrogées considèrent que les enfants nés sous PMA seraient victimes d’une inégalité par rapport aux enfants qui ont un père et une mère, contre 50% considérant que ce n'est pas le cas. La Manif pour tous, elle, met davantage l’accent sur un autre résultat: 82% des Français et Françaises estiment que l’État doit garantir aux enfants nés par PMA le droit d’avoir un père et une mère.
[SONDAGE] Les Français de plus en plus opposés à la PMA en l’absence de père. #PMAsansPère
— La Manif Pour Tous ن (@LaManifPourTous) 22 septembre 2018
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Aussi frappant soit-il, ce chiffre ne mesure pas le soutien à l’élargissement de la PMA mais le rapport à la parentalité, comme le relève Erwan Lestrohan, directeur d’études au département opinion à l’institut BVA: «Il y a une interprétation par dérivation. On est dans une opération de communication et moins dans une démarche de sondage de l’opinion.» Un avis partagé par le directeur de l’Observatoire des sondages, Richard Brousse, qui parle même de «malhonnêteté».
Lorsque la question «À propos de la procréation médicalement assistée ou PMA, êtes-vous favorable ou opposé à son ouverture à toutes les femmes?» est posée, comme par exemple par Ipsos pour France Télévisions en juin 2018, le résultat est positif: 75% des personnes interrogées se déclarent «tout à fait favorables» ou «plutôt favorables».
Interrogée au téléphone, la présidente de la Manif pour tous, Ludovine de la Rochère, explique sans problème cet écart: «On est tous spontanément ouverts à un nouveau droit, mais quand on rentre dans le concret et que l'on explique que l’enfant n’aura pas de père ou de mère, les réponses sont différentes.»
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Implication méthodologique
Sur le sujet de l’extension de la PMA, 20% des Français et Françaises oscilleraient ainsi en fonction de la formulation des questions, selon le directeur du département opinion de l’Ifop, Jérôme Fourquet. Quant aux autres 80%, 40% resteraient pour quel que soit le libellé, et 40% contre.
L’analyse politique soulève plusieurs hypothèses. «Tout d’abord, toute la population ne se passionne pas pour ce débat et n’y a pas forcément réfléchi. Et puis, c’est un thème pointu. Tout le monde n’a pas en tête les deux argumentaires, à savoir le droit à avoir un enfant et le droit de chaque enfant à avoir un père. En fonction de celui-ci, les réponses peuvent fluctuer», souligne Jérôme Fourquet.
«Nous avons envoyé à l’Ifop de nombreuses questions avec nos mots à nous. L’institut les a ensuite formulées de manière académique.»
Le but de la Manif pour tous ne fait pas mystère: le mouvement entend sonder l’opinion à propos des droits de l’enfant. «C’est essentiel, il s’agit de la première personne concernée», indique l’ancienne chargée de communication à la Conférence des évêques de France.
Ludovine de la Rochère reconnaît volontiers l’implication de l’association dans l’élaboration du sondage réalisé par l’Ifop le 18 et 19 septembre: «Nous avons envoyé à l’Ifop de nombreuses questions avec nos mots à nous. L’institut les a ensuite formulées de manière académique. Il y a des questions préparées par l’Ifop que nous avons refusées.»
Le collectif n’est pas le seul à tenter de servir sa cause. De l’autre côté de l’échiquier idéologique, l’Association des familles homoparentales (AFDH) tente également de faire entendre sa voix, cette fois en privilégiant les questions ayant trait au droit à avoir un enfant. Mais en faisant appel, elle aussi, à l’Ifop!
Dans un sondage publié en juin 2018, la question est formulée de façon bien différente à celles utilisées dans les études commandées par le mouvement anti-mariage pour tous: «La procréation médicalement assistée (PMA) est une technique de procréation artificielle autorisée en France aux seuls couples hétérosexuels souffrant d’un problème de stérilité ou susceptibles de transmettre une maladie grave à leur enfant. Personnellement, seriez-vous tout à fait favorable, plutôt favorable, plutôt défavorable ou tout à fait défavorable à ce que les personnes suivantes désirant un enfant puissent avoir recours à l’insémination artificielle (ce qu’on appelle aussi la PMA) pour avoir un enfant? -Les couples de femmes homosexuelles -Les femmes célibataires». 64% des sondées et sondés se déclarent pour dans le cas des couples de femmes homosexuelles et 66% dans celui des femmes célibataires.
Questions biaisées
En deux ans, la Manif pour tous a commandé quatre sondages en lien avec la PMA, le dernier réalisé avec l’Ifop et les trois autres –publiés en septembre 2016, juin 2017 et septembre 2017– avec OpinionWay. Dans ces études, comme dans celle de l’Ifop, la phrase «Êtes-vous pour ou contre l’élargissement de la PMA à toutes les femmes?» n’est pas formulée.
Pour le directeur de l’Observatoire des sondages, Richard Brousse, les questions sont «biaisées»: les personnes interrogées en septembre 2016 devaient par exemple donner leur avis sur «la structure parentale la plus favorable à l’enfant».
Invitées à se positionner quant aux «actions prioritaires d’Emmanuel Macron et du gouvernement» dans les deux enquêtes de 2017, les sondées et sondés découvraient quatorze propositions, dont «la lutte contre le chômage», «la lutte contre le terrorisme» et «Ouvrir le débat sur la filiation (l'assistance médicale à la procréation pour les femmes célibataires et couples de femmes)», et pouvaient en sélectionner trois.
Outre que le sigle «PMA» –plus connu du grand public que «l'assistance médicale à la procréation»– n’a pas été retenu dans la formulation, est-il vraiment pertinent de comparer des thématiques si différentes? «Absolument pas», selon Richard Brousse, qui conteste également l’idée que les personnes interrogées puissent avoir des compétences sur les quatorze sujets. «C’est une blague», résume le coauteur, avec Alain Garrigou, de Manuel anti-sondages. La démocratie n’est pas à vendre!.
Autre exemple: «D’après vous, ouvrir des débats sur les questions de société (mères porteuses, assistance médicale à la procréation pour les femmes célibataires et les couples de femmes, euthanasie...) a pour conséquence de...?» –avec trois options pour répondre: «Diviser les Français», «Rassembler les Français» ou «Ne se prononce pas».
«La réponse est dans la question, s’insurge Richard Brousse. S’il y a débat, il y a forcément division. Et puis, on peut être pour ou contre l’élargissement de la PMA et choisir la première réponse. On va agréger des personnes qui ne sont pas d’accord entre elles.»
Une semaine après la publication de son sondage réalisé pour la Manif pour tous, l’Ifop révélait une autre enquête sur le même sujet. Et cette fois-ci, les résultats obtenus avec la même méthodologie n’étaient pas en faveur du mouvement anti-mariage pour tous. Selon cette étude commandée par CNews et Sud Radio, les personnes sondées restaient majoritairement favorables à l’extension de la PMA à toutes les femmes –une tendance également observée depuis trois ans par l’institut de sondage BVA.