Égalités / Culture

Vous voulez être à niveau question racisme? Regardez du stand-up

Netflix regorge de spectacles d'humoristes féministes, LGBT+, anticolonialistes, noirs, arabes qui attaquent de tous les côtés les chefs de la chaîne alimentaire humaine.

Chris Rock se produit lors de la soirée de charité du Movement Voter Project à Brooklyn (New York), le 24 octobre 2018. | Michael Loccisano / Getty Images North America / AFP
Chris Rock se produit lors de la soirée de charité du Movement Voter Project à Brooklyn (New York), le 24 octobre 2018. | Michael Loccisano / Getty Images North America / AFP

Temps de lecture: 5 minutes

Vous en avez marre de ce faux débat sur le racisme anti-blanc? C'est sûrement parce que vous n'avez pas vu le spectacle d'Hannah Gadsby, Nanette sur Netflix. Au premier tiers de son show de stand-up, elle sort la phrase qui résume tout: «Les hommes blancs hétéros vivent une sale époque». En tant que lesbienne australienne (plus précisément de Tasmanie), elle explique ce que toutes les minorités ressentent.

Les Zemmour et compagnie surfent sur la vague des «white tears» [«larmes de Blancs», qui désigne le fait pour une personne blanche de se placer en victime en mentionnant par exemple le racisme anti-blanc] quand, en fait, ils sont tout en haut de la chaîne alimentaire humaine depuis des siècles. Ça fait plaisir quand ils sont attaqués de tous les côtés (par les féministes, LGBT+, anticolonialistes, Noirs et Arabes... tous ceux et celles qui, comme les personnes handicapées, attendent que la société réponde à leurs attentes). Pour la première fois depuis Mai-68, les hétéros blancs se sentent pourchassés par des femmes qui n'acceptent plus qu'on les maltraite ou qu'on les bloque dans des jobs moins bien payés que les hommes. Forcément, ils deviennent paranoïaques alors que ce sont eux qui ont établi les règles.

Rien de nouveau sur ce sujet. Des films comme Dear White People (et la série télé correspondante) ont déjà fait la liste de ce que l'on reproche aux Blancs hétéros. Personnellement, je suis le premier à féliciter ces derniers pour leurs efforts depuis vingt ans. En tant que gay, je les trouve plus tolérants que jamais, et curieux sexuellement aussi. Ils ont appris à faire attention à ce qu'ils disent, exactement comme toute personne blanche doit tourner sept fois la proverbiale langue dans sa bouche avant d'adresser la moindre phrase aux personnes racisées. C'est comme s'amuser dans un club majoritairement noir, il faut savoir garder sa place.

 

Répondre à Zemmour

Mais une minorité agissante de la majorité (particulièrement en France où l'universalisme républicain est dans l'impasse et peine à faire évoluer les droits des minorités) sort des horreurs à chaque fois qu'elle est invitée sur les plateaux télé. Se moquer d'une femme parce qu'elle a un nom qui ne ressemble pas à Marie-Chantal? Se glorifier parce que ce sont les Blancs qui ont mis fin à l'esclavage? Rabrouer une journaliste parce qu'elle a un accent du sud? Il faut dire qu'on ne fait pas le poids: il y a toujours aussi peu de personnes représentant les minorités de ce pays, c'est pour ça que Rokhaya Diallo est attaquée tous les jours alors qu'elle a la bonne réponse sur tous ces sujets. Pendant ce temps, le nombre de présentateurs télé homosexuels au placard (on vous a reconnus) atteint un record en Europe, car tous les autres pays voisins sont en avance sur nous. On arrive au comble avec la PMA où n'importe qui est invité à la télé à la place des premières intéressées (les femmes et les lesbiennes).

Le pire, c'est que toutes ces questions sont réglées si on prend le temps de rire. Netflix regorge de stand-up par les plus grandes et grands comiques qui établissent un consensus sur les sujets qui fâchent. Si vous voulez un rattrapage rapide, allez directement vers Contrarian (2018) de D.L. Hughley. Mais si vous voulez du lourd, regardez Chris Rock qui commence son dernier spectacle, Tamborine (2018) par une critique de la violence policière anti-Noirs. Il trouve que ce serait bien, au moins de temps en temps, que ce soient de jeunes Blancs qui se fassent tuer par la police. Juste pour équilibrer le ratio. Pendant tout le spectacle, il explique comment il éduque ses enfants au «danger blanc». Tout ce qui est blanc dans sa maison est soit très lourd, très coupant ou brûlant (ce qui est très douloureux à chaque fois qu'on va aux toilettes, lol).

 

 

Dave Chappelle, pratiquement l'artiste le plus respecté du stand-up américain, ose dire que la transition de Caitlyn Jenner sent le privilège blanc: Cassius Clay a eu plus de difficulté pour changer son nom que Caitlyn Jenner de sexe. Dans The Age of Spin (2017), Dave Chappelle raconte les protestations suite à ce genre de blague et répond: «Tu sais que tu parles de discrimination à un homme noir?».

Des féministes déchaînées!

Le meilleur est à venir avec Ali Wong. Franchement, je ne comprends pas pourquoi cette Américaine d'origine asiatique n'est pas plus connue en France, mes amis ne savent pas qui elle est. Dans ses deux stand-up pour Netflix (Baby Cobra en 2016 et Hard Knock Wife en 2018), elle est à chaque fois enceinte de sept mois et enchaîne les blagues les plus crues sur le sexe et l'injustice faite aux femmes pendant la grossesse et après l'accouchement. Elle retourne les clichés sur toutes les ethnies: Blancs, Asiatiques, Noirs, Mexicains, Juifs, tout le monde y passe. C'est la seule à se moquer des Ethnic studies en disant que c'est le cursus qui apprend à tout mettre sur le dos des Blancs (on pourrait ajouter que les Queer studies sont le cursus qui met toute la faute sur le dos de l'homme blanc hétéro). Comme elle a grandi dans le Hood à Los Angeles et qu'elle est très influencée par le hip-hop, elle peut faire rire en racontant qu'elle n'a rencontré qu'un seul micropénis dans sa vie –et il appartenait à un Noir (ses amis noirs n'étaient pas contents du tout et voulaient tuer le mec en question car cette réputation sacrée ne peut en aucun cas être entachée!).

 

 

Hannah Gadsby a eu des critiques dithyrambiques pour son spectacle Nanette, tout d'abord parce que les lesbiennes sont rares dans le stand-up, mais surtout parce que son humour est hautement philosophique, incorporant un incroyable cours sur l'histoire de l'art, ce qui n'est pas courant dans ce genre comique. Mais son point central, c'est qu'elle annonce la fin de sa carrière dès la dix-septième minute du spectacle car elle ne veut plus, en tant que femme et en tant que lesbienne, faire rire grâce à l'autodérision.

C'est une déclaration qui a de nombreuses répercussions. Elle assure que le rire n'est pas libérateur, ce qui est son droit, mais en claquant la porte, elle met dans l'embarras tous les autres humoristes. Pour elle, le rire est de l'abus de soi-même. En effet, le stand-up est le seul endroit où les comiques se déshabillent pour aborder les sujets que personne n'ose toucher. C'est pourtant ce qui le rend si thérapeutique, mais Hannah a un point: elle ne veut pas être un exemple pour les femmes qui se rabaissent pour faire rire leur public.

 

 

«Plus facile d'être noir» 

En France, nous sommes en retard sur ces thèmes minoritaires parce que l'homme blanc n'ose pas regarder les spectacles qui parlent de lui. C'est comme Obama qui disait que sa série télé préférée était The Wire tout en considérant que toute personne travaillant à la Maison-Blanche devait connaître par cœur The West Wing («À la Maison-Blanche»). Les leçons du stand-up devraient être un pré-requis pour les leaders qui interviennent dans la parole publique, exactement comme tout critique de cinéma doit forcément connaître Hitchcock.

Les gens ne comprennent pas Rokahya Diallo quand elle souligne qu'il n'y a pas de pansements commercialisés pour les personnes de couleur. Mais c'est une blague très connue aux États-Unis, Rokhaya n'a rien inventé, elle met juste le doigt sur une injustice qui fait que, parfois, les Noirs n'ont pas envie de mettre un pansement de couleur beige, c'est tout. C'est un marqueur comme un autre du manque de diversité et elle fait réfléchir sur le monopole blanc, exactement comme chaque personne LGBT+ qui se fait tabasser à Paris est un marqueur de l'homophobie. Les «white tears», c'est juste une plainte de personne privilégiée qui tient mordicus à ses privilèges.

Car c'est partout: il y a deux mois, j'étais invité aux universités d'été d'Europe Écologie – Les Verts à Strasbourg. À la fin de l'atelier sur les minorités, sur trente personnes à peine, il y en a deux qui ont osé sortir: «Des fois je me dis que ça aurait été plus facile pour moi si j'avais été noir». Seriously? Ils osent dire ça, devant tout le monde! Allez en parler aux personnes d'origine africaine qui attendent leur naturalisation depuis dix, vingt, vingt-cinq ans! Alors qu'elles travaillent et payent leurs impôts comme tout le monde. C'est la punchline du dernier stand-up de l'Américain d'origine palestinienne, Mo Amer (The Vagabond, 2018). À force d'être gentil avec tout le monde et d'être traité comme un perpétuel étranger, on a envie de tout faire sauter.

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