Culture

Mon petit chat est mort

[Blog, You will never hate alone] Je ne sais pas s'il m'aimait, et à dire vrai, je m'en fiche royalement. Je sais seulement que tous les deux, nous étions inséparables.

Chat du cimetière | Gunera via Flickr CC <a href="https://www.flickr.com/photos/gunera/36738149165/">License by</a>
Chat du cimetière | Gunera via Flickr CC License by

Temps de lecture: 3 minutes

C'était hier.

Depuis des mois maintenant, mon chat était entré dans l'hiver de sa vie. Portant fièrement ses dix-huit années mais accablé par le lent passage du temps qui affaiblit les corps les plus robustes, il avait perdu de sa prestance et hagard, rompu de rhumatismes, fourbu comme s'il portait sur ses épaules une charge bien trop lourde à supporter, il traînait sa peine à l'ombre de l'appartement, ombre parmi les ombres, fantôme d'une vie qui avait fini par le rattraper.

Il n'avait plus goût à rien. Les jeux d'autrefois ne l'inspiraient plus et même les friandises que je lui tendais, il les regardait d'un air morne comme si tout cela ne le concernait plus. La vérité était qu'il avait vécu trop longtemps. Il avait vu mille et un pays, voyagé au-dessus des mers et des océans, visité un nombre incroyable de maisons, arpenté moult appartements, vécu ici et là et encore ailleurs, exploré à s'en donner le tournis jardins et forêts, montagnes et greniers, impasses comme caves et désormais, plein de cette vie qui l'avait tant comblé, il attendait juste le bon moment pour tirer sa révérence.

Alors samedi matin, de ce courage qui est celui du soldat quand il monte au front pour mieux devancer sa mort, il s'en est allé se cacher sous mon bureau, là où d'habitude il ne se rendait jamais, dans cet espace qui d'ordinaire sert juste à mes jambes à s'étendre. C'est là que je l'ai trouvé après l'avoir cherché tant et plus. Il m'attendait. Quand nos regards se sont croisés, au milieu de cette pénombre propice aux épanchements intimes, j'ai enfin compris que sa dernière heure était arrivée. Qu'il me demandait de le soulager de ce fardeau qu'était devenu sa vie. Qu'il était arrivé au bout de sa route. Et qu'il me fallait me résoudre à le laisser partir.

Je l'ai pris dans mes bras et une dernière fois, les yeux déjà embués d'un insupportable chagrin, le tenant contre ma poitrine tremblante des premiers sanglots, je lui ai dit merci. Merci de m'avoir accompagné si longtemps. Merci d'avoir été là, tout le temps, dans les bons comme dans les mauvais jours. Merci d'avoir enchanté mon existence comme personne ne l'avait fait jusqu'alors. Merci pour ces éclats de rire et ces moments de joie qu'il m'avait donnés sans compter. Merci pour tout. Merci de m'avoir laissé le caresser. Merci de m'avoir offert, jour après jour, le spectacle de sa triomphante beauté, de sa grâce, de ses ravissants atours dont jamais je ne m'étais lassé. Merci d'avoir été ce compagnon fidèle, cette crème de chat, cet ami, ce copain, ce clown, cet autre dans lequel je me reconnaissais. Lui bien sûr ne m'a rien dit, mais j'ai senti au fond de ses prunelles presqu'éteintes, comme un aveu, le temoignage de sa reconnaissance et le soupir d'avoir eu une vie vraiment remplie.

Je ne sais pas s'il m'aimait, et à dire vrai, je m'en fiche royalement. Je sais seulement que tous les deux, nous étions inséparables. Que l'un n'allait pas sans l'autre. Que quand l'un s'ennuyait, il venait voir l'autre pour égayer son quotidien. Que nos batailles étaient aussi fraternelles que tendres. Que nous nous respections. Que nous nous comprenions. Lui avec ses souris, moi avec mes livres. Et comme je passais la plupart de mes journées à la maison, il s'était formé entre nous une complicité que même les plus ardents des amants, les plus fougueux des couples, ne connaîtront jamais

Lui disparu, je me sens comme amputé. Vide. Exsangue de toute force et de toute envie.

Mon cœur est lourd d'une tristesse infinie. Je l'ai pleuré, je le pleure, je le pleurerai encore longtemps. Je crois que je n'ai pas encore réalisé qu'il est parti pour de bon. Encore ce matin, à peine sorti du lit, il m'a fallu un long moment avant de réaliser que plus jamais il ne viendrait se frotter à mes jambes, que plus jamais il ne miaulerait pour demander son repas, que plus jamais, pendant que le café prendra le temps de s'écouler, je ne le verrai laper sa gamelle, tout en me racontant sa nuit pleine d'exploits inédits.

Ce n'est pas qu'il me manque, c'est bien pire que cela.

Les esprits secs qui ne voient dans les animaux de compagnie que des peluches attendrissantes me trouveront exubérant dans ma peine. Qu'importe! Les chats et les écrivains sont toujours deux solitudes qui se rencontrent et se complètent. Elles se répondent et finissent par former une entité inséparable. Et quand l'un s'en va, l'autre part un peu avec lui.

Il s’appelait Woody.

Il a vécu dix-huit ans, deux mois et cinq jours.

Je l'aimais comme chat et comme ami.

Adieu, petit bonhomme.

Prends bien soin de toi, et quand l'envie te viendra de me rendre visite, tu sais où me trouver. Dans cet imaginaire dont nous savons tous les deux qu'il s'étend bien au-delà des simples passions humaines.

À bientôt alors.

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