Égalités / Société

Ne laissons pas l'espace public aux mains de connards homophobes

Pas un jour ne passe sans que l'on ne voit sur les réseaux sociaux le visage tuméfié d'une nouvelle victime d'actes de violence gayphobe, lesbophobe ou transphobe. Jusqu'à quand continuerons-nous de le supporter?

Manifestation en faveur du mariage pour tous, le 27 janvier 2013 à Paris | Thomas Samson / AFP
Manifestation en faveur du mariage pour tous, le 27 janvier 2013 à Paris | Thomas Samson / AFP

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Depuis quelques semaines, on a vu se multiplier les témoignages d'agressions homophobes à Paris et en province. Cela fait quelques jours que l'on voit des articles qui tentent de répondre à la question de savoir si on assiste véritablement à une hausse des agressions, ou un effet loupe d'internet.

On peut discuter des chiffres indéfiniment. La préfecture de police de Paris dit que les agressions sont en baisse par rapport à l'an dernier, mais chez SOS Homophobie, on a reçu 37% d'appels en plus en septembre. Et si l'on prend les chiffres année par année, ils sont faussés par la très forte hausse des agressions au moment du mariage pour tous, qui a ensuite mathématiquement engendré une forte baisse, puis une remontée. 

Enjeu de l'espace public

Mais il y a ce que l'on sait. On sait que la masculinité traditionnelle est depuis quelque temps attaquée, ébranlée, questionnée. Alors elle répond, et elle le fait avec ses armes: la violence, verbale comme physique. Parce qu’elle a peur. Parce qu’elle sent que sa domination s’effrite.

Dans le contexte actuel, pour certains, voir un couple d’hommes qui s’aiment dans la rue est vécu comme une provocation, qui s'ajoute à toutes les déstabilisations du modèle traditionnel de ce que devraient être les hommes et les femmes, les papas et les mamans, les pénis et les vagins.

Cela nous concerne tous et toutes, peu importe notre genre ou nos orientations sexuelles. Parce que derrière, ce qui est en jeu, c’est le pouvoir. Une agression homophobe comme les plus récentes pose la question de l’espace public, quand un individu se sent légitime à cogner un inconnu ou une inconnue dont le comportement et l'apparence lui déplaisent. La liberté de déplacement, la liberté d’être celle ou celui que l'on veut dans l’espace public n'est pas négociable.

Nous devrions être absolument mobilisés sur ce sujet. On s’habille comme on veut, on aime qui on veut, et personne n’a à se cacher. S’il existe des indices qu’une société va mal, son degré d’homophobie est un très bon. Comment la France peut-elle laisser se produire des agressions pareilles sur son territoire? Pourquoi ne nous sentons-nous pas tous et toutes concernées?

Inversion de l’agression

Dans le cas des agressions sexuelles contre les femmes, on entend souvent qu’unetelle n’aurait pas dû porter de minijupe, pas à cette heure-là dans cet endroit, comme s’il existait chez les hommes hétéros une pulsion sexuelle irrépressible. Mais alors, faut-il aussi considérer qu’il y a une pulsion homophobe irrépressible? Que c’est aux victimes potentielles de faire attention, de se rendre invisibles, pour ne pas provoquer l’agresseur? Même Guillaume Mélanie, président d'Urgence Homophobie, qui vient de se faire agresser, s'est senti obligé dans des interviews de préciser: «C'est vrai qu'avec mes amis, on sortait du resto et on prenait un peu de place sur le trottoir, le temps de se dire au revoir», comme s'il éprouvait le besoin de s'excuser d'avoir pris un peu de place.

Il ne faudrait donc pas que des amoureux se roulent des pelles sur le quai du métro, pour préserver la fragilité des connards homophobes? Parce que ces petites choses ne peuvent pas supporter une vision pareille?

Il y en a assez de se farcir ces discours qui cherchent à inverser la responsabilité des agresseurs et des victimes. Il y en a ras-le-cul de faire attention à ne pas provoquer, à ne pas déranger, à rogner sur nos propres libertés parce que les connards seraient des êtres fragiles incapables de se contrôler, infoutus de ne pas balancer leur poing dans la gueule de personnes qu'ils ne connaissent pas.

Et en plus, ces mecs se prévalent d’être forts. Mais si vous êtes si forts, vous devriez pouvoir supporter la vision d’une femme qui tient la main d’une autre femme. À croire que vous avez des couilles en pissenlit –un souffle de liberté, et elles s’envolent.

L’inversion de l’agression est permanente. C’est le même mécanisme qui fait dire que l'on a humilié la France de la Manif pour tous, et qu’il ne faut pas brutaliser les consciences. Mais où est la brutalité? Ce sont des couples de femmes qui agressent de pauvres hétérosexuels dans la rue, ou c’est l’inverse? La classe politique entière devrait dire son soutien aux victimes de ces agressions gayphobes, lesbophobes, transphobes.

Malheureusement, en général, on n’entend rien. Comme si ce n’était pas grave, ou comme si cela ne concernait pas vraiment la société française, puisque ce sont des problèmes de pédés et de gouines et que la France, elle, est hétérosexuelle. Et puis, comme on répond aux féministes que les femmes françaises n’ont pas à se plaindre parce que c’était pire avant et que c’est pire ailleurs, on dit aux homos qu’ils ne sont plus hors la loi (wahou… trop de chance), et que c’est mieux ici qu’en Russie.

Liberté de chacun et chacune en péril

Alors certes, il y a des politiques qui réagissent. Mais quand on voit la déclaration de Valérie Pécresse, c’est la honte.

Les quartiers Nord… Faudrait sérieusement réviser sa carte de Paris. Les dernières agressions à Paris ont eu lieu dans le XVe (Ouest), le XX(Est), le IIe et le Xe(centre) et dans un seul arrondissement du Nord, le XIXe. Mais les quartiers Nord, ça sonne marseillais, ça sonne bande de jeunes de banlieues drogués –et sans doute arabes. Comme pour les agressions contre les femmes, croire qu’elles ne sont le fait que d’une minorité identifiée comme musulmane, c’est se tromper dans l’analyse de la situation. L’homophobie, la lesbophobie et la transphobie sont très bien partagées dans notre société.

On trouve également un ensemble de préjugés rappelant ceux qui construisent par exemple l’antisémitisme. Le mois dernier, à Nîmes, des mineurs avaient mis au point des guet-apens homophobes. Ils contactaient des homosexuels via un site de rencontre, leur donnaient rendez-vous, se pointaient à plusieurs et passaient à tabac la victime avant de la racketter. Les agresseurs ont été arrêtés et ont expliqué leur stratagème par le fait que selon eux «les homosexuels sont faibles et souvent riches». Des cibles parfaites, selon eux. 

Parfois, on entend l’argument selon lequel ça nous concerne tous et toutes parce que ma fille / mon fils pourrait être homo. Mais non, ça nous concerne de façon beaucoup plus directe: ça concerne notre liberté individuelle à circuler dans l’espace public, à être soi-même, à s’habiller comme on le souhaite, à aimer qui l'on veut. Il ne faut pas se dire que ça nous concerne en tant qu'hétéros parce que ça pourrait concerner l'un ou l'une de nos proches non-hétéro: ça nous concerne parce que ça définit la société dans laquelle on choisit de vivre, ce que l'on est capables d'accepter ou non, parce que toute limitation de la liberté d’autrui met en péril ma propre liberté. Si vous êtes hétéro et qu’un gay se fait péter le nez en sortant d’un resto, c’est aussi votre liberté qui en prend un coup.

Et cette semaine, notre liberté, elle avait ce visage. 

Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq.

 
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