Culture

Walt Disney, l'incompris

Réponse aux «relents racistes de Disney».

Temps de lecture: 5 minutes

L'article de Jonathan Schel a suscité des réactions brutales parmi les lecteurs de Slate, d'abord par son avis tranché sur le racisme du dernier film d'animation du studio Walt Disney, parce qu'il aborde la fonction politique du cinéma mais aussi parce qu'il touche au tabou du monde enfantin. Les dessins animés pour enfants sont censés être aussi purs et innocents que ceux pour lesquels ils sont conçus. «Nous faisons tout pour distraire les gens, et puis ensuite, les intellectuels nous apprennent ce que l'on voulait dire», aimait déclarer Walt Disney. Il est pourtant possible de montrer que l'univers de Walt Disney contient une part certaine d'idéologie sans pourtant verser dans une condamnation sans appel d'un studio qui, en 70 ans d'existence, a su évoluer lentement mais sûrement.

De la difficulté de l'analyse de films

Nombre d'erreurs d'analyses concernant le monde de Walt Disney résultent souvent de petits détails que l'on prend pour l'ensemble. Ainsi on sait que Blanche Neige et les sept nains était l'un des films favoris d'Adolf Hitler, et que Goebbels a provoqué la joie du Führer lorsqu'il lui offre des copies de court-métrages d'animation du studio Disney. Certains en ont conclu que l'idéologie hitlérienne et celle de Walt Disney était la même et qu'il existait une communion de pensée entre le leader nazi et le dessinateur hollywoodien. Ces suspicions ont été renforcées lorsque Disney est devenu le «Prince noir de Hollywood» en dénonçant les agissements des «anti-Américains» lors des purges du sénateur McCarthy. On en a déduit que l'Oncle Walt ne pouvait qu'être un antisémite anticommuniste et donc un fasciste comme Hitler. La démonstration est toutefois légère. Walt Disney était avant tout un artiste, très peu religieux selon son biographe Neal Gabler et certainement pas antisémite. De même son anticommunisme soi-disant notoire n'était pas issu d'une croyance profonde dans le capitalisme, mais dans une perception idéale d'une Amérique menacée par le péril rouge. Les intellectuels en ont toujours voulu à Walt Disney parce qu'il ne faisait que raconter des histoires pour enfants et se targuait justement de ne pas verser dans le film politique. Par la suite, lors de la Deuxième Guerre mondiale, les studios Walt Disney donnent une occasion en or de se voir qualifier d'idéologues lorsque près de 94% de leur production consiste en propagande contre l'axe Rome-Berlin-Tokyo. Une fois de plus, Walt Disney agit par patriotisme et non par idéologie. Mais cette distinction dans l'intention échappe à ceux qui veulent condamner le créateur de Mickey, l'un des symboles de l'Amérique presqu'au même titre que l'arche jaunâtre de McDonald's ou le swoosh de Nike. Pour beaucoup, Walt Disney c'est l'Amérique commerciale conquérante. On ne s'étonnera donc pas de l'excès qui pousse Ariane Mnouchkine, en plein conflit du GATT, à qualifier l'ouverture d'Eurodisney en 1992 à Marne-la-Vallée de «Tchernobyl culturel». Walt Disney et son univers représentent encore aujourd'hui un système contre lequel il faut lutter, mais on ne sait pas toujours au nom de quoi.

Les dangers de la projection

Certes, les films de Walt Disney représentent ce conservatisme puritain d'autant plus insidieux qu'ils s'adressent avant tout à un public enfantin. Toutes les catégories d'âge peuvent assister avec intérêt aux longs-métrages d'animation du studio Walt Disney, même si les enfants sont plus sensibilisés que les adultes, qui bien souvent, «ne font qu'accompagner leurs enfants» à un spectacle auquel ils prennent également du plaisir. Si ces dessins animés sont aussi populaires pour les parents, c'est parce qu'ils agissent comme de formidables leçons de morale édictées de manière pédagogique et ludique. Le mal est représenté distinctement, généralement associé à la laideur ou, jusqu'à encore une époque récente, sous les traits de minorités ethniques. La vertu se voit récompensée, le vice puni et il ne se trouve pas un long-métrage d'animation estampillé Disney qui ne se conclut par une fin optimiste. Le politiquement correct règne en maître dans les films de Walt Disney. Mais à force de vouloir décrypter l'univers de Disney, on se retrouve fréquemment dans des cas de projection, où le spectateur ou le critique déchiffrent dans une œuvre des signes à l'aune de leur propre grille de lecture. On assiste alors à des aberrations, le long-métrage d'animation Tarzan, produit par le studio en 1999, ayant été accusé par la communauté afro-américaine de ne mettre en scène que des Blancs. Raciste Tarzan? Voilà bien un excès à mettre du côté du politiquement correct consistant à revisiter les œuvres du passé en fonction du regard du présent. Autre symbole du conservatisme artistique, Tintin a eu droit au même traitement récemment pour sa vision colonialiste de l'Afrique. On voit bien souvent dans les films de Walt Disney ce qu'on veut y voir. Ainsi, alors qu'on aurait pu penser que la Walt Disney Company apparaîtrait comme le refuge de la morale WASP, le studio a été en butte en 1997 au boycott de la part de la puissante église Southern Baptist et de ses 15 millions de membres. Celle-ci reprochait en substance à la Walt Disney Company de faire de la propagande en faveur des homosexuels et de déprécier les valeurs chrétiennes. En conséquence, l'Eglise, forte de ses 40613 temples aux États-Unis, a ainsi voté une résolution incitant chaque Southern Baptist à sérieusement contrôler leur temps, argent et autres ressources afin qu'ils se retiennent d'encourager la compagnie Disney, ainsi que toutes ses sociétés affliliées.

Walt Disney, une entreprise en évolution permanente

La Walt Disney Company est une multinationale qui a généré plus de 37 milliards de dollars de recettes en 2008. Pour parvenir à ce résultat qui lui donne une importance colossale dans l'industrie des médias, le studio a su se diversifier et évoluer pour conquérir des marchés internationaux qui au départ ne rapportaient que très peu par rapport aux revenus générés en Amérique du Nord. En outre, Walt Disney n'est plus la seule compagnie à produire des dessins animés et doit maintenant faire face à la concurrence d'autres studios, en particulier DreamWorks. Dans la décennie 90, Disney a opéré un tournant et s'est tourné davantage vers les marchés extérieurs en produisant des films qui n'empruntent plus seulement au folklore européen revisité par les valeurs conservatrices américaines. Ainsi, le studio s'est orienté vers le Moyen-Orient, avec Aladdin (1992), l'Afrique, avec Le Roi Lion (1994) et dans une moindre mesure Tarzan (1999), et l'Asie, avec Mulan (1998), fer de lance de la conquête de la Chine. Le studio ne prétend pas donner de leçons d'Histoire, mais utiliser les contes et légendes du monde entier pour attirer encore plus de spectateurs, certains ayant du mal à s'identifier à des animaux ou à des occidentaux. Le studio Walt Disney ne fait plus de propagande comme durant la Deuxième Guerre mondiale, mais en donnant sa version des histoires du monde entier, il a tendance à les remplacer dans l'imaginaire collectif. On se rappelle en France de la version disneyienne du Bossu de Notre Dame en 1996 faiblement adaptée du roman de Victor Hugo. Les films d'animation de Walt Disney, comme la plupart des films hollywoodiens, ont tendance à réduire les enjeux moraux en affrontement entre le bien et le mal, ce qui donne bien souvent une vision binaire du monde. Au spectateur de comprendre qu'il ne s'agit que d'un point de vue. Mais les enfants, cible prioritaire des studios Walt Disney, ont-ils la capacité de ne voir dans le film qu'une belle histoire et pas une leçon de vie? Difficile à croire lorsqu'on voit le fantastique succès du merchandising Disney qui continue l'univers du monde magique de Disney.

On le voit, le cas Disney est complexe et prête à de nombreuses interprétations toutes persuadées d'être la bonne. En revanche, l'argument posant qu'on peut très bien apprécier un film sans y voir de message est troublant et nie toute l'histoire du cinéma de propagande et des rapports entre art et politique. Les films d'animation de Walt Disney sont politiques et contiennent un message conservateur qui diffuse une certaine image de l'Amérique. Ce message a changé avec le temps, mais conserve certaines valeurs que des spectateurs français peuvent ne pas partager. De là à parler de racisme chez Walt Disney, ce jugement semble largement exagéré. Il n'existe pas de films «innocents», mais il est bon de ne pas les condamner avant d'avoir entendu leur plaidoirie et les circonstances atténuantes.

Etienne Augé

Image de une: Le LIvre de la Jungle, Disney, DR.

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