Sciences / Monde

Le grand bond vers l'espace de la Chine

Alors que Pékin fêtera les dix ans du premier voyage d'un taïkonaute dans l'espace le 15 octobre, l'Administration spatiale chinoise peaufine les contours de son programme lunaire.

<a>L'empire du Milieu à la conquête de l'espace</a> | Drapeau: Etereuti via Pixabay CC0 <a href="https://pixabay.com/fr/la-chine-drapeau-1184107/">License by</a><a> / Lune: Versal1992 via Pixabay CC0</a> <a href="https://pixabay.com/fr/lune-gros-pleine-lune-grande-lune-1898047/">License by</a><a> / Montage Slate</a>
L'empire du Milieu à la conquête de l'espace | Drapeau: Etereuti via Pixabay CC0 License by / Lune: Versal1992 via Pixabay CC0 License by / Montage Slate

Temps de lecture: 6 minutes

Les prévisions de Pékin sont toujours considérées comme solides. L’Administration chinoise de l’espace a été prise très au sérieux par la communauté scientifique internationale, quand elle a déclaré dans une vidéo publiée en avril 2018: «Nous pensons que le rêve de la nation chinoise d’habiter un jour dans un palais lunaire pourrait devenir une réalité».

La vidéo indique que cette base lunaire sera formée de plusieurs cabines en tubes reliées les unes aux autres et remplies d’oxygène, afin que des êtres humains puissent un jour s'y installer. Il est envisagé que ces structures soient habitées aux alentours de 2035.

Le même mois, lors de la Journée de l’espace de Chine, qui se tenait à l’institut technologique de Harbin dans le Heilongjiang, d’autres précisions ont été données. Pei Zhaoyu, vice-directeur du Centre de l'exploration lunaire, un organisme affilié à l'Administration nationale de l'espace, a annoncé qu’une sonde Chang'e 4 –du nom de la déesse de la Lune dans la mythologie chinoise– sera lancée avant la fin de l'année 2018, et qu'elle se posera sur la face cachée de la Lune. Cet atterrissage aura lieu sur le bassin d’Aitken, au pôle sud de l'astre lunaire. Une mission Chang’e 5 doit quant à elle prélever des échantillons lunaires en 2019, et les ramener sur Terre.

Bao Weimin, responsable des technologies chez China Aerospace Science Corp, complète: «La mission va nous permettre de découvrir ce que nous ne savons pas sur la Lune. Par ailleurs, nous allons profiter d'être sur la face cachée de la Lune, ce qui nous protégera des interférences de la Terre, pour réaliser des observations plus claires de l'espace lointain».

Dans une interview au China Daily, Wang Lisheng, membre de l’Académie chinoise de l’ingénierie, explique lui que l’objectif de la station lunaire habitée sera «d’approfondir les recherches sur la Lune et d’explorer les moyens d'exploiter les ressources qui s'y trouvent». «Cette installation, poursuit-il, permettra d'acquérir une expérience qui sera extrêmement utile pour l'élaboration des missions habitées sur Mars.»

Ambitions logiques

La politique spatiale chinoise répond au besoin de modernité économique que le pays a mis en route à vitesse accélérée depuis une trentaine d’années. Isabelle Sourbès-Verger, qui dirige au CNRS les recherches sur les politiques spatiales dans le monde, estime que «les ambitions chinoises sont parfaitement logiques. La Chine fait avant tout du spatial utilitaire, car elle a besoin de se donner les outils nécessaires à une grande puissance technologique moderne».

Sans parler des satellites de reconnaissance militaire sur lesquels les informations sont rares, la stratosphère est aujourd'hui peuplée d'engins chinois de télécommunication, en partie consacrés au fonctionnement des réseaux internet. Une vingtaine d'autres servent à surveiller la Terre, à appréhender l’évolution de la météo ou les conditions de navigation maritime. Dans ce domaine, on compte même un satellite franco-chinois appelé Cfosat (pour «China-France Oceanography Satellite»), servant à prévoir les cyclones et les interactions entre l’océan et l’atmosphère.

Depuis une quinzaine d'années, la Chine mène également d’importants travaux techniques en vue de vols habités dans l’espace. En octobre 2003, après quatre vols non habités, Yang Liwei accomplit un premier voyage autour de la Terre à bord d’un vaisseau Shenzhou («vaisseau divin», en chinois).

Cinq ans plus tard, en septembre 2008, Zhai Zhigang réalise la première sortie d’un Chinois dans l’espace, qui dure une vingtaine de minutes. Les images montrent le taïkonaute enfoui dans un scaphandre volumineux, le drapeau rouge étoilé chinois à la main.

En juin 2012, Liu Yang devient la première Chinoise à voler dans une mission Shenzhou. Elle réalise un amarrage à la station spatiale Tiangong 1 («Palais céleste 1», en chinois).

Cette année, un nouveau groupe de taïkonautes a été sélectionné pour participer à des vols vers la Lune. Il est notamment composé de pilotes et d’ingénieurs de maintenance, qui vont débuter leur mission en effectuant des tests de survie dans le désert de Gobi.

Parallèlement, le Centre spatial de Xichang, dans la province du Sichuan, a lancé en 2007 une fusée Longue Marche, qui a déposé un premier robot motorisé sur la Lune. Trois autres missions du même type ont suivi, avec pour objectif –entre autres– de maîtriser le contrôle des trajectoires orbitales et les communications longue portée. Et en 2013, c’est une astromobile qu’une sonde Chang’e 3 a posé avec succès sur la surface lunaire. Une future station comprenant trois modules de vingt tonnes sera quant à elle placée sur orbite en 2020 par une fusée Longue Marche 5.

Une autre facette du programme lunaire chinois consiste à rapporter des échantillons de roches lunaires sur Terre. Chang’e 5 devrait être lancé en 2019 pour en ramener deux kilos, après le test réussi de retour sur Terre de Chang’5 T1, mené en 2014.

Coopération sino-russe

En Chine, le désir de conquête spatiale se rattache à une très longue tradition d’observation du ciel. Il y a 4.000 ans, les astronomes chinois observaient déjà méticuleusement les étoiles, et l’empereur de Chine portait le titre de «Fils du ciel».

À leur arrivée au pouvoir en 1949, les communistes se préoccupent de lancer le pays dans la course à l’espace. L’allié soviétique aide des scientifiques de Chine à se former à l’astronomie moderne. En 1958, une base de lancement de fusées –toujours en activité– est inaugurée à Jiuquan, en Mongolie intérieure. À cette époque, l’URSS envoyait autour de la Terre des satellites nommés Spoutnik.

Mais en 1960, Pékin et Moscou, les deux capitales du monde communiste, entrent dans une brouille durable. Le régime de Mao Zedong est alors soucieux de faire aussi bien que l’Union soviétique. En même temps que la Chine teste sa bombe atomique, dont le premier essai a lieu dans le Xinjiang en 1964, on demande à des scientifiques de mettre au point une fusée capable d’aller dans la stratosphère.

Mais en 1966, quand éclate la révolution culturelle, les bureaux des chercheurs travaillant dans le domaine spatial sont brutalement occupés par les gardes rouges. Il faut l’autorité du Premier ministre Zhou Enlai pour que les travaux sur l’espace reprennent et qu’un premier satellite chinois, le Dong Fang Hong, soit lancé avec succès, en 1970.

Le premier satellite chinois, le Dong Fang Hong | Brücke-Osteuropa via Wikimedia Commons

Pour de longues années, les recherches sur l’espace seront cependant peu productives en Chine, retardées par l’absence de contacts internationaux.

En 1992, juste après la chute de l’URSS, une coopération sino-russe reprend. Les Russes amènent notamment leur expertise en matière d’engins capables d’aller dans l’espace, et la Chine cherche justement à acquérir des connaissances modernes en la matière. Les vaisseaux Shenzhou, nettement inspirés des Soyouz soviétiques, sont l’un des fruits de cette collaboration.

Mainmise du Parti

Depuis le début des années 2000, la recherche sur l'espace en Chine a nettement pris son autonomie, et elle va de l’avant. Mais les structures administratives chinoises, aux accents fortement bureaucratiques, ne facilitent pas forcément la souplesse du système. Au sommet, l’Administration spatiale nationale chinoise (CNSA) définit la politique spatiale, en fonction des orientations du gouvernement. À ses cotés, l’Agence chinoise des vols habités gère notamment les missions Shenzhou et les stations Tiangong; elle est rattachée à l’Armée populaire de libération.

Mais il faut aussi compter sur l’Administration d’État pour la science, la technologie et la défense nationale, qui dépend du ministère de l’Industrie. Le ministère des Sciences et des Technologies définit les programmes spatiaux, et le Centre national des sciences spatiales, émanation de l’Académie des sciences, est chargé de la mise au point des technologies pour les engins que la Chine envoie dans l’espace. Les militaires sont largement présents dans toutes ces institutions, et des membres du Parti communiste doublent tous les centres de décision.

Au-delà de l'accumulation d’instances, Lucie Sénéchal-Perrouault, collaboratrice à Asia Centre, souligne que «le secteur spatial chinois fait l’objet d’une stratégie nationale dont les politiques dédiées apparaissent dans des livres blancs, ainsi que dans des plans à échéances de cinq, dix ou vingt ans. Il y a toujours des applications scientifiques, car le domaine spatial est prestigieux et les enjeux y sont importants. C’est donc un outil de légitimation du Parti communiste. Il existe aussi un fort aspect commercial».

Dans le cadre du plan «Made in China 2025», le président Xi Jinping a effectivement présenté l’an dernier une stratégie de transition de la Chine vers les industries de pointe et l’économie digitale, qui repose largement sur l’utilisation de satellites.

Rival américain

Les États-Unis observent bien entendu ces évolutions d'un œil attentif. Des responsables de la CNSA et de la Nasa ont récemment pu échanger au Congrès international d'astronautique, qui s'est tenu du 1er au 5 octobre à Brême, en Allemagne.

Depuis près de trente ans, les États-Unis imposent pourtant un régime ultra-restrictif à l’exportation vers la Chine de technologies liées au spatial: l'Amérique craint que son savoir-faire ne soit volé.

Mais si l’espionnage chinois existe bel et bien, il ne peut suffire à développer le domaine spatial, qui nécessite de savoir mettre au point toutes sortes d’équipements, composants ou programmes techniques très difficiles à copier.

«La Chine pratique un spatial plus rustique, alors que les Américains font dans la haute technologie à base de recherche et développement.»

Isabelle Sourbés-Verger, chercheuse spécialisée en politiques spatiales

Actuellement, le budget chinois consacré à l’espace est estimé à six milliards de dollars par an, alors que celui des États-Unis dépasse les quarante milliards. Et nombre d'observateurs occidentaux jugent le système chinois modérément performant dans le domaine de la recherche spatiale. Isabelle Sourbès-Verger souligne ainsi que «la Chine pratique un spatial plus rustique, alors que les Américains font dans la haute technologie à base de recherche et développement. Ils gardent une longueur d’avance. La Chine est plus basique, moins chère; elle n’a pas la même précision dans ses instruments, et ceux-ci ont une durée de vie moindre: deux à trois ans en Chine, contre dix à quinze ans aux États-Unis».

Il n’empêche: soutenue par des années de croissance économique, la Chine a décidé de devenir une grande puissance spatiale. Et les États-Unis ont commencé à la regarder comme une rivale, comparable à l’URSS d'autrefois.

Le secteur militaire américain, qui dépend de subventions étatiques, n’est pas mécontent de mettre en avant une menace chinoise. Et les rapports compliqués entre Pékin et l’Amérique de Donald Trump ne devraient pas atténuer la concurrence pour l’espace entre les deux pays. Au contraire, on pourrait assister à une sorte d’émulation réciproque.

cover
-
/
cover

Liste de lecture