Monde / Économie

La Chine fait précisément ce que Trump lui a demandé de ne pas faire

Certains experts estiment que Pékin pourrait bien laisser décroître encore plus la valeur de sa monnaie par rapport au dollar.

<em>«La Chine n’acceptera aucun chantage et ne cédera pas sous la pression»</em>, a déclaré le ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi à l'Assemblée générale des Nations unies, le 28 septembre 2018 à New York. | Kena Betancur / AFP
«La Chine n’acceptera aucun chantage et ne cédera pas sous la pression», a déclaré le ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi à l'Assemblée générale des Nations unies, le 28 septembre 2018 à New York. | Kena Betancur / AFP

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Longtemps avant de devenir président des États-Unis, Donald Trump s’insurgeait sur ce qu’il appelait la manipulation de sa monnaie par la Chine à son profit, alors que ce n’était pas encore une réalité. Aujourd’hui, face à la guerre commerciale dont Trump a précipité l’escalade, la Chine est de plus en plus tentée de laisser la valeur de sa monnaie glisser, c’est-à-dire précisément ce que le président américain et son administration avaient demandé à Pékin de ne pas faire.

Jusqu’alors, la Chine a répondu aux offensives de l’administration Trump, en particulier l’instauration de tarifs douaniers sur 250 milliards de dollars d’importations chinoises, en mettant en place ses propres tarifs douaniers sur les produits américains, notamment les produits agricoles. Mais la Chine arrive à court de réponses, car elle importe des États-Unis beaucoup moins de biens qu’elle n’en exporte, ce qui oblige Pékin à chercher de nouvelles façons de faire face à Washington, y compris en imposant de nouveaux obstacles aux entreprises américaines et en sapant les objectifs de politique étrangère américains.

Mais la Chine dispose encore dans son carquois de flèches économiques aussi puissantes que risquées. Au cours du printemps et de l’été derniers, Pékin a trouvé un moyen de contre-attaquer face aux tarifs douaniers américains, en laissant la valeur de sa monnaie glisser jusqu’à 9% de moins par rapport au dollar et atteindre son taux le plus faible de ces dernières années, rendant alors ses propres exportations bien moins chères et contournant ainsi l’impact des droits de douane américains.

Chute calculée

Le fait que la valeur du renminbi chinois, plus connu sous le nom de son unité, le yuan, ait chuté si bas si rapidement a été une décision réfléchie: Pékin contrôle toujours largement la valeur de sa monnaie et aurait pu intervenir pour enrayer ce glissement. Certains spécialistes de la politique commerciale chinoise estiment que les dirigeants du pays sont si clairement opposés à Trump aujourd’hui qu’ils pourraient laisser la monnaie nationale glisser plus bas encore.

«C’était un signal envoyé à Washington pour dire “nous n’aimons pas le jeu auquel vous jouez, et si vous continuez d’imposer de nouveaux tarifs douaniers, notre monnaie va s’affaiblir de façon significative et vous devrez faire face à une guerre monétaire en plus d’une guerre commerciale”», explique au sujet de la chute de la monnaie chinoise Robin Brooks, économiste en chef à l’Institut de la finance internationale, l’association internationale représentant l’industrie financière.

D’une certaine façon, la première décision d’affaiblir le renminbi était facile à prendre, car celui-ci avait régulièrement vu sa valeur croître l’année précédente, procéder ainsi permettait de lui donner un espace pour baisser sans causer de dommages sérieux.

Mais la monnaie chinoise est à présent poussée à la baisse par un ensemble de facteurs. Alors que les États-Unis élèvent leurs taux d’intérêts, les taux chinois paraissent par comparaison moins intéressants à présent, faisant donc chuter le renminbi. Les banquiers centraux chinois tentent également d’injecter plus de liquidités dans le système bancaire, de façon à mener une politique monétaire plus «souple» destinée à soutenir la croissance mais qui tend aussi à faire baisser la valeur des monnaies.

Effrayer les marchés boursiers internationaux

Aujourd’hui, dans un contexte où les tarifs douaniers de Trump devraient croître encore, certains craignent que la Chine pourrait tout simplement laisser le renminbi chuter comme elle l’a fait cet été, permettant une dévaluation monétaire qui ne ferait que stimuler les tensions bilatérales. Fin septembre, les États-Unis ont imposé des tarifs douaniers de 10% sur un volume impressionnant de 200 milliards de dollars de produits chinois, et ce taux devrait monter à 25% en janvier. Trump a également menacé d’imposer des tarifs douaniers additionnels sur 267 milliards de dollars de produits chinois, c’est-à-dire à peu près tout ce que le pays envoie aux États-Unis.

Cette escalade des actions américaines et en particulier la probabilité que les tarifs atteindront 25% l’an prochain donnent un poids accru aux partisans chinois d’une ligne dure contre les États-Unis, analyse Brooks. «On peut s’attendre à ce que tandis que les tarifs atteindront 25%, les partisans de la ligne dure seront de plus en plus bruyants.» De plus, malgré l’analyse très confiante de Trump la semaine dernière lors de l’Assemblée générale des Nations unies («On gagne dans tous les domaines»), Pékin ne semble guère encline à reculer. «La Chine n’acceptera aucun chantage et ne cédera pas sous la pression», a déclaré le ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi lors du même événement à New York.

«Si les États-Unis finissent avec des tarifs douaniers de 25% sur la majorité du commerce avec la Chine, cela aura également un très fort impact»

Mais dévaluer plus encore serait un jeu fort dangereux pour la Chine, qui s’est efforcée à la fin de l’été de stabiliser le renminbi jusque au-dessus du seuil critique d’un rapport de 1 à 7 face à la valeur du dollar américain. Si Pékin décide de laisser la valeur de sa monnaie glisser plus bas encore, on ne peut pas savoir quand cela cessera, ce qui pourrait mettre en difficulté les épargnants chinois et les marchés, et ébranler le sens du contrôle des dirigeants chinois. «Pour la Chine, le défi tient au fait que tout glissement de la valeur de sa monnaie vers le bas serait perçu comme un changement de politique, et on n’en connaîtrait pas les limites», affirme Brad Setser, un ancien conseiller économique de l’administration Obama qui siège aujourd’hui au Conseil des affaires étrangères.

«Ils ont moins de marge de manœuvre qu’il y a quelques mois, parce que ce serait une décision aux conséquences bien plus importantes.» Selon lui, «bien sûr, si les États-Unis finissent avec des tarifs douaniers de 25% sur la majorité du commerce avec la Chine, cela aura également un très fort impact». Pour la Chine, laisser la valeur de sa monnaie chuter pourrait servir plusieurs objectifs. En fonction de l’ampleur de la chute, cela compenserait la plupart des nouveaux tarifs douaniers américains, rendant les exportations chinoises tout aussi compétitives qu’au début de la guerre commerciale. C’est une considération importante maintenant que les tarifs américains commencent à infiltrer l’économie chinoise.

Mais il y a une autre raison à l’attrait de la dévaluation du renminbi pour les décideurs à Pékin: cela pourrait effrayer les marchés boursiers internationaux, y compris aux États-Unis. Quand la Chine avait dévalué le renminbi à l’été 2015, les marchés boursiers de par le monde avaient frissonné. En raison de l’importance qu’ont les cours des actions boursières dans la perception qu'a Trump de son leadership économique, Brooks estime qu’une telle décision pourrait aussi permettre d’obtenir son attention.

L'impact d'une monnaie chinoise faible n'est pas uniquement national

Selon lui, «si la ligne dure s’impose à Pékin, ses partisans pourront sans doute soutenir qu’ils doivent d’abord affaiblir la monnaie pour compenser les tarifs douaniers, puis dans un deuxième temps, s’ils peuvent faire douter les marchés, qu’ils pourront faire douter le président américain».

Mais cela comporterait de nombreux risques. La Chine avait souffert d’une fuite massive des capitaux durant la période de dépréciation monétaire de 2015 à 2016, lorsque les investisseurs chinois avaient tenté de se débarrasser d’actions libellées en renminbi. Permettre au renminbi de perdre encore en valeur pourrait provoquer une nouvelle grande fuite des capitaux. Pour autant, après cet épisode, Pékin avait mis en place des restrictions pour prévenir la fuite des capitaux, ce qui pourrait rendre la dévaluation tentante.

«L'ironie, c’est qu’à court terme, les États-Unis souhaitent que la Chine continue de mener une politique monétaire interventionniste»

Une grande question subsiste: les officiels chinois craignent-ils plus que la guerre commerciale assomme l’économie ou qu’un renminbi affaibli mène à un nouvel exode du capital chinois? «Nous ne savons pas dans quelle mesure 2015 les a inquiétés au point qu’ils ne souhaiteraient plus utiliser la dépréciation comme outil, ou s’ils en ont conclu qu’ils disposent des outils pour limiter la fuite des capitaux et peuvent, avec certaines difficultés, faire face à une dépréciation», s’interroge Setser.

L’impact d’une monnaie chinoise plus faible ne serait pas uniquement national. Cela pourrait certainement faire chuter les monnaies d’autres économies émergentes, ce qui alourdirait le poids de leur dette (même si cela éroderait en partie l’avantage de la Chine à l’exportation). Un renminbi plus faible et une inondation du marché par des importations chinoises causeraient également la colère du Japon et de l’Union européenne, qui ont tenté de réagir conjointement avec l’administration Trump face aux pratiques commerciales de la Chine en général.

Alors que de nombreuses forces tendent à pousser le renminbi vers le bas, en particulier la guerre commerciale, l’augmentation des taux américains et d’autres stimuli économiques domestiques, la seule façon pour Pékin d'éviter une dévaluation plus radicale est d’intervenir et de pousser sa monnaie vers le haut, comme cela avait été fait entre 2015 et 2016 par l’acquisition de l’équivalent de plus d’un trillion (soit mille milliards) de dollars en monnaies étrangères.

Cela satisferait sûrement les responsables américains à Washington, mais représenterait une drôle de conclusion pour une administration qui s’est exprimée de façon si bruyante sur la nécessité que Pékin cesse de manipuler sa monnaie. Comme l’affirme Setser, «l’ironie, pour l’administration Trump, c’est donc qu’à court terme, les États-Unis souhaitent en réalité que la Chine continue de mener une politique monétaire interventionniste…».

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