Société

Mariage frileux, mariage curieux?

Les couples décidant de se marier entre novembre et mars ont beau être moins nombreux que ceux s’unissant aux beaux jours, ils ne sont pas pour autant des outsiders.

<a>Le jour le moins courant pour se marier? Le 25 décembre.</a> | MelanieB91 via Pixabay CC0 <a href="https://pixabay.com/fr/hiver-nature-frost-la-neige-arbre-3269730/">License by</a>
Le jour le moins courant pour se marier? Le 25 décembre. | MelanieB91 via Pixabay CC0 License by

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Ce n’est pas qu’une impression: les mariages du XXIe siècle ont bien davantage lieu en été que le reste de l’année.

Les statistiques de l’état civil le prouvent: en 2016, 1.287 mariages ont eu lieu en moyenne chaque jour de juillet en France, 1036 en juin, 963 en septembre et 962 en septembre, contre 213 en janvier, 256 en février, 282 en mars et 286 en novembre. Il n’y a pas photo.

Qui plus est, comme l’écrit la sociologue Florence Maillochon dans son ouvrage La passion du mariage, «les cérémonies civiles effectuées pendant la saison froide s’effectuent généralement en plus petit comité et avec moins de faste». De quoi laisser penser, à une époque où le mariage est censé être «le plus beau jour de la vie», que ces couples sortent du lot non seulement quantitativement, mais aussi qualitativement, en décidant de ne pas mettre en scène luxueusement leurs épousailles.

Sauf que ce n’est pas parce que ces époux et épouses sont minoritaires, ni parce que la sortie de la mairie se fait entre intimes, que se marier hors saison est une véritable sortie de piste: choisir une date hivernale pour ses noces n’est pas si décalé que ça.

Concentration estivale

D’abord, parce que la date du mariage civil ne dit pas tout. «Même si des gens se marient en hiver et font une cérémonie civile un peu restreinte, ils vont peut-être dissocier cette cérémonie civile de la fête matrimoniale et faire une grosse fête en juillet», fait remarquer la sociologue. On peut donc s’épouser hors saison mais quand même faire partie de cette «ruée vers le soleil» –comme elle l’évoque dans son livre– qui s’est accrue au fil du temps.

En 1946, 879 mariages en France métropolitaine avaient lieu chaque jour de janvier contre 1.859 par jour en juin, soit un peu plus du double. Rien à voir avec le rapport d’un à six de 2016 entre janvier, mois où le moins de mariages sont célébrés en moyenne par jour, et juillet, mois du mariage contemporain par excellence.

Et si l’on ne compare plus les extrêmes mais que l’on observe les tendances sur plusieurs mois, on s’aperçoit que la concentration du mariage sur la période estivale n’a pas toujours existé. En 1946, 33% des mariages avaient lieu entre novembre et mars, contre 45% entre mai et septembre. «L’écart était beaucoup moins criant qu’à l’heure actuelle, où 18% des mariages ont lieu pendant ces cinq mois d’“hiver” et 67% pendant ces cinq mois d’“été”», insiste Florence Maillochon.

Motivation festive

Une évolution de taille qu’il convient de prendre en compte, tant elle révèle une métamorphose du mariage. Si «les mois de début et de fin d’année n’ont cessé de décroître au profit des mois les plus ensoleillés», comme le formule la sociologue dans son ouvrage, c’est parce que les raisons de se marier ne sont plus les mêmes.

«Dans les années 1950, on se mariait pour vivre ensemble, et parfois pour régulariser une grossesse, nous relate-t-elle. L’enjeu n’était pas le même. La date était beaucoup moins choisie en avance qu’aujourd’hui; on ne mettait pas deux ans à préparer son mariage. En cas de grossesse, ce pouvait être très vite réglé. Cela lissait le calendrier du mariage sur l’année. Certes, l’été était peut-être davantage retenu par les couples qui pouvaient choisir, puisqu’il était plus simple d’organiser la venue de la famille à cette saison –on ne voyageait en effet pas avec la même facilité.»

Aujourd’hui, si les mois radieux de l’été attirent autant les futures épouses et époux, «c’est pour faire la fête». Il faut bien admettre que les beaux jours sont plus propices à célébrer cet événement unique –ne serait-ce que symboliquement, le soleil qui resplendit venant certifier que la vie conjugale est sans nuages et chaleureuse.

«L’argument du beau temps est un élément de justification essentiel: pour avoir une longue journée, un plus beau cadre et pouvoir ainsi assurer de belles photos», lit-on dans La passion du mariage.

Événement personnalisé

S’il est vrai que la haute saison est «plus agréable pour pouvoir profiter des espaces extérieurs», comme l'indique Florence Maillochon, les températures étant plus clémentes, le soleil se couchant plus tardivement et le risque de pluie étant amoindri, pourquoi alors opter pour un mariage à 100% en basse saison?

«Les prestataires de mariage essaient de vanter les charmes discrets de l’automne ou de l’hiver, principalement pour étaler le calendrier de leurs propres activités.»

Florence Maillochon, sociologue et autrice de La passion du mariage

En ne décorrélant pas la cérémonie civile de la fête, les couples faisant ce choix pourraient bien chercher à se dissocier… pour, finalement, mieux rentrer dans la norme. Comme la chercheuse l’énonce dans son ouvrage, «se marier à une saison délaissée pourrait apparaître comme le comble de l’originalité», mais «avec le développement du mariage d’amour, l’injonction à “personnaliser” ses noces s’est progressivement imposée, confortée par les valeurs individualistes de la société de consommation».

C’est d’ailleurs ce qui est mis en avant par «les prestataires de mariage (bailleurs de salles, restaurateurs ou traiteurs, photographes ou wedding planners), [qui] essaient de vanter les charmes discrets de l’automne ou de l’hiver, principalement pour étaler le calendrier de leurs propres activités», apprend-on dans son essai. Forcément, «le marché a bien saisi son intérêt à valoriser les arrière-saisons».

Prestations supérieures

Outre la singularité que l’automne et l’hiver peuvent offrir, il ne faudrait pas oublier les «prestations concurrentielles» permises par la basse saison –une question d’offre et de demande. «Les futurs mariés sont souvent séduits par la possibilité de réaliser un mariage encore “plus beau”, en bénéficiant d’un niveau de prestation supérieur à celui escompté.» En somme, «l’accès à un certain luxe, inabordable sinon, compense les risques d’une météo capricieuse».

En attestent les témoignages recueillis par la sociologue. Ainsi de Ludivine, cheffe de projet en décoration intérieure, qui a décidé de se marier en mars, parce qu’elle «ne peut préparer un mariage en été en raison des contraintes professionnelles qui retiennent son mari, professeur de tennis, pendant toute la saison», et «se réjouit […] d’avoir une belle salle, avec vue sur la mer, qu’ils n’auraient pu s’offrir en pleine saison».

Idem pour Clémence, collaboratrice comptable, enchantée «d’avoir pu louer, “pour une bouchée de pain”, une “très belle salle de très grand standing” grâce à [son] choix printanier».

Esthétique primordiale

C’est bien le signe que les noces d’hiver ne dérogent pas à la règle de base: que le mariage en mette plein la vue et soit une belle fête. «Les marginaux qui non seulement officialisent leur union en hiver mais réalisent aussi une fête à cette période de l’année […] retournent en quelque sorte le stigmate que porterait la saison hivernale», pointe Florence Maillochon. Ok, il fait froid, il peut pleuvoir, il fait nuit tôt, mais c’est l’occasion d’accentuer le confort et «l’ambiance “cocooning”».

«Ils vantent le faible ensoleillement et la lumière rasante qui, plus que le soleil écrasant de l’été, offre de beaux contrastes sur les photographies.»

Florence Maillochon, sociologue et autrice de La passion du mariage

«Ils encensent les journées courtes qui donnent envie de se rassembler dans un espace festif, clos, à la fois tendre et chaleureux; ils apprécient les couleurs chaudes de l’automne, froides de l’hiver ou éclatantes du printemps qu’ils jugent plus subtiles, magiques ou féériques; ils vantent le faible ensoleillement et la lumière rasante qui, plus que le soleil écrasant de l’été, offre de beaux contrastes sur les photographies», liste la sociologue.

Et à l’inverse, ces couples vont déprécier l’été: «les gens “étouffent”, prétend Annabel (en recherche d’emploi d’animatrice), ils “transpirent et ont des mines rougeaudes” fort peu seyantes sur les photographies, d’après Caroline (doctorante).»

Pas froid aux yeux

Mais les épouses et époux se plient malgré tout à des critères de beauté se prêtant davantage à des températures estivales. Pour les photos conjugales, et quelles que soient les conditions météorologiques, la mariée se retrouve souvent bras nus en extérieur –ou au mieux les épaules recouvertes d’un châle–, à l’image de l’actrice Jennifer Lawrence, en robe Versace sur une terrasse londonienne en plein mois de février, pour faire la promo du film Red Sparrow.

«Les mariées ont une météo interne qui défie toutes les lois de la biologie et de la physique», plaisante Florence Maillochon, qui a pu observer de nombreuses photos de mariées posant en petite robe au beau milieu de la neige.

Il faut y voir le signe que les quelques couples optant pour une cérémonie hivernale –un choix souvent motivé par des raisons financières, familiales, professionnelles, religieuses ou tout simplement par volonté de gagner du temps dans l’organisation– ne sont marginaux qu'en nombre. Eux aussi mettent tout en place pour que ce jour soit le plus beau de leur vie. Ils le font simplement à une autre saison.

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