Société / Économie

Pourquoi l'Outre-mer ne parvient pas à retenir ses jeunes

«Aux Antilles, il est impossible de trouver du travail»: comme nombre d'autres jeunes d'Outre-mer, Annaëlle s'est résignée à prendre un billet d'avion pour le territoire métropolitain.

À Saint-Felix, en Guadeloupe, le 13 septembre 2018 | Cedrick Isham Calvados / AFP
À Saint-Felix, en Guadeloupe, le 13 septembre 2018 | Cedrick Isham Calvados / AFP

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«Je ne trouvais rien.» Annaëlle a 28 ans, et elle est aide-soignante. Après plusieurs tentatives pour trouver du travail dans son département d’origine, la Guadeloupe, elle a décidé de tout plaquer et de venir s'installer dans l’Hexagone.

«J’ai passé mes concours dans le paramédical en Guadeloupe, et à chaque fois que je passais, j’étais sur liste complémentaire. J’en ai eu marre, alors j’ai passé le concours avec le CHU de Pointe-à-Pitre; j’ai eu 19,52 sur 20, et je n’ai pas eu de place. Ça m’a dégoûtée et je suis partie.» Arrivée en Île-de-France, elle a repassé son concours et obtenu dans la foulée un poste d’aide-soignante vacataire.

Avec ou sans aide de l'agence gouvernementale

Elle n’est pas la seule à avoir fait cette démarche. En 2012, l’Insee recensait 49.603 personnes âgées de 15 à 29 ans originaires de Guadeloupe venues s’installer comme elle en métropole –une mobilité qui ne cesse d’augmenter.

Une agence gouvernementale, Ladom (l'Agence de l’Outre-mer pour la mobilité), est même chargée de mettre en place des parcours mobilité pour les étudiantes et étudiants, ainsi que pour les demandeurs et demandeuses d’emploi.

En 2017, 3.315 personnes inscrites à Pôle emploi auraient bénéficié d’une formation en mobilité via cette agence gouvernementale; les secteurs privilégiés sont la santé / le paramédical, le transport / la logistique et le travail social. Seulement, ces formations ne préparent qu'à des diplômes de niveau CAP à Bac +2, ce qui laisse peu d'espoir de trouver un poste hautement qualifié.

À l’instar d’Annaëlle, tout le monde ne passe pas par cette agence: beaucoup de jeunes prennent la décision de partir de Guadeloupe sans accompagnement.

En cause, le taux de chômage important: 22,4% en 2017, contre 9,1% en moyenne en France métropolitaine. Et tout l'Outre-mer est touché: en Martinique, où il est le moins élevé, il s’élève tout de même à 17,8%, et il atteint 25,9% à Mayotte.

En Guadeloupe, 43,3% de la population active de 15 à 29 ans est sans emploi: le phénomène touche particulièrement les jeunes, notamment sans diplôme. Et selon le syndicaliste Élie Domota, la durée de leur chômage est souvent longue –plus d'un an et demi. Largement de quoi perdre en compétences et en qualification, dans un monde du travail en constante évolution.

Face cet obstacle, celles et ceux les plus diplômés quittent l'Outre-mer, laissant sur place les jeunes n’ayant pas d’alternative.

Un président inconscient des réalités du terrain

En visite du 27 au 30 septembre aux Antilles, Emmanuel Macron a déclaré: «Quand il y a des offres d'emploi qui existent, même si ce n'est pas exactement ce que l'on veut peut-être au début, accepter pendant quelques mois, pour se mettre le pied à l'étrier. C'est important parce que sinon, on est dans une société qui demande toujours la solution à l'autre. J'attends de chaque jeune ou moins jeune qu'il prenne ses responsabilités.»

Emmanuel Macron à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, le 28 septembre 2018 | Eliot Blondet / Pool / AFP

Forcément, la pilule est mal passée. «Pour moi, c’est du baratin, sans filon. Aux Antilles, il est impossible de trouver du travail», déclare Annaëlle. Même son de cloche chez Patrice: «Je suis bien placé pour en parler, pour l'avoir fait bien avant cette phrase polémique. J’ai dû attendre vingt-quatre ans après ma formation de base pour faire un travail en phase avec mes diplômes.»

Aujourd’hui, ce Martiniquais de 45 ans vit dans l’Hexagone et cherche du travail dans l’accueil administratif. «Cela faisait quatre ans et six mois que j’étais au chômage. Je n’en pouvais plus, c’était un véritable parcours du combattant et un vrai désert d'offre disponible pour mon niveau.» On est bien loin du désormais célèbre «Je traverse la rue, je vous trouve un travail».

Pour Élie Domota, «Macron est venu aux Antilles faire un coup de pub. On a un chômage de masse, et il ne va rien y changer».

Le syndicaliste est connu du grand public depuis les grandes manifestations contre la vie chère et la grève générale de 2009. Il est aujourd’hui secrétaire général de l’Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG), le syndicat majoritaire sur les îles, mais aussi directeur adjoint de Pôle emploi dans la commune de Morne-à-l’Eau, à Grande-Terre.

«Faute de travail, analyse-t-il, nos travailleurs qualifiés partent. Et lorsqu’il y a des besoins, les entreprises nous disent: “Nous n’avons pas trouvé les compétences sur place.” Du coup, elles font venir des travailleurs d’ailleurs.» Un comble, quand on connaît le problème du chômage de masse en Outre-mer.

Un manque d’organisation de la formation

Pour appuyer son propos, Élie Domota évoque l’exemple du chantier du nouveau CHU de Guadeloupe, qui devrait débuter en décembre. Lors de son passage, Emmanuel Macron a promis que l’État investirait 580 millions d’euros dans le projet, susceptible de générer de l’emploi. Élie Domota craint pourtant que la population guadeloupéenne ne profite pas de cette opportunité.

Le 3 octobre, l'UGTG a même adressé un courrier en ce sens au préfet, en espérant obtenir un meilleur accès à la formation. «Le manque d’anticipation sur les questions liées à la formation et au développement de compétences conduit inexorablement à une disqualification des travailleurs et des demandeurs d’emploi de Guadeloupe, singulièrement sur les postes d’encadrements», peut-on y lire.

Élie Domota précise: «Quand on connaît cinq ans à l’avance les besoins en terme d’emploi d’un territoire, on s’organise en terme de formation. Pour nous, ce chantier est une aubaine, on ne peut pas passer à côté.»

Le CHU n’est pas le premier chantier de grande ampleur mené en Guadeloupe. Et pourtant, le taux de chômage ne regresse pas. «Je suis convaincu qu’il y a des gens corrompus qui travaillent en sourdine pour d’autres entreprises, qui attendent que l'on dise que l'on n’a pas trouvé les compétences sur place pour déverser leurs salariés venus d’Italie, de Roumanie, etc.», conjecture Élie Domota.

À titre d’exemple, il cite le chantier de la centrale EDF à Jarry, commencé en 2011 et lui aussi financé par de l’argent public, où «des travailleurs espagnols exploités» seraient venus gonfler les rangs, sous prétexte que «les compétences nécessaires étaient inexistantes en Guadeloupe».

La situation risque selon lui de se répéter. «Cela fait quatre ans que nous demandons aux élus des formations dans le BTP, souligne le syndicaliste. Aujourd’hui, il n’existe presque pas de ces formations via Pole Emploi en Guadeloupe [...]. [Le chantier] va commencer en décembre et nous n’aurons le temps de former que des carreleurs ou des peintres, mais pas de chefs de chantiers et autres postes d’encadrements. Ce n’est pas un oubli des pouvoirs publics: à ce stade, c’est volontaire.»

Celles et ceux qui choisissent de rentrer

Depuis la crise de 2008, l'Hexagone ne représente plus un eldorado de l’emploi aux yeux des jeunes d'Outre-mer; de plus en plus de jeunes ayant fait le trajet jusqu'en métropole cherchent désormais à rentrer.

Nombre d’entre elles et eux reviennent avec un diplôme d’études supérieures et un bon CV, mais se heurtent à leur retour au chômage de masse, à la compétition avec leurs semblables, également titulaires d’un diplôme d’études supérieures, mais aussi à la vie chère –en Outre-mer, le niveau général des prix à la consommation était entre 7,1% et 12,5% supérieur à celui de France métropolitaine en 2015.

Pour l’instant, il n’existe pas de statistiques sur ces jeunes décidant d'effectuer le trajet inverse, mais des forums fleurissent sur la toile, tels que «Antillais de retour au pays» ou «Alé Viré, Martinique: terre d’avenirs», où l'on partage son envie ou son expérience du retour, avec l’emploi pour préoccupation principale.

Mais pour la plupart, ces retours concernent les quelque 260.000 personnes parties entre 1963 et 1981 dans le cadre du Bumidom, l'ancêtre de Ladom, pour travailler dans la fonction publique –notamment à La Poste et dans les hôpitaux– et qui reviennent grâce à l’obtention d’une mutation ou une fois l’heure de la retraite arrivée.

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