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Méfiez-vous des vainqueurs invaincus au jeu parfait sur Winamax Poker

Deux personnes inscrites sur la plateforme de jeux d'argent en ligne auraient utilisé un logiciel pour gagner à tous les coups.

VictoriaMo et TwoPandas semblaient quasiment imbattables. | Keenan Constance via <a href="https://unsplash.com/photos/VTLcvV6UVaI">Unsplash</a> <a href="https://unsplash.com/license">License by</a>
VictoriaMo et TwoPandas semblaient quasiment imbattables. | Keenan Constance via Unsplash License by

Temps de lecture: 7 minutes

«Le seul avantage de les avoir affrontés, c’est que ça m’a permis d’améliorer mon jeu.» Il préfère encore en sourire, Batmax, de s’être fait berner. Cet habitué du poker, qui distille cours et vidéos d’apprentissage sur Internet, a débarqué sur les tables de Winamax «habité de la prétention sans limite qui caractérise tous les joueurs de haut niveau: que je suis l'un des meilleurs».

Il gagne de l’argent, grâce à des résultats réguliers sur les tables. Car le poker est un des rares jeu de casino où la technique et une pratique régulière permettent de réduire le hasard. Malgré son statut de joueur professionnel, celui dont le nom à l’état civil est Maxime Lemaitre se rend compte qu’il souffre face à deux adversaires tenaces.

Deux joueurs imbattables

Sur des tables de trois joueurs sur le site, à 100 et 250 euros l’entrée, un format appelé Expresso (des parties rapides, avec seulement trois joueurs, moins de jetons en jeu et donc moins de décisions différentes à prendre à la table), Maxime Lemaitre affronte souvent VictoriaMo et TwoPandas. Ces deux-là semblent quasiment imbattables. Batmax entre les données dans un logiciel qui permet de comparer les niveaux de jeu et le confirme: les deux joueurs pratiquent un jeu optimal, parfait, quasiment sans aucune mauvaise décision. Si l’on compare leur résultat avec d’autres joueurs bien connus et gagnants sur le long terme, ils sont deux à trois fois meilleurs, selon le logiciel.

Pour Batmax, déjà suspicieux, il n’y a plus aucun doute: il aurait eu affaire à deux robots. Pas deux R2-D2 en service sur des machines futuristes, mais plutôt des humains qui s’aideraient d’un logiciel révolutionnaire pour savoir quelle décision prendre, selon ce qu’il se passe à la table où ils sont assis. De quoi révéler une fraude d’ampleur sur un forum de spécialistes, Club Poker. «J’avais déjà atteint un certain niveau d’alerte, parce que des rumeurs circulaient à propos de ces deux joueurs, et d’un troisième qui a disparu dès que l’affaire a éclaté. Puis, dans leur façon de jouer, il y avait certains éléments qui étaient concordants», relate Maxime Lemaitre. Il publie ses recherches et investigations sur le forum, et la révélation provoque une onde de choc: tous les sites et forums spécialisés s’emparent de l’affaire, remarquant également que VictoriaMo et TwoPandas ont un jeu trop parfait pour des humains.

Face à ces cas, Winamax se doit de réagir. «Winamax est débiteur vis-à-vis des joueurs d’une obligation légale de garantir l’intégrité et la transparence des opérations de jeux», précise maître Justine Orier, avocate en droit public des affaires. À ce sujet, le règlement de l’entreprise est clair: «Certains logiciels fournissent un avantage déloyal et sont strictement interdits sur le site [...] Sont notamment interdits: les robots automatisés».

D’abord, l’entreprise a annoncé avoir déjà surveillé ces deux joueurs, en leur demandant de se filmer en train de jouer, sans rien remarquer d’inquiétant. Finalement, elle a demandé à VictoriaMo et TwoPandas de se rendre dans les locaux de Winamax pour jouer devant eux –ce «eux» reste flou, car Winamax n’a pas précisé qui avait assisté à ces sessions de jeux.

Une enquête «opaque»

TwoPandas n’a pas voulu se déplacer. Son compte a été suspendu, le solde restant sur celui-ci saisi et une enveloppe aurait été préparée pour réparer le préjudice subi par les adversaires. Quant à l’argent gagné et déjà retiré du compte par le fraudeur ou les suites judiciaires, silence radio. Cependant, en procédant ainsi, Winamax admet donc la fraude pour au moins un des deux joueurs.

VictoriaMo, lui, s’est rendu aux tests, selon Winamax. À part «quelques écarts concernant les temps de réaction par rapport aux chiffres habituels», il aurait été dans ses standards. «C’est quoi des statistiques comparables?, demande faussement l’avocate. Là, il aurait joué sur quatre tables en même temps quatre heures de suite, alors que d’habitude, il jouerait sur huit tables huit heures durant.» Selon Winamax, le joueur avait plutôt l’habitude de jouer six tables pendant six heures, et ces conditions ont été répétées lors du test. Jouer autant de tables à la fois, ce n’est pas impossible, plusieurs joueurs professionnels ou réguliers sont capables de «multitabler», mais le format court et rapide des tournois auxquels ils participaient compliquent la tâche. «Aucun joueur régulier ou professionnel que je connais n’est capable de jouer sur autant de tables autant de temps», estime Batmax. D’ailleurs, quand lui, lors d’une session de jeux, arrive à faire soixante-quinze parties, VictoriaMo et TwoPandas participent à 200 sur une journée.

«Winamax se cache derrière des obligations de confidentialité, alors qu’on peut anonymiser les données»

Sans caractériser la fraude, Winamax a décidé de suspendre le compte du joueur. «Les résultats de l’enquête sont opaques. Je veux bien comprendre que c’était une situation d’urgence à laquelle a dû répondre Winamax. Mais là, l’entreprise est juge et partie. Ça ne peut pas me convenir», répond Maxime Lemaitre.

Sur les forums, on est surpris à tour de rôle par trois choses: un temps de réaction plus rapide peut confirmer que chez lui, le joueur attendait les réponses d’un software avant de prendre ses décisions. Deuxièmement, pourquoi suspendre VictoriaMo si l’enquête détermine, finalement, selon Winamax, que celui-ci sait jouer aussi parfaitement? Et enfin, pourquoi Winamax n’a rien publié de concret –statistiques de jeux, vidéos, compte-rendus des parties jouées– sur sa session de jeu? En clair, l’entreprise demande à celles et ceux qui s’estiment abusés –et aux inquiets et sceptiques– de croire sur parole que le test a bien eu lieu et qu’il a bien donné les résultats indiqués. Winamax dit «comprendre» la déception des joueurs qui n’ont pas obtenu «toutes les informations concernant cette procédure exceptionnelle de vérification. Néanmoins, nous ne pouvons divulguer publiquement des informations privées au sujet de ce joueur pour des raisons légales évidentes».

Des arguments factices selon l’avocate, selon qui «Winamax se cache derrière des obligations de confidentialité, alors qu’on peut anonymiser les données».

Elle ajoute: «A minima, on attend les statistiques du joueur. C’est très flou. Les réponses apportées ne sont pas satisfaisantes. Puis il y a une attitude très paradoxale de Winamax: on admet la fraude de TwoPandas. Alors que VictoriaMo, on le suspend mais on lui laisse son argent. Si je suis à sa place, que je n’ai réellement rien à me reprocher, j’attaque Winamax. De quoi résulte cette suspension?».

700.000 euros de gains cumulés

Quant aux sommes pour réparer le préjudice, elles sont faibles et les contours des remboursements flous. Un flou entretenu par Winamax, qui refuse d’expliquer le calcul. Batmax a reçu vingt-cinq euros après avoir joué 270 parties pour un investissement total de 46.700 euros contre TwoPandas. «J’ai demandé des explications à Winamax sur cette somme qui me paraissait ubuesque, mais je n’ai jamais eu de retour, souligne le joueur. Pour d’autres, c’est pire: la seule réponse qu’ils ont obtenue, c’était de ne plus contacter l’entreprise à ce sujet.»

Justine Orier s’est donc emparée de l’affaire. Dès lors, elle a fait connaître ses intentions sur la plateforme en ligne d'actions collectives en justice V pour Verdict: engager une action civile contre Winamax, porter plainte contre X pour fraude et saisir l’Arjel (Autorité de régulation des jeux en ligne) pour contraindre l’entreprise à plus de transparence sur ses investigations. Mais ce sujet pose le problème du champ de compétences de l’Arjel, qui semble limité. Contactée, l’autorité précise néanmoins suivre avec attention cette affaire depuis le mois de juin et assure: «Il faut savoir que les opérateurs ont un intérêt immédiat et évident à la découverte de ce type de fraude. Il en va en effet de leur réputation, laquelle détermine leur pérennité dans ce secteur. Des dispositifs de contrôle automatique, complétés par des investigations humaines quand les soupçons sont sérieux, sont en place pour une surveillance en continu».

Cet intérêt immédiat peut être remis en question: admettre que des robots sont capables de s’installer sur les tables, et que cette fraude soit divulguée au grand public n’arrange en rien l’image du site. De plus, le travail de vérification de l’Arjel semble flou. L’autorité n’a pas vocation à «se substituer à l’opérateur dans la détection d’une telle fraude» mais précise qu’elle peut «obtenir de l’opérateur toutes les informations qui lui sont nécessaires pour vérifier le respect des obligations qui pèsent sur celui-ci», sans en dire plus sur la nature de ces informations. «La publicité de ces vérifications est limitée dès lors qu’elle pourrait faciliter le contournement des dispositifs ainsi dévoilés», justifie l’autorité.

Quoi qu’il en soit, pour l’avocate, Winamax doit prendre ses responsabilités. «Dans ce cas, ce sont des joueurs qui sévissent depuis septembre 2016, avec des flux d’argent énormes.» Selon les différentes parties, les deux joueurs ont gagné près de 700.000 euros.

Deux cas publics… Pour combien de robots?

La plainte contre X doit permettre de déterminer qui sont VictoriaMo et TwoPandas. Car une chose intrigue joueurs et avocate: VictoriaMo et TwoPandas ne jouent pas sur les mêmes plages horaires, ne s’affrontent jamais. Ce qui laisse penser aux plus suspicieux que les deux ne seraient en fait qu’une seule et même personne, et ce qui expliquerait qu’un seul individu se soit présenté dans les locaux de Winamax au moment du test. «Je n’y crois pas trop, nous glisse un joueur régulier de la plateforme. Pour moi, un humain devait être derrière pour cliquer sur la souris, celle-ci ne semblait pas automatisée. Il peut donc s’agir de deux personnes.»

Cette affaire soulève des doutes plus profonds. Et si la gourmandise d’un tricheur avait fini par lui coûter sa perte, lui qui réunissait des gains substantiels avec un jeu parfait? Serait-il alors possible qu’un arnaqueur un peu plus malin, jouant moins, se contentant d’un jeu très légèrement perfectible ou de gains moins conséquents puisse encore frauder en passant sous les radars? «Dire “non, ça ne peut pas arriver”, c’est impossible, juge Batmax. Sur des parties moins onéreuses, des joueurs remontent leurs suspicions, mais elles sont moins étayées.» En effet, c’est grâce à leur grande connaissance du jeu que Batmax et les autres habitués ont pu débusquer ces deux cas. Des joueurs amateurs, eux, peuvent plus facilement se laisser berner, ou ne pas avoir les outils pour appréhender les triches. Cependant, le format de partie choisi par TwoPandas et VictoriaMo peut permettre plus facilement de développer un logiciel pour un jeu parfait. En clair, rien ne dit que cet outil aurait les mêmes résultats sur des tournois avec des centaines de joueurs inscrits en même temps.

Quant à TwoPandas, si son exclusion du site a bien été actée, et donc que la triche a été admise, quelle suite Winamax donnera à l’affaire? Un dépôt de plainte? Ou alors, ce joueur pourtant pris la main dans le sac, ne pourra-t-il simplement plus frauder sous son identité actuelle, avant de sévir à nouveau, sans représaille?

Dans le cas de l’action civile et du dépôt de plainte contre X, Justine Orier précise que rien n’a encore été lancé. Une réunion devrait prochainement déterminer la stratégie adoptée par la quinzaine de joueurs qui cherchent à être dédommagés du préjudice subi. Vingt-cinq euros de dédommagement n’ont donc pas suffi.

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