Culture

Hedi Slimane, roi du roque

Le nouveau directeur artistique de Celine passe un grand coup de balai sur la maison et soulève l'interrogation de ses fans.

Le styliste Hedi Slimane salue le public après le défilé «Celine 01» de sa collection printemps-été 2019 «Paris la Nuit», le 28 septembre 2018 à Paris. | Anne-Christine Poujoulat / AFP
Le styliste Hedi Slimane salue le public après le défilé «Celine 01» de sa collection printemps-été 2019 «Paris la Nuit», le 28 septembre 2018 à Paris. | Anne-Christine Poujoulat / AFP

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Sur l’échiquier de la mode, de nouveaux pions se profilent chaque saison, mais il est des pièces qui ont plus de valeur que d’autres. Les succès d’Hedi Slimane lui ont conféré une aura particulière. Son dernier défilé pour Celine, annoncé comme l’événement le plus important de la mode depuis plusieurs années, a-t-il tenu ses promesses? Un directeur artistique, fut-il talentueux, peut-il aisément gommer le passé d’une maison? Un nouveau succès à venir ou juste un soufflé?

Golden boy

À ses débuts en tant que styliste en 1996, Hedi Slimane travaille chez Yves Saint Laurent avant de devenir le directeur artistique des collections hommes. Sa silhouette et ses codes se dessinent, slim, skinny, avec des vêtements près du corps, des cravates étroites. Un succès auprès des hommes et aussi des femmes qui empruntent des pièces masculin-féminin. De 2000 à 2007, son aventure se poursuit brillamment chez Dior Homme. Il quitte la maison et vaque à différentes occupations dont celle de photographe, tout en fréquentant la scène musicale et artistique contemporaine. Il revient chez Yves Saint Laurent en 2012, où il imagine le renouveau de la femme Saint Laurent: rock, sexy, avec des campagnes en noir et blanc remarquées. Un succès d’estime, le plébiscite d’une nouvelle clientèle et un gros succès commercial (le chiffre d’affaires passe de 400 millions à un milliard d'euros). En désaccord pour la poursuite de sa création chez Saint Laurent, il quitte la maison en 2016 et obtient en justice des dédommagements de Kering, groupe de luxe propriétaire de la maison.

La pièce Hedi Slimane (une tour?) parcourt l’échiquier, alternant l’opposition entre les deux grands groupes français: Saint Laurent (groupe PPR et futur Kering en 2013), Dior Homme (LVMH), Saint Laurent Paris (Kering) et retour chez LVMH où il devient le directeur artistique de Céline, avec la possibilité de créer pour l’homme et de s’occuper des parfums.

De Céline à Celine

Le 21 janvier, l'annonce de l’arrivée d’Hedi Slimane chez Céline a créé l’événement. Avant la première collection, un premier acte fondateur: enlever l’accent de Céline (comme chez Saint Laurent où le Yves avait été escamoté pour devenir Saint Laurent Paris avec la bénédiction à l’époque de Pierre Bergé). La maison explique via Instagram: «Le nouveau logo a été directement inspiré par la version originale et historique qui existait dans les années 1960. La typographie moderne utilisée date quant à elle des années 1930. L’accent sur le E a été enlevé pour permettre une proportion simplifiée et plus équilibrée».

 

 

La prise de pouvoir sur une marque se niche aussi dans les détails. Dans une interview donnée au Figaro, une prise de parole avant la collection annonce la couleur: «J’ai trouvé mon style, à moins que ce ne soit l’inverse. Il y a plus de vingt ans. Mon style passe par une ligne, un trait, une allure et une silhouette que je poursuis obsessionnellement depuis et qui définit ce que je suis».

La planète mode parle de l‘événement que sera la collection Celine. Godfrey Deeny annonce dans Fashion Network: «La collection la plus attendue de ces cinq dernières années». Le 28 septembre se dresse en noir et blanc un décor éphémère de prestige derrière les Invalides. La collection se pose dans le droit fil de ce que le créateur aime; il continue sa propre histoire, il ne prolonge pas Céline. Du court, du sexy, beaucoup de noir et des modèles parfois proches de ceux qu’il a déjà créés pour Saint Laurent. Une silhouette androgyne et sexy pour la femme et l’arrivée de l’homme chez Celine.

 

 

La collection «Paris la Nuit» passe au noir. Il n’y a pas tromperie sur la marchandise, Hedi Slimane avait annoncé qu’il continuerait ce qu’il faisait. Son défilé «Celine 01» balaye le passé de la maison, le rend inexistant. Dans le New York Times, Vanessa Friedman constate: «Il y a deux ans, lorsque monsieur Slimane a quitté la mode, le monde était différent. Les femmes étaient différentes... Elles ont évolué. Mais pas lui». Le Financial Times par la plume de Jo Ellison va dans le même sens: «Le défilé Celine a semblé célébrer une mode statufiée, super-skinny, teenage... J’espérais que nous aurions avancé». La presse anglophone n’est pas tendre avec un de ses enfants pourtant chéris.

Mais où est donc passé Céline?

Grand coup de balai sur la maison avec l’arrivée d’Hedi Slimane et interrogation des clientes, des acheteurs. Le lendemain du défilé, une belle Américaine éplorée s’épanche: «It was so ugly. I cried. I couldn’t sleep». Oui, le Céline d’hier n’est plus. Si la marque eut des hauts et des bas et fut même très ringardisée à une époque, elle avait obtenu avec l’arrivée de Phoebe Philo une belle presse et un beau succès commercial (pour arriver à un CA de 800 millions d’euros). Du côté des acheteurs, la perplexité est de mise: «Que vais-je proposer à la cliente Céline? Quant à Celine, j’ai déjà ce qu’il me faut chez Saint Laurent».  Oui, Anthony Vaccarello a prolongé en style l’héritage d’Hedi Slimane chez Saint Laurent. Et aujourd’hui chez Celine, Hedi fait du Hedi. La fan du style va être comblée!

Une marque doit-elle assumer son héritage, son histoire, ses codes? Pas forcément, même si souvent l’ADN (terme un peu galvaudé, mais efficace) est maintenu en fil rouge. Dans le passé, des révolutions de palais ont eu lieu, mais avec souvent un lien. Galliano chez Dior a magnifiquement bousculé la maison, mais est arrivé à une époque où ses collections personnelles avaient déjà un lien avec le style Dior. La dimension affective peut aussi jouer un rôle dans la perception d’une maison. Tom Ford, golden boy adulé pour la renaissance de Gucci, fut vilipendé pour ses créations chez Yves Saint Laurent (trop dans ses codes Gucci et le fantôme du couturier était probablement encore trop présent). Chez Céline, Phoebe Philo avait réussi à imposer ses marques et était reconnue pour son talent. Coqueluche de la mode, Hedi Slimane a su (dans le passé) imposer son style et est apprécié pour le chiffre d’affaires qu’il est capable de générer.

Après tout, pourquoi ne pas tourner la page et balayer le passé? Recommencer from scratch, «Celine 01»; une marque peut se réinventer, sûrement. Mais ce qui a peut-être manqué dans cette saison tant attendue, c’est une nouvelle histoire et pas une sensation de déjà-vu. Hedi Slimane assume son style et en joue les prolongations; il enfonce le clou, mais l’air du temps est-il le même aujourd’hui? Le clou ne serait-il pas un peu rouillé? Il va être intéressant de voir le chiffre d’affaires de cette première saison. Et si Slimane entraîne ses fans chez Celine, où iront les amateurs de Céline? Un bon mouvement sur l’échiquier?

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