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Plus jamais à l'hôpital: elles ont fait le choix de l'accouchement à domicile

Après des séjours difficiles en maternité, ces femmes ont décidé de donner naissance chez elles.

<a>L'accouchement à domicile concernerait  1% à 2% des naissances.</a> | Tim Bish via Unsplash <a href="https://unsplash.com/photos/WbC9XIlQb4k">License by</a>
L'accouchement à domicile concernerait 1% à 2% des naissances. | Tim Bish via Unsplash License by

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«Après la naissance de ma seconde fille, j’ai regardé mon mari –qui voulait trois enfants– et je lui ai dit qu’il avait le choix: soit j’accouchais chez moi, soit je ne faisais plus jamais d'enfant.» Violaine ne mâche pas ses mots. Elle ne regrette pas d’avoir posé un ultimatum à son partenaire.

À son image, de plus en plus de femmes font le choix de donner naissance à domicile, affirme le Collectif de défense de l’accouchement à domicile (CDAAD). S’il n’existe aucun chiffre officiel au niveau national, l’association avance des estimations tournant entre «1% et 2% des naissances».

«Il y a autant de raisons pour ces femmes d’opter pour l’accouchement à domicile qu’il y a de parcours», note le CDAAD. Mais pour une partie d’entre elles, ce choix se fait après un passage à la maternité qui ne les a pas satisfaites.

Expériences traumatisantes

Caroline en fait partie. L'auxiliaire de puériculture a 19 ans lorsqu’elle accouche de son premier enfant. Pourtant habituée à travailler dans ce milieu –elle a fait plusieurs stages dans des maternités– et après avoir scrupuleusement sélectionné son établissement, elle est traumatisée des suites de son accouchement.

«J’étais en plein baby blues, j’ai confié ma détresse au personnel soignant et je n’ai pas eu de réponse. On m’a juste dit: “Puisque vous faites un baby blues, on repassera plus tard.”» Quelques années après, le souvenir est encore vif. «Je pleurais en leur demandant de prendre le bébé, elles soufflaient et refusaient de s’en occuper.»

Malgré plusieurs demandes pour rester une nuit de plus dans l’établissement, elle se retrouve à devoir quitter la chambre à dix heures pile le jour de sa sortie. «J’ai attendu dans la salle d’attente plusieurs heures avant que l'on vienne me chercher, déplore-t-elle. J’ai toujours cette impression d’avoir été la mauvaise élève: celle qui dérange, qui est humiliée et vexée.» Caroline porte un voile, et continue de penser que cela l’a desservie. Malgré tout, elle souligne le fait que le personnel soignant est soumis à des cadences qui rendent difficile le contact humain.

Pour évoquer son deuxième accouchement, Violaine peine à trouver ses mots. «On m’a totalement niée. Je crois que j’ai mis longtemps à comprendre ce qu’était cet accouchement: de la violence.»

Pour son premier enfant, la jeune femme a l’impression d’être écoutée, respectée dans ses demandes. Mais lorsqu’elle accouche pour la seconde fois, tout se complique. Alors qu’elle est pliée en deux par des contractions, la sage-femme qui est de garde lorsqu’elle se rend à la maternité lui lance un «Qu’est-ce que vous faites là?», en se demandant à haute voix si celle-ci simule. Violaine, courageuse, lui répond ironiquement «qu’elle est là pour une partie de Quidditch».

La suite est pour elle un enchaînement de moments infantilisants: on ne la laisse pas se mettre à quatre pattes, on lui pose une perfusion de confort «par la force», on lui intime de ne pas crier quand elle est en pleine poussée. Alors qu’elle l’avait demandé, personne ne la prévient lorsque le cordon est coupé. «À partir de ce moment là, j’ai négocié pour parler le moins possible au personnel et partir plus tôt que prévu.»

«Les mots des soignants ont été très durs, j’ai entendu des choses comme: “Aidez-la, elle pète un plomb.”»

Juliette

Juliette, qui a accouché la même année, raconte ses difficultés pour endormir son bébé lors de son séjour à la maternité. Épuisée, elle décide de le mettre en pouponnière pour la nuit. Elle fait promettre au personnel de la réveiller pour pouvoir nourrir son petit garçon. «Le lendemain, on me présente mon bébé hurlant, en me disant: “Pourquoi vous n’avez pas tiré votre lait? Votre enfant à très faim”.» On avait omis de la prévenir, comme elle le souhaitait.

Le manque de sommeil plonge Juliette dans un état psychologique fragile. Déconnectée de la réalité, elle se met à divaguer. «Les mots des soignants ont été très durs, j’ai entendu des choses comme: “Aidez-la, elle pète un plomb.”»

Blandine a donné naissance pour la première fois plus de trois décennies plus tôt, en 1982. Prise en charge par un ambulancier suite à des contractions violentes, elle se retrouve avec une carte routière sur les genoux. «C’est mon premier jour, je ne sais pas où est l’hôpital», lâche-t-il.

Elle attend plus de dix heures pour avoir une péridurale –«et encore, j’ai dû les menacer»– et fait une hémorragie. Alors qu’elle se plaint de perdre trop de sang, on lui rétorque qu’elle doit se responsabiliser, parce qu’elle est mère, désormais. Elle s’évanouit deux jours plus tard, totalement anémique.

Entrée relative dans les mœurs

Leurs expériences ont poussé ces femmes, qui n’avaient auparavant jamais envisagé de se rendre ailleurs qu’à la maternité, à se tourner vers un accouchement à domicile. «Accoucher à domicile, ce n'est pas seulement le choix d'un lieu et encore moins un caprice, une marotte. C'est un choix résultant d'une histoire personnelle, d'une histoire de couple, de besoins spécifiques plus ou moins essentiels», estime le CDAAD.

Juliette a découvert l’existence de cette alternative dans un documentaire. Violaine, elle, s’est penchée sur le sujet en lisant des blogs: «C’est ce qui m’a permis d’assumer ce choix, et surtout de trouver des arguments scientifiques à exposer à mes proches.»

De nombreuses femmes sollicitent directement le CDAAD sur les réseaux sociaux, et l’organisation met à disposition des intéressées une liste des praticiennes et praticiens proposant un accompagnement. Violaine estime que «les gens, globalement, parlent de plus en plus de l’accouchement à domicile, grâce aux médias et aux réseaux sociaux, où les groupes sur le sujet fleurissent».

Périnne n’a pas eu à faire toutes ces recherches pour envisager d’accoucher chez elle: cette Française est expatriée aux Pays-Bas, où cette option bien plus acceptée. «Là-bas, la femme décide si elle accouche chez elle –ce qui est préconisé– ou plutôt à l’hôpital. Comment, dans quelle position, avec ou sans péridurale: tout est laissé à son appréciation.»

S’imaginant que le système est analogue, la jeune femme décide de rentrer en France pour accoucher: «J’avais envie d’être près de ma maman.» Mais le jour J, dans un grand hôpital du nord parisien, c’est la douche froide: elle se retrouve allongée, monitorée, contrainte.

Mais le pire est à venir. «J’ai dû partager ma salle de bain avec huit autres personnes. Je faisais la queue pour la douche, alors que j’avais une couche pour limiter les pertes de sang. Je devais regarder la télévision dans une salle commune, un peu comme si j’étais en prison.»

Effarée, elle ne comprend pas comment les deux systèmes peuvent être aussi différents. Enceinte de son second enfant, elle a «tout de suite souscrit une assurance pour accoucher dans son pays d’expatriation, avec l’aide d’une sage-femme», refusant de retenter l’expérience dans l’Hexagone.

Si l’accouchement à domicile est entré dans les mœurs aux Pays-Bas, ce n’est pas le cas en France. Une fois leur choix opéré, les femmes ont dû convaincre un entourage parfois sceptique.

«Ça a tiqué sévère dans sa famille: je suis passée pour une folle et une inconsciente.»

Violaine

Violaine décide de n’en parler qu’aux personnes en qui elle a confiance et qui sont également favorables à l'accouchement à domicile: «J’ai voulu m’épargner un débat stérile.» Juliette aussi n’en parle qu’à deux proches, ne souhaitant pas «subir les angoisses des autres».

La plupart des femmes ont eu des difficultés à convaincre leurs conjoints. «Pour Monsieur, les médecins sont des dieux, vouloir accoucher sans médecin, c’était fou», plaisante Blandine. «Cela m’a pris toute ma grossesse de le convaincre, soupire Violaine. Ça a tiqué sévère dans sa famille: je suis passée pour une folle et une inconsciente.» Elle garde la satisfaction que son accouchement à domicile ait été bien pris après la naissance, même par la protection maternelle et infantile (PMI). «Cela a même convaincu deux personnes de mon entourage à faire pareil.»

Pas pour toutes, pas partout

Selon le CDAAD, la procédure pour bénéficier d’un tel accouchement est plutôt simple, sous réserve de trouver une praticienne ou un praticien disponible: «Il suffit de contacter une sage-femme qui pratique les accouchements à domicile, elle s’occupe de tout.»

Aucune règle spécifique autre que le code de déontologie de la profession n'encadre cette pratique. Le personnel médical doit en revanche bénéficier d'une assurance, dont le coût avoisine les 22.000 euros –ce qui en pousse une partie à exercer sans, malgré les risques juridiques.

«Pour le reste des modalités, c'est la sage-femme qui décide de fixer les limites. Moi, par exemple, je n'accepte aucune personne vivant à plus de trente minutes d'une maternité», détaille Gisèle Piroit, praticienne et membre de l'Union nationale et syndicale des sages-femmes. Les personnels de santé ont d'ailleurs l'obligation d'inscrire leurs patientes à la maternité en parallèle, pour qu'elles puissent être prises en charge en cas de souci.

«Je travaille aussi en coopération avec d'autres partenaires qui peuvent entrer en jeu, comme le Samu», reprend Gisèle Piroit. L'hôpital qui se situe dans la zone où elle exerce a même organisé une formation pour rappeler les premiers secours aux sages-femmes qui pratiquent l'accouchement à domicile –une relation qui varie selon les zones géographiques, certains acteurs se positionnant contre l'accouchement à domicile.

Violaine, Caroline et Juliette n’ont pas eu trop de difficultés à trouver quelqu’un pour les suivre dans l'aventure. «C’est parce que j’ai trouvé la sage-femme que j’ai fait le bébé», raconte Violaine, qui vit dans un département avec «beaucoup de babas cool, dans une optique de retour à la nature».

Seule Blandine, qui accouche de son troisième enfant en 1998, se tourne vers une maison de naissance, à 500 km de chez elle: à l’époque, aucune sage-femme ne pratiquait d’accouchement à domicile.

Gisèle Piroit prévient néanmoins que cette option n'est pas destinée à toutes les femmes: «Cela concerne un profil particulier, des femmes très autonomes sur le plan médical. Les personnes qui préfèrent être rassurées par un dispositif plus important doivent privilégier la maternité. La patiente ne doit présenter aucun risque, qu'il s'agisse de pathologies physiques ou psychiques» –par exemple en cas de craintes de décompensation psychologique lors de la naissance.

Lien de confiance et environnement familier

«“Tu veux accoucher dans la chambre ou dans la salle de bain?”: voilà ce qu'on a le luxe d’entendre quand on accouche chez soi», détaille Juliette, conquise.

Pour Caroline, ce qui a été crucial après son expérience difficile et face à la peur d’être jugée, c’est le lien de confiance avec sa sage-femme, tissé au fil du suivi, qui offre la possibilité de la contacter hors des horaires de travail ou simplement de s’attabler autour d’un café. «Elle connaissait mes craintes et mes peurs, je pouvais l’appeler à n’importe quel moment.» Heureuse d’avoir été maîtresse de son accouchement, elle continue d’envoyer à sa sage-femme des photos de sa fille, et à prendre de ses nouvelles.

«Le bébé est arrivé à treize heures, se rappelle Violaine. Mon mari a mis la table, puis on a fait un bon petit repas, avec la sage-femme.» Oubliés, les moments où il faut sonner pour pouvoir aller aux toilettes; exit, les rondes à la maternité.

«Deux heures après avoir accouché, je me suis tapée le couscous du siècle, avec le bébé qui dormait sur mes genoux.»

Blandine

Avec une facilité déconcertante, Violaine raconte comment elle a profité de la journée du lendemain, debout dans son jardin, pour regarder ses aînées faire de la trottinette. «Le meilleur moment, c’est quand je suis allée à la mairie déclarer la naissance: tout le monde s’est réjoui, parce que cela faisait trente ans qu’il n’y avait pas eu de naissance dans le village.»

Cette petite «bulle» a été précieuse pour toutes les femmes interrogées. L’impression de ne pas être malade et hospitalisée, mais d’avoir simplement accouché naturellement, dans un environnement confortable et familier: «Deux heures après avoir accouché, je me suis tapée le couscous du siècle, avec le bébé qui dormait sur mes genoux», se remémore Blandine.

Si les accouchements à domicile des femmes rencontrées se sont bien déroulés, ce n'est pas le cas pour toutes celles optant pour cette solution. «Dans 12% à 15% des cas, nous transférons les patientes à la maternité», reconnaît Gisèle Piroit. La praticienne évoque deux situations en particulier, assez rares: quand la femme, en souffrance, requiert une péridurale –«Là, tout se déroule comme un accouchement classique: on prend la voiture et on se présente à la maternité» et face à une urgence, comme une rupture de la poche des eaux ou une hémorragie –auquel cas Gisèle Piroit contacte le SAMU.

Accoucher chez soi provoque parfois des sentiments contrastés. «Cela m’a fait prendre conscience de toute la violence que j’ai subie lors de mes premiers accouchements, déplore Blandine. J’ai vraiment ressenti de la colère quand j’ai vu qu’un accouchement pouvait être si facile.» Juliette a également ressenti de la culpabilité, arguant qu’elle aurait aimé donner le même accouchement à son premier enfant. Quant à Violaine, elle est pragmatique: «Heureusement que je n'ai pas fait ça en premier, sinon j’aurais six enfants à l’heure qu’il est.»

Mais que les femmes qui souhaitent accoucher en structure hospitalière se rassurent: Gisèle Piroit rappelle que de gros efforts ont été faits ces dernières années pour améliorer le confort et la prise en charge des patientes.

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