Politique

L'étroite assise d'Emmanuel Macron

Le chef de l’État voit son socle électoral se réduire et ses proches émettre des doutes.

Emmanuel Macron au One Planet Summit le 26 septembre 2018 | Ludovic Marin / AFP
Emmanuel Macron au One Planet Summit le 26 septembre 2018 | Ludovic Marin / AFP

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Qui a dit qu'Emmanuel Macron régnait sur une armée de béni-oui-oui? Tour à tour, deux ministres majeurs ont publiquement évoqué le risque d'«isolement» du président. Gérard Collomb, le ministre de l'Intérieur, s'est permis cette leçon collective, sur BFMTV:

«Il ne faut pas que nous soyons dans la cécité. (...) Parce que très vite, dans les palais de la République, on perd la capacité de lien avec la population.» Les bâtiments officiels seraient en quelques sortes des «zones blanches» de la démocratie, où l'on ne capte plus les attentes de l'opinion publique.

 

 

En partance pour les municipales à Lyon dans quelques mois, Gérard Collomb est allé plus loin, lors d'un déjeuner avec des journalistes: «Nous ne sommes pas nombreux à pouvoir encore parler franchement à Emmanuel Macron. (...) D'ailleurs, il va finir par ne plus me supporter. Mais si tout le monde se prosterne devant lui, il finira par s'isoler.»

Un constat partagé quelques jours plus tard par Gérald Darmanin. Bon élève du Gouvernement, le ministre des Comptes publics met un point d'honneur à ratisser chaque semaine Tourcoing, la ville populaire du Nord dont il est élu. Dans Le Monde, il assène: «On n’est pas nombreux au conseil des ministres à pouvoir dire: “Chez moi, ils disent ça.” Il y a Collomb, Lecornu [secrétaire d'Etat au ministère de la Transition écologique, ndlr] et moi.»

Sur une équipe de trente-deux ministres, seuls trois resteraient connectés avec la population, «à portée de baffe» sur le marché de Tourcoing, selon la formule de Gérald Darmanin.

En creux, les confidences du couple Collomb-Darmanin marquent une violente critique contre les ministres dits «de la société civile», censés être plus proches de la réalité que les politiciens de carrière. Des ministres de la société civile sans doute pas assez «à portée de baffe», fût-elle électorale.

Ces avertissements sur un «isolement» présidentiel sont-ils infondés? Même Édouard Philippe, pourtant garant de la cohésion gouvernementale, n'en rejette pas les termes –et n'en recadre pas les auteurs. «Je ne suis pas garde-chiourme» a-t-il évacué jeudi soir dans L'Émission politique sur France 2.

La cassure de l'affaire Benalla

Comme si la machine macroniste, bâtie à la hâte dans une campagne présidentielle inédite, manquait de racines, de relais et de capteurs. Ces capteurs auraient-ils fait prendre conscience à l’Élysée de la gravité de l'affaire Benalla, alors que le chef de l’État s'est muré dans le silence pendant cinq jours après qu'elle eut éclaté?

«Les gens, ils ne me parlent pas de cela», cinglait le président mi-juillet, comme pour balayer une anecdote médiatique qui ne passerait pas l'été.

 

 

Elle a pourtant provoqué une cassure chez les Marcheurs. Gérard Collomb, encore lui, n'a pas apprécié de passer sur le grill des commissions d'enquêtes. Surtout pour répondre des actes d'un obscur garde du corps de l'Élysée: «Je n'ai pas une vocation de kamikaze. Le sabre dans le ventre, très peu pour moi», grogne-t-il devant quelques journalistes. D'autant moins pour défendre Benalla, «ce type [qui] se prend pour un seigneur, c'est ça le problème de fond».

La gestion de la polémique Benalla par Emmanuel Macron a aussi irrité la députée La République en marche Frédérique Dumas –elle a d'ailleurs récemment claqué la porte. «[sur l'affaire Benalla], j’ai soutenu le président dès le départ. Le “j’assume” m’a plu. Puis, on est passé à “c'est une tempête dans un verre d'eau”. C’est incroyable! (…) On a le droit de ne pas être infaillible, à condition de se reprendre», grince-t-elle dans Le Parisien-Aujourd'hui en France.

Quoi qu'il en dise, Emmanuel Macron a donc perdu du crédit au sein de ses troupes. Même si l'immense majorité des parlementaires LREM lui demeure fidèle, et même admirative.

Même l'essayiste Alain Minc, qui se définit comme le premier des «juppéo-macronistes», met en garde contre une «giscardisation» d'Emmanuel Macron

Bien sûr, l'opposition veut transformer ces fissures en failles. «Le président de la République pense qu'il a raison tout seul et qu'il peut tout diriger de Paris. La France n'est pas une entreprise qui se dirige avec un conseil d'administration de quinze à vingt personnes, raille Xavier Bertrand, le président Les Républicains de la région Hauts-de-France. On en a marre d'être les ploucs de Province!»

Même l'essayiste Alain Minc, qui se définit comme le premier des «juppéo-macronistes», met en garde contre une «giscardisation» d'Emmanuel Macron: «Il peut renvoyer l'image de quelqu'un dont la capacité, le talent, la flamboyance sont à mille lieues de la population. Il lui faut des relais plus “peuple”, plus expérimentés, moins “technos”. Il pourrait aussi s'installer, comme le faisait l'ancien président portugais Mario Soares, tous les mois à la préfecture d'une région et y passer trois jours. Cela lui permettrait de sentir le pays».

«Giscardisation»? Valéry Giscard d'Estaing, puisqu'on l'évoque, voulait mener une politique soutenue «par deux Français sur trois», selon la formule dont il était fier.

Emmanuel Macron, lui, peine désormais à rassembler plus d'un Français sur trois. Les dernières enquêtes d'opinion lui accordent entre 29% et 32% de satisfaction. Contre 41% au début de l'été et 50% au début de l'année.

Si les électeurs proches de La République en marche continuent globalement de soutenir l'exécutif, les sympathisants Modem sont désormais moins d'un sur deux à en faire autant. Emmanuel Macron chute aussi chez les électeurs écologistes (-12 points) après le départ de Nicolas Hulot.

Où sont les marcheurs?

La République en marche, combien de divisions? Si le parti est très bien représenté à Paris (où les caciques ont tenu meeting cette semaine), on peine à en distinguer l'activisme dans les régions. Quelle ville, quel quartier sont irrigués par le réseau militant LREM, comme ce fut le cas du RPR ou du PCF?

Novateur pendant la campagne de 2017, le système d'adhésion gratuite au mouvement par Internet a deux effets: il amène des torrents de militants à l'apogée de la campagne; il assèche les troupes quand les heures difficiles sont venues.

Déconnexion et isolement: voici donc les deux dangers qui guettent le macronisme, à l'abord des premières élections intermédiaires de la législature: les européennes (mai 2019). D'où la tentative de se rapprocher des corps intermédiaires, après une année de guerre froide.

Ainsi, les partenaires sociaux sont davantage consultés, dans l'optique de la réforme des retraites. Et l’Élysée cherche à instaurer de nouveaux rapports, plus apaisés, avec les journalistes. Le nouveau «cerveau» de la communication présidentielle, Sylvain Fort, le dit sans détours: il compte «démilitariser les relations avec la presse».

Rien de moins que «démilitariser». Comme un aveu, salutaire, que le pouvoir s'était enfermé dans un bunker.

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