Égalités / Santé

Pénurie de sperme et d’ovocytes, inégalités entre les enfants… Les inquiétudes que soulève l’avis du CCNE

Que pourrait-il se passer si le gouvernement suivait l’avis du Comité consultatif national d’éthique?

Le Comité reste favorable à l'ouverture de la PMA aux femmes seules et aux couples lesbiens. | Alex Pasarelu via <a href="https://unsplash.com/photos/S8BW-Wx9G8I">Unsplash</a> <a href="https://unsplash.com/license">License by</a>
Le Comité reste favorable à l'ouverture de la PMA aux femmes seules et aux couples lesbiens. | Alex Pasarelu via Unsplash License by

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Autant redouté qu’attendu, l’avis du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) sur les questions de procréation, et notamment la fameuse ouverture de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes, est sorti ce 25 septembre. Les tenants du statu-quo seront rassurés: le comité reste campé, à peu de choses près, sur sa position d’il y a plus d’un an, où il indiquait déjà être en faveur de cette ouverture.

Outre la PMA, le CCNE balaie à nouveau les questions de GPA (dont il «souhaite le maintien et le renforcement de sa prohibition»), d’autoconservation des ovocytes hors cadre médical et d’anonymat du don de sperme (ainsi que bien d’autres questions hors procréation), avec un seul changement d’ampleur: le comité est désormais favorable à ce que les femmes puissent congeler leurs ovocytes, même sans raison médicale, pour le cas où les accidents de la vie les conduiraient plus tard à des difficultés pour avoir des enfants. Mais là aussi, le changement de cap doit être relativisé, puisque le gouvernement a prévenu la veille que l’avis du CCNE ne l’obligeait en rien.

«Les innovations technologiques créent une disjonction technique entre sexualité et procréation, entre procréation et gestation, entre origine génétique et filiation. Ces disjonctions techniques impliquent toute une série de nouvelles relations qu’il faut saisir et des questions qui restent présentes, quel que soit l’avis adopté», a lancé lors de la conférence de presse de présentation de l’avis François Ansermet, psychanalyste et professeur de pédopsychiatrie à l’Université de Lausanne, co-rapporteur de l’avis. En effet, les propositions du CCNE ouvrent en réalité plus de questions qu’elles n’en referment. Nous en explorons trois.

PMA

L’extension de la PMA aux femmes seules et couples de femmes peut-elle entraîner une pénurie de sperme, voire une «marchandisation» du corps humain?

Comme exprimé dans son avis de juin 2017, le CCNE est favorable à l'extension de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes. C’est une revendication de longue date de nombre d’associations LGBT+ ainsi que du Réseau Fertilité France. Le comité justifie cette extension pour «pallier une souffrance induite par une infécondité résultant d’orientations personnelles». Il prend acte de la mutation du modèle traditionnel de la famille:

«La famille est en mutation, ce qu’illustre la diversification des formes de vie familiale; dans nombre d’entre elles, des enfants sont élevés par des couples de femmes ou des femmes seules. Même si, pour la société, faire face à une situation familiale nouvelle qui n’était pas anticipée ou la programmer ne sont pas du même ordre, on ne peut ignorer la réalité de ces situations lorsqu’on se prononce sur l’accès à l’AMP pour des couples de femmes et des femmes seules.»

Mais le CCNE soulève un problème: l’ouverture de la PMA à un nombre plus grand de personnes va-t-elle entraîner une pénurie de sperme? Pire, le comité craint «des perspectives de marchandisation des produits du corps humain» si les dons de sperme étaient vraiment insuffisants face à la demande, et qu’un marché noir du sperme se développait en parallèle.

«Je n’ai jamais entendu parler de pénurie de sperme à cause de l’ouverture de la PMA à toutes les femmes»

Nous ne disposons actuellement d’aucune estimation précise de cet impact de l’ouverture du don. Dans un article consacré au sujet il y a plusieurs mois, une spécialiste interviewée par notre confère Jean-Yves Nau évoquait «une fourchette de 2.000 à 3.000 femmes par an» candidates «en plus» au don de sperme. Chaque année, environ 3.500 couples demandent à accéder à des dons de gamètes, pour moins de 300 donneurs.

Pour Michael Grynberg, chef du service de médecine de la reproduction et préservation de la fertilité à l’hôpital Antoine-Béclère, le risque existe, mais il est déjà présent. «Il y a déjà une pénurie de don de sperme, avec douze à dix-huit mois d’attente», assure le spécialiste. «Je n’ai jamais entendu parler de pénurie de sperme à cause de l’ouverture de la PMA à toutes les femmes», estime pour sa part Clémence Zamora-Cruz, porte-parole de l’Inter-LGBT, qui pense au contraire que l’ouverture de la PMA permettra de limiter la marchandisation forcée pour les Françaises qui n’ont d’autre choix aujourd’hui que de se tourner vers des cliniques payantes à l’étranger.

Anonymat du donneur

La levée partielle et sur la base du choix de l’anonymat peut-elle créer une inégalité devant la loi?

La question de l’anonymat des donneurs a pris une importance grandissante ces dernières années, à mesure que les enfants issus des premières vagues de PMA avec donneurs (qui sont aujourd’hui forcément anonymes, comme le prévoit la loi française) ont accédé à la maturité et se sont mis, pour certaines et certains, en quête de leurs géniteurs. Un enfant issu d’un de ces dons anonymes, Arthur Kermalvezen, a récemment réussi à retrouver la trace de son donneur, mettant en lumière le combat de ces enfants qui souffrent du secret. Des raisons technologiques plaident aussi en faveur de la levée de cet anonymat, comme l’accès croissant à des tests génétiques. «Continuer à défendre l’anonymat à tout prix est un leurre à l’ère présente et future de la génomique et du “Big data”», écrit le CCNE.

«La loi ne doit pas créer de rupture d’égalité entre les enfants à naître selon que le donneur accepterait ou non de révéler son identité.»

La levée de l’anonymat ne devrait pas concerner les dons déjà effectués, recommande le CCNE. Pour les prochains, le comité conseille une levée partielle de l’anonymat, en l’accordant seulement aux donneurs qui sont d’accord pour cela. Ce qui revient de facto à permettre aux parents désireux de conserver l’anonymat de «matcher» avec les donneurs anonymes, et aux autres de s’accorder avec les autres. «On va générer deux listes d’attente», s’inquiète Michael Grynberg.

Cette option soulève une autre question de taille: en créant un double statut, ne crée-t-on pas une potentielle inégalité entre enfants nés de donneurs anonymes, et enfants nés de donneurs non anonymes? Car les enfants n’ont pas, eux, choisi cet anonymat. «La loi ne doit pas créer de rupture d’égalité entre les enfants à naître selon que le donneur accepterait ou non de révéler son identité. Seuls les donneurs favorables à l’accès aux origines devraient pouvoir donner», a réagi l’association PMAnonyme, qui milite pour la levée du secret. «Du point de vue des enfants, on pourrait considérer qu’ils ne sont pas traités de la même manière, c’est un argument juridique qui paraît se tenir», estime elle aussi l’avocate Caroline Mécary, spécialiste des questions de procréation. Si le gouvernement retient la solution proposée par le CCNE, passera-t-elle auprès du Conseil constitutionnel?

Congélation des ovocytes

La possibilité pour les femmes de conserver leurs ovocytes par précaution peut-elle assécher le don d’ovocytes?

C’est la grande nouveauté de cet avis, que l’on doit aux débats menés dans le cadre des états généraux de la bioéthique, qui ont fait pencher la balance au sein du comité. Le CCNE se déclare désormais favorable à ce que les femmes puissent conserver des gamètes, lorsqu’elles sont encore de bonne qualité. Il reconnaît l’existence d’un report de plus en plus tardif des grossesses chez les femmes, et admet que ce décalage de l'âge de la grossesse «se heurte au déclin de la fertilité dû à la diminution du capital ovocytaire avec l’âge»: «Dans ce contexte, la possibilité d’une autoconservation ovocytaire apparaîtrait comme un espace dans lequel la liberté des femmes pourrait s’exercer sans qu’elles compromettent leur maternité future», fait remarquer le comité.

«Par cette mesure, les femmes exercent aussi leur autonomie et leur liberté»

Aujourd’hui, la seule possibilité pour les femmes qui veulent conserver des gamètes pour plus tard est de se rendre à l’étranger, ou de procéder à un don d’ovocytes, dans le cadre duquel on les autorise à garder quelques précieux ovules. Le CCNE estime que ce «don contre don» est contradictoire, et préconise de séparer les deux démarches: d’un côté, le don, de l’autre, l’autoconservation.

Mais en déconnectant ces deux parties, ne risque-t-on pas d’assécher les dons d’ovocytes? Pour Michael Grynberg, c’est sans doute l’inverse qui risque de se produire. Si un grand nombre de femmes font conserver leurs ovocytes par «précaution», il est probable que nombre d’entre elles ne les utiliseront pas ensuite. Or dans son service, le docteur voit beaucoup de femmes qui ne sont absolument pas opposées à l’idée de donner les gamètes qu’elles n’utilisent pas. Si le nombre de patientes qui veulent faire congeler préventivement leurs ovocytes supplantait le nombre de demandeuses en mal de gamètes, cette nouvelle disposition pourrait ainsi résoudre le cruel manque de donneuses: en 2015, seulement 540 femmes ont fait un don d’ovocytes.

«Par cette mesure, les femmes exercent aussi leur autonomie et leur liberté (vouloir ou ne pas vouloir), qui se manifestera aussi bien dans les choix altruistes qu’elles peuvent faire (lorsqu’elles décident de procéder à un don) que dans les choix relatifs à leur propre fécondité, ce choix s’effectuant en toute connaissance des difficultés de la procédure médicale», conclut l’avis du CCNE.

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