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Loin des traditionnels bastions du sud-est ou du nord de la France, la commune de Mantes-la-Ville dans les Yvelines est «une vitrine» de ce que le Rassemblement national «est capable de faire». C’est Marine Le Pen qui le dit elle-même dans une interview au Courrier de Mantes en préambule à son passage officiel dans la ville ce dimanche 23 septembre, à l’occasion de la Fête du drapeau.
Vitrine idéalement placée, Mantes-la-Ville est en effet la seule commune d’Île-de-France dont le maire est étiqueté RN comme on dit aujourd’hui, ou FN comme on disait lorsqu’il a été élu, en 2014, à la tête de cette petite ville dont le stade de foot peut accueillir plus d’un quart des 20.000 âmes qui la composent.
Discrimination financière
Dans ce stade, le club de foot du coin: le FC Mantois 78. Issu d’une fusion en 1994, il représente Mantes-la-Ville, Mantes-la-Jolie (45.000 habitants) et Buchelay (3.000 habitants). Une présence constante en National 2 (quatrième division) depuis dix ans et un centre de formation reconnu comme exemplaire et agréé par la FFF. Bref, pour reprendre les termes de Le Pen, une belle «vitrine» pour la ville.
Depuis son accession au pouvoir municipal, Cyril Nauth, l’heureux maire RN, n’a eu de cesse de baisser la subvention allouée au club par sa ville. D’abord justifiée par le coût (pourtant partagé avec la communauté d’agglomération) de la rénovation du stade, terminée depuis 2015, Cyril Nauth annoncera la suppression pure et simple de la subvention l’année suivante.
La cause? Ce n’est pas bien clair. Parfois, la mairie évoque un problème de «comportement» (référence à la contestation portée par le club devant le tribunal administratif lors de la première baisse de subvention); parfois, elle fait référence à la «discrimination positive favorisant des jeunes issus de l’immigration» qu’opérerait le club. Puisque évidemment, la situation ne saurait être considérée sans garder en tête qu’une grande part du millier de licenciées et licenciés du FC Mantois sont des jeunes qui vivent dans les banlieues alentours, dites de sécurité prioritaire.
De vieux règlements de comptes
Parmi ces quartiers, celui du Val-Fourré (Mantes-la-Jolie) et des Merisiers (Mantes-la-Ville), où se situe d’ailleurs le stade du FC Mantois. Car oui, le club joue et s’entraîne bel et bien dans la seule des trois villes à ne plus le subventionner. Rue Louise Michel, du nom de la plus célèbre des communardes, entre tours et lotissements. Le stade Aimé Bergéal accueille toutes sortes d’activité sportives, mais c’est le FC Mantois qui transpire des murs de l’enceinte. Dans la grande salle de réunion, une flopée de trophées domine les commodes. Non pas que l’équipe A soit particulièrement habituée au succès, mais histoire de se rappeler que le FC Mantois, c’est avant tout un total de soixante-cinq équipes toutes générations et sexes confondus.
Samuel Damergy, co-président du club depuis 2007, est un grand gaillard au regard perçant. Chef d’entreprise dans le bâtiment, il a été longtemps rugbyman et connaît bien le monde du sport. Son truc, c’est le ballon ovale, bien plus que le rond: «C’est ma force», lance-t-il en se souvenant des rivalités à la tête du club avant son arrivée, pour y mettre de l’ordre. «Ne pas être un fan de foot me permet de prendre des décisions sans que la passion n’altère mon jugement», résume t-il avec le calme et la froideur qui caractérisent ses prises de parole.
Les embrouilles auxquelles le co-président fait référence, si elles datent d’il y a plus de dix ans, ont miné le club au point qu’elles semblent encore aujourd’hui permettre à Cyril Nauth de justifier son mépris affiché pour le FC Mantois. Une sombre histoire d’élections invalidées sans raison apparente au sein du comité directoire du club, point d’orgue d’une longue lutte intestine autour du renouvellement de trois des neufs membres du comité. Un proche du club nous explique qu’une discrimination, pas franchement positive, est à l’origine du conflit: les trois membres dont l’élection fut invalidée étaient originaires des cités du coin.
En 2015, le maire Cyril Nauth accusait sur France 2 le FC Mantois de pratiquer au contraire une discrimination positive, comme il l’avait «entendu d’anciens membres du club, peut-être mêmes d’anciens dirigeants». Peut-être même de l’ancien dirigeant, au singulier, que d’autres accusent de racisme dans l’affaire des élections invalidées. Le club de foot local se trouverait ainsi au centre de tensions communautaires.
Depuis son arrivé, Samuel Damergy explique faire son possible pour «maintenir le club en tant qu’entité apolitique et areligieuse». Il a bien essayé, au début, de s’opposer à la décision de Cyril Nauth de ne plus subventionner le club, pour éviter de dépenser inutilement de l’énergie à lutter contre une municipalité dont les actes sont «purement politiques», dit-il. Car, installé en plein Mantes-la-Ville, le club est étroitement lié à la commune: lorsqu’une ampoule illuminant la pelouse explose et que la mairie met six mois à la remplacer, on apprend à composer.
Faire pareil avec moins
Le FC Mantois tente ainsi de survivre avec un manque à gagner de 75.000 euros sur les 880.000 du budget total. Menacé de relégation financière, le club doit sa survie à un «immense coup de bol», explique Samuel Damergy: un joueur formé au FCM, Moussa Sow, ayant été acheté par un club étranger, une petite partie du montant de transfert est revenue au club formateur qui a éparpillé la somme sur plusieurs années. Coup de bol ou preuve de la qualité du centre de formation du FC Mantois…
Malgré cette rentrée d’argent inattendue, il a fallu se serrer la ceinture, augmenter les cotisations, réduire le matériel. Aujourd’hui, le club ne compte que quatre salariés dont Robert Mendy, l’affable et très investi coach de l’équipe A depuis dix ans. La présidence, elle, est bénévole. Plus grave, le club ne peut évidemment pas accepter toutes les demandes d’adhésion, dont le nombre s’est accru après la victoire de la France en Coupe du monde.
Au pire de la crise avec la municipalité, le club avait même menacé de ne plus accueillir les 280 Mantevillois affiliés, histoire de souligner l’importance du club. «Le maire avait trouvé la menace scandaleuse, mais au fond je me demande si le fait de voir 300 jeunes en plus dans la rue ne l’aurait pas arrangé politiquement», confie anonymement un proche du club.
Les lois du jeu
Et c’est bien là les différences de points de vue entre le club et la municipalité. Là où Cyril Nauth et ses adjoints voient un lieu où s’expriment un «racisme anti-blanc» et autre communautarisme, le club se targue d’extraire bon nombre de jeunes de la rue et de l’ennui, de leur offrir un cadre, des règles et de l’amusement sain où, selon Samuel Damergy, politique et religion n’ont pas leur place.
Rien de vraiment original: c’est l’ADN de nombreux clubs amateurs ou semi-amateurs à la française, au-delà des contes de fée où un jeune de quartier devient la superstar du ballon rond. Pour le co-président du club, «ce qu’il y a de primordial ici, c’est le côté terrain neutre» où seules comptent les lois du jeu. Lois qui, dans la difficulté s’il le faut, continueront de régner au stade Aimé Bergéal. Les mêmes qui ont régné le 15 juillet dernier, à Moscou, lorsque vingt-deux jeunes hommes, dont beaucoup sont «issus de l’immigration» comme dirait Cyril Nauth à propos des joueurs du club de sa ville, ont remporté la Coupe du monde sous le maillot bleu. Soit, pour la France et ses clubs amateurs où tout commence, la meilleure des «vitrines».