Économie

Emplois vacants: le problème n'est pas celui que l'on croit

Emmanuel Macron a relancé un débat dans lequel les partis pris idéologiques sont tels qu'il est difficile d'y voir clair. Les statistiques nous éclairent pourtant sur la réalité économique.

<a>Politique de la chaise vide</a> | Paweł Czerwiński via Unsplash <a href="https://unsplash.com/photos/mIPWgSv88So">License by</a>
Politique de la chaise vide | Paweł Czerwiński via Unsplash License by

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Depuis la petite phrase prononcée par le président de la République dans les jardins de l'Elysée le 16 septembre, «Il y a des tas de métiers, il faut y aller! Hôtels, cafés, restaurants, je traverse la rue et je vous en trouve», les politologues s'interrogent gravement: a-t-il dérapé ou ce genre de propos provocant fait-il partie de sa stratégie de communication? Laissons aux spécialistes de la discipline le soin de répondre à cette question, et regardons plutôt le problème sous l'angle économique et social: le propos du président correspond-il à la réalité?

Bien évidemment, la réponse ne peut se limiter à un choix entre le oui et le non; sinon, il n'y aurait pas de polémique et le débat serait déjà tranché. À condition de ne pas prendre le mot au pied de la lettre (encore que), Emmanuel Macron a raison: les secteurs qu'il a cités sont effectivement en recherche de candidates et candidats.

Mais c'est ensuite que cela se complique: pourquoi ces emplois ne trouvent-ils pas facilement preneurs et preneuses? Les emplois vacants sont-ils vraiment très nombreux et est-ce que l'on résoudrait une bonne partie du problème du chômage s'ils étaient occupés?

Données à prendre avec des pincettes

En ce domaine, les chiffres avancés ne sont pas d'une grande précision. Il y a dix ans, Nicolas Sarkozy parlait de 500.000 offres d'emploi non satisfaites. Raymond Soubie, qui fut son conseiller social, évoque aujourd'hui un chiffre évoluant entre 150.000 et 250.000.

L'écart est significatif, mais ces chiffres ne sont pas si éloignés si on les compare à ceux du chômage: plus de 5,6 millions de personnes étaient inscrites à Pôle Emploi et tenues de rechercher un emploi (catégories A, B et C) à la fin du deuxième trimestre 2018. On voit bien que, pour l'essentiel, le problème ne vient pas des personnes qui pourraient travailler si elles acceptaient les emplois qu'on leur offre.

Mais regardons les chiffres de plus près encore, tels qu'ils sont fournis par la Dares [Direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques au ministère du Travail]. À la fin du deuxième trimestre, on compterait en France métropolitaine 153.216 emplois vacants en données brutes (149.893 en données corrigées des variations saisonnières).

Mais ce chiffre ne correspond pas parfaitement à la réalité, notamment parce que l'enquête n'est réalisée qu'auprès des entreprises de dix salariées et salariés ou plus. Et selon des calculs réalisés en 2015, toujours par la Dares, «de façon plus structurelle, un peu plus plus de la moitié des emplois vacants déclarés le sont par des entreprises de un à neuf salariés, et ce quel que soit le secteur d'activité».

Si cette relation structurelle est toujours vraie, les chiffres publiés correspondraient en fait à moins de la moitié des emplois vacants réels. C'est d'ailleurs ce qui explique qu'Eurostat ne retienne pas les données de la France pour établir ses comparaisons européennes –l'institut ne retient pas non plus celles de l'Italie pour la même raison, ni celles du Danemark et de Malte pour d'autres.

Indicateur d'un marché du travail tonique

Mais, comme toujours quand on parle de chiffres, il faut avant tout préciser de quoi l'on parle. Qu'est-ce qu'un emploi vacant? Sur ce point, tous les pays européens sont d'accord: un emploi vacant est un poste libre (nouvellement créé ou inoccupé) ou encore occupé et sur le point de se libérer, pour lequel des démarches actives sont effectuées pour trouver, à l’extérieur de l’entreprise, la candidate ou le candidat convenable dans l’immédiat ou dans un avenir proche. Le recrutement souhaité peut correspondre à un contrat à durée indéterminée (CDI), un contrat à durée déterminée (CDD), ou à un emploi saisonnier, même de courte durée.

Cette définition interdit de confondre poste vacant et poste qui ne trouve pas preneur ou preneuse. Ce n'est donc pas à partir des données des emplois vacants que l'on peut conclure péremptoirement que les Françaises et Français sont nombreux à refuser du travail.

Dans la mesure où ce chiffre inclut des postes nouvellement créés ou à créer prochainement, un nombre d'emplois vacants élevé peut même être considéré comme très positif: il est l'indicateur d'un marché du travail tonique.

Les statistiques européennes sont d'ailleurs remarquablement instructives: deux pays qui se distinguent par des taux d'emplois vacants très faibles [le taux d'emplois vacants est le rapport entre le nombre d'emplois vacants et le nombre total d'emplois, occupés ou vacants], la Grèce à 0,7% et l'Espagne à 0,9% à la fin du deuxième trimestre 2018, sont aussi deux pays ayant un taux de chômage particulièrement élevé (19,5 % pour la Grèce, 15,1 % pour l'Espagne en juillet 2018). À l'opposé, la République tchèque, qui a le taux de chômage le plus faible de l'Union européenne (2,3 %), a un taux d'emplois vacants record de 5,4 %.

En Grèce, à peu près tous les postes proposés sont comblés, mais ils ne peuvent suffire à satisfaire la demande de travail. Les Tchèques n'ont pas ce problème: mois après mois, on constate que des emplois nouveaux en nombre élevé arrivent sur le marché.

Difficultés de recrutement multifactorielles

Il s'agit là du bon côté de la question des emplois vacants. Reste l'autre côté, celui des emplois qui trouvent difficilement preneurs ou preneuses, voire dont les offres finissent par être retirées par les entreprises, lassées.

Si l'on en croit les enquêtes menées par Pôle Emploi, le problème est réel: près de la moitié des entreprises ayant déposé une offre auprès de l'institution déclarent avoir des problèmes de recrutement –même s'ils ne sont pas tous de même nature et n'ont pas la même intensité.

En 2017, 3,2 millions d'offres ont été déposées à Pôle Emploi, 2,9 millions ont été pouvues, 97.000 ont été annulées parce que le besoin avait disparu ou faute de budget, 53.000 n'ont pas abouti et la procédure de recrutement s'est poursuivie, et 150.000 –soit 4,7 % du total des offres– ont conduit à un abandon de recrutement faute de candidates et candidats. Le chiffre réel est sans doute un peu plus élevé, car toutes les offres d'emploi ne passent pas par Pôle Emploi.

Mais les difficultés de recrutement ont des explications multiples, comme le soulignait une étude de 2016. Les unes sont liéees aux candidatures (pénurie de candidates et candidats, manque de compétence, d'expérience, de motivation, insuffisance de la formation ou du diplôme), d'autres au poste offert: par ordre d'importance, on trouve la technicité très pointue du poste, les horaires décalés, la rémunération, un travail difficile et pénible, la difficulté d'accès au lieu de travail, le temps partiel ou le déficit d'image. Et faut-il s'étonner que certaines personnes hésitent à prendre un travail pénible, mal payé et loin de chez elles?

Les emplois restant non pouvus alors que le chômage est toujours très élevé existent bel et bien, mais le problème n'a pas la dimension que l'on cherche parfois à lui donner. Et s'il n'est pas négligeable pour autant, le chômage ne trouve pas là l'une de ses causes majeures. 

La difficulté de recrutement rencontrée par les entreprises ayant des causes multiples, la solution ne peut être unique: il faut s'adresser à la fois aux demandeurs d'emploi et aux entreprises. Et il ne s'agit pas seulement de technique, les choix sont aussi très politiques. Par exemple, puisque Emmanuel Macron cite la restauration, il pourrait regarder ce que cette profession a fait de la baisse de la TVA de 2009 qui devait lui permettre d'augmenter les salaires et de créer 40.000 emplois supplémentaires en deux ans. La mauvaise volonté n'est peut-être à rechercher d'un seul côté...

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