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Le tennis a perdu la tête

Gouverné par quatre entités complémentaires et concurrentes à la fois, le tennis semble en perdition. L’explosion de colère de Serena Williams en finale de l’US Open a démontré par l’absurde l’incohérence qui menace.

La raquette brisée de l'Italien Fabio Fognini lors du match qui l'opposait à Lucas Pouille en quart de finale de la Coupe Davis, le 8 avril 2018 à Gênes. | Vincenzo Pinto / AFP
La raquette brisée de l'Italien Fabio Fognini lors du match qui l'opposait à Lucas Pouille en quart de finale de la Coupe Davis, le 8 avril 2018 à Gênes. | Vincenzo Pinto / AFP

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Ce week-end, à Lille, la France affronte l’Espagne en demi-finales de la Coupe Davis. Cette rencontre, marquée par le forfait de Rafael Nadal, blessé, est empreinte d’une forme de nostalgie. La formule de la Coupe Davis, comme elle est connue aujourd’hui, jette ses derniers feux en 2018 pour être remplacée par un nouveau format en 2019.

Validée le 16 août lors d’un vote à Orlando, la réforme, voulue par les instances dirigeantes de la Fédération internationale, tourne le dos à l’esprit et à l’histoire de la compétition. Désormais, les meilleures équipes (seize pays, plus deux nations invitées) se retrouveront dans un lieu unique, sur une semaine ou un peu plus.

Lors de cette phase finale, il ne sera plus question de matchs à domicile ou à l’extérieur –rivalités qui faisaient tout le sel et toute l’originalité de la Coupe Davis–, mais de rencontres disputées dans un seul endroit. Les matchs se résumeront désormais à deux simples et un double au meilleur des trois sets, sur une journée, contre, jusqu’ici, quatre simples et un double au meilleur des cinq manches sur trois journées.

L’ère des promoteurs et des marchands

L’annonce de cette révolution a ulcéré les fans de tennis, attachés à une compétition qui méritait effectivement un petit lifting pour retrouver une nouvelle jeunesse, mais pas d’être ainsi défigurée et passée par pertes et profits selon la volonté d’un fonds d’investissement; la Fédération internationale, soucieuse de développer ses revenus, a littéralement vendu sa compétition étendard, pourtant largement bénéficiaire (onze millions de dollars en 2017), à Kosmos, une nébuleuse financière.

Sans honte, la Fédération internationale de tennis, qui devrait défendre d’abord les valeurs et l’intégrité de son sport, a donc basculé dans l’ère des promoteurs et des marchands, à ses risques et périls, quitte à même tout perdre en cas d’échec de la formule, dans un univers du tennis professionnel devenu l’objet de toutes les tensions et de toutes les convoitises.

L’ATP, qui organise le circuit professionnel masculin en dehors des tournois du Grand Chelem, de la Coupe Davis et des Jeux olympiques, a ainsi décidé de mettre sur pied une compétition par équipes concurrente de la Coupe Davis et grassement dotée, elle aussi. Elle devrait avoir lieu en janvier 2020 quelques semaines après la «Kosmos Cup» prévue en novembre 2019. Dans un calendrier déjà surchargé et déjà perturbé par l’arrivée en 2018 de la Laver Cup, une exhibition pilotée par Roger Federer, cet ajout renforce la confusion générale.

Gouvernance illisible

Plus que jamais, le tennis professionnel a d’ailleurs l’allure d’un cheval au galop dont personne ne sait qui tient les rênes d’une gouvernance illisible et incompréhensible alors que le sport ne cesse de perdre des plumes au niveau de ses pratiquants, en forte baisse notamment en France, et de ses suiveurs télévisuels avec des audiences en berne ou en plongée.

Quatre forces cohabitent les unes à côté des autres quand elles ne se font pas concurrence ou carrément la guerre: la Fédération internationale, l’ATP, la WTA (circuit des joueuses) et les quatre tournois du Grand Chelem qui jouent leur partition à part du haut de leur toute puissance. Quatre, ou plutôt cinq entités, devrait-on dire puisque quelques joueurs, grâce à leur puissance médiatique, sont également devenus des acteurs de ce casino royal parfois pour leur propre compte.

Ce maelström ne serait que politique s’il n’atteignait pas directement, par ricochet, les courts au gré de divers incidents qui soulignent justement l’absence totale de leadership et d’unité dans ce sport. Au cours des dernières semaines, l’accessoire s’est disputé à l’essentiel dans une sorte de série noire prompte notamment à déchaîner les réseaux sociaux et à mettre à mal, ou à tourner en ridicule, la réputation de la discipline.

Avec deux exemples, totalement différents, mais éclairants.

Le tennis est incapable d’unifier ses formats. Alors que l’US Open est adepte du tie-break au cinquième set depuis près de cinquante ans, les trois autres tournois du Grand Chelem restent encore soucieux de la règle des deux jeux d’écart dans la manche finale. Huit ans après l’infernal match entre John Isner et Nicolas Mahut conclu... 70-68 au cinquième set après 11h05 de jeu, le même tournoi de Wimbledon s’est retrouvé embarqué, le 13 juillet 2018, dans une interminable demi-finale entre Kevin Anderson et le même Isner, conclue... 26-24 après 6h36 de combat. Malgré une démonstration par l’absurde, en 2010, de la nécessité de devoir mettre fin à un spectacle en lui fixant une limite, aucune décision n’a été prise. Pourquoi? Parce qu’il n’y aucune autorité, ou entente au plus haut niveau, pour imposer une cohérence aux quatre tournois les plus importants de l’année. Dans ce contexte d’indécision, il est, en conséquence, d’autant moins envisageable d’imaginer avancer sur le chemin de changements plus profonds au niveau des règles pour essayer de rendre le jeu plus attractif aux yeux des plus jeunes qui n’ont pas forcément quatre (six encore moins) heures à consacrer à un match de tennis.

Polémiques en série

Le week-end dernier, Serena Williams s’est retrouvée au coeur de l’actualité lors d’une finale électrique de l’US Open. Face à la Japonaise Naomi Osaka, qui a fini par l’emporter, l’ancienne n°1 mondiale a vivement contesté trois décisions d’arbitrage qui lui étaient défavorables. Du point de vue du règlement, Carlos Ramos, l’arbitre portugais, a été sans faille, mais le torrent médiatique qui s’en est suivi, charriant accusations de sexisme voire de racisme pour expliquer ses sanctions, a tout emporté.

Au lieu de soutenir le juge de chaise, l’USTA, la fédération américaine de tennis organisatrice de l’US Open, et la WTA, l’organe du circuit féminin, ont dénoncé l’arbitre dans des communiqués pour venir au secours de la presque vertueuse Serena Williams qui, comprenait-on, n’aurait pas été châtiée de la sorte si elle avait été un homme. La Fédération internationale, qui forme et adoube ces arbitres d’élite, a, elle, attendu presque 24 heures pour donner quitus à l’arbitrage de Carlos Ramos. Beaucoup trop tard. Là encore, qui parle et s’impose au nom d’une autorité légitime?

L’un de ces trois incidents d’arbitrage était lié à une sanction pour «coaching» de Serena Williams qui, depuis les tribunes, avait reçu, par le biais d’un geste visible, un conseil tactique de son entraîneur, ce que le règlement des tournois du Grand Chelem interdit. Pourtant, ce «coaching» est autorisé sur le WTA Tour où les entraîneurs peuvent même venir sur le court près de leurs joueuses lors de certains changements de côté pour réorienter leur tactique. Mais de son côté, l’ATP refuse ce type de «fantaisie». Une fois de plus, désordre car refus d’harmoniser un sport en prenant le risque de se heurter à l’incompréhension du public.

Dirigeant sans charisme

Au catalogue, on pourrait ajouter l’«affaire», rance, du dress code de Roland-Garros, qui a donné, fin août, une image ringarde de ce sport au moment où il devrait plutôt suivre de près les goûts de la jeunesse, la polémique liée au changement de tenue d’Alizé Cornet et due à un règlement trop flou à l’US Open, ou du cafouillage lié au protocole chaleur qui existait au même US Open pour les femmes, mais pas pour les hommes suite à des dispositions encore différentes.

La Fédération internationale aurait dû être, en principe, la tour de contrôle capable de guider le sport en le sortant d’un tel brouillard, mais, par la faute de dirigeants sans charisme, pour tout dire médiocres, elle a fini par perdre de son influence jusqu’à se discréditer au fil du temps. Et il n’y a plus grand-monde pour lui faire confiance au regard de son dépeçage de la Coupe Davis au profit d’un groupe privé. À Lille, le public assistera à la fin d’un monde qui ne promet pas, hélas, des lendemains plus riants pour un sport qui prendra un double coup dans l’estomac quand Roger Federer, 37 ans, et Serena Williams, 36 ans, les deux figures tutélaires des deux circuits, prendront leur retraite. Autant dire demain...

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