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Le temps des colonies lunaires (MàJ)

Obama a beau avoir annoncé l'abandon du projet d'installation d'une base sur notre satellite, d'autres nations et entrepreneurs veulent se lancer dans l'aventure.

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MàJ: Lundi 1er février, Barack Obama a présenté son budget fédéral. Parmi les «victimes» de ce budget de crise, l'exploration lunaire et le programme de vols habités Constellation, qui est abandonné.

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Unique satellite naturel de la Terre, la Lune reste à ce jour l'unique corps céleste que l'être humain ait jamais physiquement visité. Entre le 21 juillet 1969, date à laquelle Neil Armstrong fut le premier à soulever la poussière lunaire et la mission Apollo 17 de décembre 1972, ce sont, en tout et pour tout, douze Terriens qui ont eu le privilège de fanfaronner à 384.000 kilomètres de notre bonne vieille planète. Personne n'y est retourné depuis, mais la donne semble en mesure de changer radicalement. Et cette fois plus question d'exploration, ni même de faire du tourisme. Désormais, l'objectif est clair: coloniser la Lune.

Renvoyer des astronautes sur la Lune à partir de 2020?

Courant 2004, George W. Bush, encore président des Etats-Unis, annonçait la mise en place du Constellation Program, un programme d'exploration spatiale de la Nasa visant à reprendre l'envoi d'astronautes sur la Lune pour des missions de longue durée à partir de 2020. Parmi les objectifs établis, l'établissement d'une base lunaire permanente tient le haut du pavé. En vertu du calendrier dévoilé par Neil Armstrong lui-même, la Nasa compte ainsi envoyer chaque semaine une équipe de quatre hommes qui se relaieront à la construction de ce qui pourrait bien être la première structure lunaire permanente.

Selon les plans initialement annoncés, cette station lunaire aurait dû être habitée dès l'année 2024 par des équipes se relayant tous les six mois, selon le même principe que la Station spatiale internationale. En plus des intérêts qu'une telle base pourrait présenter en terme d'investigations scientifiques, elle pourrait surtout servir de base de décollage pour d'autres planètes plus éloignées de la Terre, Mars notamment. Pourtant, Barack Obama —qui soumettra au Congrès le budget de la nation, ce lundi 1er février 2010— serait tenté de remettre en cause le programme Constellation, trop onéreux à ses yeux. Pour autant, si l'information s'avérait être exacte, Obama devrait probablement batailler avec nombre de sénateurs, républicains comme démocrates.

Plusieurs d'entre eux ont d'ores et déjà fait savoir qu'ils s'opposeront fermement à une décision qui laisserait les Etats-Unis sans vrai programme d'exploration spatiale au delà de l'orbite terrestre. Michael Griffin, chef de la Nasa, va même plus loin en soulignant qu'un tel choix serait simplement synonyme «d'abandon de son leadership sur les frontières de l'espace de la part de la Nation».

La course à l'Hélium 3

Pour autant, si les Etats-Unis tergiversent, d'autres s'intéressent également de près à Lune et semblent faire preuve de moins retenue. Autorités indiennes, gouvernement russe, coalition européenne et Chinois ont eux aussi bien saisi les enjeux d'une colonisation de la Lune. Notamment ceux des ressources énergétiques disponibles en grande quantité sur la Lune. Dès 2006, la CNSA, l'agence spatiale chinoise, annonçait ainsi son objectif d'explorer la Lune grâce à des robots puis des êtres humains vers 2025-2030.

Si l'installation d'une base lunaire fait partie des préoccupations légitimes des Chinois, l'objectif majeur des autorités spatiales de l'Empire du Milieu consiste en fait à extraire de l'hélium 3, une ressource énergétique présente en abondance sur le satellite de la Terre. Très rare ici bas car repoussé par le champ magnétique de notre planète, cet isotope composé d'un neutron et deux protons, serait présent par millions de tonnes dans les sous-sols lunaires.

Or, si les techniques pour utiliser cette manne d'énergie sont à ce jour encore balbutiantes, certains experts n'hésitent pas à avancer que l'utilisation de la fusion nucléaire à partir de l'hélium 3 comme source d'énergie propre puisse être une véritable révolution énergétique. Selon leurs estimations, une vingtaine de tonnes de l'isotope en question permettrait d'assurer les besoins énergétiques d'un pays comme les Etats-Unis pendant une année entière. De quoi filer le tournis et inciter à se lancer dans une course économique effrénée à l'extraction de l'hélium 3.

Voyager vers la Lune en trente minutes

Certaines entités privées sont bien décidé elles aussi à croquer leur part du gâteau. La Lune pourrait devenir une véritable frontière commerciale dans un futur proche et Lockheed Martin, l'une des principales firmes aéronautiques américaines, l'a bien compris. En développant des technologies qui permettront aux futurs résidents lunaires d'exploiter les ressources, comme ce système qui permettrait de transformer la poussière en oxygène et en eau —et peut-être même en essence— l'entreprise américaine anticipe dès aujourd'hui la logique de colonisation de la Lune.

Mais s'il en est un qui a parfaitement perçu la manne économique que constitue l'exploitation commerciale de la Lune, c'est bien Dennis Hope. Profitant d'une faille juridique dans l'Article II du Traité de 1967 de l'ONU sur l'Espace*, Dennis Hope aurait vendu environ 400 millions de demi hectares de Lune au prix de 20 dollars l'unité depuis 1980, à des clients s'appelant parfois Tom Cruise, John Travolta, Ronald Reagan ou Jimmy Carter. Depuis 2004, cet entrepreneur multimillionnaire a poussé son délire mégalomane jusqu'à créer son propre gouvernement, le Gouvernement Galactique, lequel a ratifié une constitution et possède désormais un organe législatif ainsi qu'une monnaie.

Or, au cours d'une interview réalisée en décembre dernier, Hope me confiait notamment son désir d'organiser lui-même via l'Ambassade Lunaire —la société d'exploitation de la Lune affiliée à son gouvernement— le forage de l'hélium 3, d'en assurer l'exploitation commerciale puis d'en redistribuer ensuite 500 grammes à chaque propriétaire d'une parcelle acheté sur le site de l'Ambassade Lunaire.

Plus hallucinant encore, celui-ci soutient qu'il compte commencer à construire dès 2012 une pyramide de trois kilomètres de largeur, de longueur et de hauteur sur la Lune et qu'il dispose déjà des brevets pour réaliser un vaisseau qui permettra —on suppose à l'aide de l'hélium 3— de la rejoindre en trente minutes à peine. Dennis Hope est tellement persuadé de toucher cette manne qu'il annonce même d'ores et déjà qu'une des étapes suivantes de sa conquête de l'espace consistera à vendre des allers retours à destination de la Lune et sa pyramide pour 15.000 dollars environ.

Le risque de détruire des ressources scientifiques inestimables?

Pourtant, en dépit de ce visage rond et bienveillant, Dennis Hope est loin d'être un ange gentiment allumé. Bien conscient de la bataille commercialo-diplomatique qui pourrait découler de la colonisation de Lune, celui-ci n'hésite pas à affirmer haut et fort qu'en vertu du Traité de l'Espace, il n'hésitera pas à détruire tout vaisseau s'approchant de terrains lunaires lui appartenant. A la suite de l'annonce de l'agence spatiale chinoise en 2006, Hope avait même adressé une missive au président chinois Hu Jintao pour lui notifier que l'exploitation de l'hélium 3 ne serait possible qu'en cas d'accord avec son gouvernement.

Au-delà du délire, sa réflexion pose pourtant la question de savoir comment l'ONU réagira si plusieurs nations terrestres se mettaient à exploiter les ressources de la Lune. Une telle démarche constituerait de facto une appropriation nationale de la Lune par voie d'utilisation des ressources énergétiques, ce que le Traité de l'Espace de l'ONU interdit formellement. Le fait que les Américains n'aient jamais émis de revendications territoriales même en ayant planté plusieurs fois leur drapeau sur le sol poussiéreux lunaire va dans ce sens.

Au delà des querelles économiques, cette course effrénée à l'utilisation des ressources n'est pas non plus sans poser la question de la destruction potentielle de preuves scientifiques inestimables. En 2007, Edgar Michell, membre de la mission lunaire Apollo 14 de janvier 1971, confiait que le rush pour exploiter les ressources la Lune pourrait détruire un certain nombre d'informations scientifiques capitales.

Au regard de la manière dont nous avons (mal)traité la planète sur laquelle nous vivons pour l'instant, difficile de lui donner tort. A l'image d'un Dennis Hope —«Il y a toujours un risque. Les Hommes ont toujours pris des risques depuis qu'ils sont sur cette planète»— les partisans de la colonisation, eux, ne semblent pas s'embarrasser de ces considérations bassement scientifiques...

Loïc H. Rechi

* Article II du Traité de l'Espace de l'ONU stipule que «l'espace extra-atmosphérique, y compris la lune et les autres corps célestes, ne peut faire l'objet d'appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d'utilisation ou d'occupation, ni par aucun autre moyen» mais n'indique rien au titre des individus. Dennis Hope a écrit à l'ONU en 1980 pour faire part de son intention de commercialiser des parcelles de Lune. Face à l'absence de réponse, il a pris le parti de se lancer dans son entreprise.

Image de une: Image d'artiste du module Altair de la Nasa / Nasa

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