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Copé: La régulation financière est toujours devant nous!

L'Europe doit en reprendre l'initiative et avancer unie.

Temps de lecture: 3 minutes

Le FMI prévoit une année 2010 marquée par une reprise économique mondiale à plusieurs vitesses: croissance molle en zone euro, robuste aux Etats-Unis, à deux chiffres en Chine. Ces prédictions engagent de prime abord à l'optimisme mais cette reprise sera fragile tant que l'économie mondiale restera à la merci de l'éclatement de nouvelles bulles spéculatives. Les risques sont en effet multiples, notamment avec les suites de la crise des subprimes, dont on a pas encore perçu toutes les conséquences (le FMI estime que seule la moitié des 3000 milliards de dollars des dépréciations bancaires liées à la baisse des actifs a pour le moment été révélée...), ou avec la bulle spéculative dans les pays émergents où la surchauffe de la croissance (10% en Chine, 7,7% en Inde, 4,7% au Brésil) encourage les prises de risques inconsidérées.

En clair, la sphère financière tend à revenir au «business as usual», une fois passée la tempête médiatique sur les bonus. Ce retour à une spéculation financière en partie déconnectée de l'activité économique tient au décalage entre les déclarations d'intention sur la régulation du système bancaire au niveau international à l'automne 2008 et les mesures de contrôle déjà effectives en 2010. Le chantier de la régulation est encore largement devant nous. Parmi les grandes priorités, il faut notamment :

  • Imposer une plus grande transparence aux établissements sur les montants prêtés aux ménages, aux entreprises et aux collectivités pour s'assurer que les banques financent réellement l'économie réelle.
  • Eviter les dérives spéculatives en limitant les opérations des banques pour leur compte propre, ou a minima, en obligeant les banques à avoir les mêmes règles de transparence pour la gestion des fonds pour le compte de tiers et pour leur propre compte. Il faut également que les limites d'engagement des traders soient transmises à l'autorité de tutelle pour des sanctions immédiates en cas de dépassement. Surtout, il faut aligner tous les acteurs de marché sur les mêmes règles prudentielles interdisant les effets de levier excessifs qui mettent en péril l'équilibre du système.
  • Avancer sérieusement sur la remise à plat des normes comptables qui ont un effet d'amplification des crises en intégrant d'autres paramètres que la valeur du marché pour l'évaluation des actifs.
  • Encadrer davantage les instruments financiers comme la vente à découvert ou la titrisation, par exemple, en obligeant les banques à garder une partie des créances titrisées (la part la plus risquée) dans leur bilan, jusqu'au remboursement effectif des créances. La note émise par l'agence de notation au moment de la commercialisation du produit titrisé devrait aussi être révisée plus régulièrement.
  • Revoir les missions des agences de notation: leur fonctionnement, le contrôle exercé sur leur activité, et éventuellement leur actionnariat.

Sur ces sujets, l'administration Obama a fait un certain nombre d'annonces mais elle agit finalement peu, notamment du fait de l'opposition du Congrès. Quand Barack Obama, pour reprendre la main suite à son revers électoral dans le Massachusetts, a annoncé jeudi 21 janvier, des mesures de régulation du secteur bancaire, tout le monde en Europe s'est empressé d'applaudir sa démarche! Il a expliqué vouloir limiter les activités de marché spéculatives des grandes banques pour leur seul compte et réduire la taille des établissements financiers afin d'éviter que l'Etat se retrouve à nouveau dans l'obligation de venir au secours de mastodontes en péril. Ces propositions sont intéressantes... à condition que les Etats-Unis passent à l'action. L'expérience doit nous engager à beaucoup de prudence. Il y a des précédents fâcheux. Qu'on songe, dans le domaine environnemental, à la non ratification du traité de Kyoto; dans le domaine comptable, aux normes IFRS que les Européens ont adoptées alors que les Américains conservent toujours leurs propres normes comptables plus souples, les US GAAP; ou encore au dispositif prudentiel Bâle II destiné accroître les exigences de fonds propres des banques, qui n'a toujours pas été adopté outre-atlantique alors qu'il est en vigueur dans l'Union européenne...

Le risque est que l'Europe se lance bille en tête dans une vaste réforme de la régulation de son système financier, déjà plus contraignant qu'outre Atlantique, alors que les Etats-Unis, au-delà des effets d'annonce, reportent sine die cet effort chez eux. Il en résulterait une distorsion de concurrence au détriment de l'Europe. Il serait pour le moins paradoxal que l'effort de régulation pèse exclusivement sur notre continent, qui est déjà plus raisonnable, alors que la crise est venue des Etats-Unis!

Ce risque n'est sûrement pas une raison pour abandonner le combat de la régulation en attendant la prochaine crise... Il doit inciter l'Europe à reprendre l'initiative et avancer unie pour défendre à l'échelle internationale un modèle de régulation financière raisonnable, valable pour tous les opérateurs dans le monde. Nous pouvons nous appuyer dans cet effort sur les opinions publiques du monde entier qui refusent que les choses reprennent leur cours comme si de rien n'était.

Jean-François Copé

Image de une: Money, AMagill via Flickr

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