Sciences

Les bébés génétiquement modifiés ne soulèvent pas de question éthique insurmontable

Longtemps cantonnée au domaine de la science-fiction, la modification génétique d’embryons humains semble aujourd’hui se rapprocher plus que jamais de l’usage clinique.

<a>On pourra bientôt changer les pièces du grand puzzle de l'ADN.</a> | Qimono via Pixabay CC0 <a href="https://pixabay.com/fr/puzzle-adn-recherche-g%C3%A9n%C3%A9tique-2500333/">License by</a>
On pourra bientôt changer les pièces du grand puzzle de l'ADN. | Qimono via Pixabay CC0 License by

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Publiée le 13 août dans le journal Molecular Therapy et rapportée pour la première fois par Stat le 20 août, l'étude d'une équipe de recherche chinoise est venue démontrer la grande efficacité et sûreté d’une nouvelle version du ciseau génétique Crispr pour corriger une mutation dans des embryons humains viables.

Les chercheurs et chercheuses ont corrigé avec succès une mutation responsable du syndrome de Marfan, une pathologie génétique rare touchant environ une personne sur 5.000. Une erreur d’une lettre dans le gène FBN1 [chaque brin d'ADN est une succession de quatre sortes de nucléotides, notés par des lettres: A, T, C ou G, ndlr] perturbe la production de la protéine fibrilline 1, qui permet la cohésion des tissus. La maladie peut toucher les yeux, le squelette ou le cœur. Dans ce dernier cas, les personnes atteintes du syndrome de Marfan risquent des failles de l’aorte, une artère critique du corps humain, ce qui peut entraîner une hémorragie interne.

L'équipe a rassemblé des ovocytes et du sperme issu du don d’un patient atteint du syndrome de Marfan pour procéder à une fécondation in vitro. Dans les embryons viables a ensuite été injectée une nouvelle version de l’outil Crispr appelée «éditeur de base», qui consiste à remplacer un nucléotide par un autre –ici un G par un A. Les scientifiques ont gardé les embryons en culture pendant deux jours, avant de réaliser des analyses de leur génome.

Mutations non désirées

Les résultats ont été à la hauteur de leurs attentes: seize des dix-huit embryons modifiés possédaient bien le A au niveau du gène FBN1. Seul un embryon parmi les sept dont le génome a été entièrement analysé possédait par ailleurs une légère mutation non désirée. Aucun des autres embryons analysés ne possédait une modification non voulue.

Cette question des mutations induites non désirées était au cœur des critiques adressées à l’équipe du chercheur Shoukhrat Mitalipov, basée à Portland aux États-Unis. En août 2017, elle avait frappé fort avec la publication d'une étude dans le prestigieux journal Nature, où été décrite la correction dans cinquante-huit embryons d’une mutation du gène MYBPC3, responsable de la cardiomyopathie hypertrophique, une maladie cardiaque héréditaire.

La version de Crispr utilisée par l’équipe de Shoukhrat Mitalipov était différente de celle de l’étude chinoise: elle consistait à briser l’ADN à l’endroit voulu tout en fournissant un modèle d’ADN sain, dans l’espoir que ce dernier soit utilisé pour la réparation. Les scientifiques de Portland ont alors découvert que plutôt que d’utiliser le modèle fourni, les embryons ont récupéré la copie saine du gène provenant de la mère.

Face aux critiques qui dénonçaient des erreurs potentielles induites par son utilisation de Crispr, l'équipe américaine a expliqué dans une réponse publiée début août dans Nature avoir ré-analysé l’ensemble des échantillons de cellules d’embryons sans trouver la moindre preuve de mutations non désirées induites par leur manipulation.

Malgré ces résultats prometteurs et rassurants, les chercheurs et chercheuses chinoises ont justifié leur choix de l’outil d’édition de base par une propension encore moindre de ce dernier à induire des effets hors-cible.

D’autres études chinoises publiées en 2017 avaient aussi fait usage de l’édition de base, dont une étude publiée en novembre sur des embryons humains issus d’une procédure de clonage. Cette étude visait à corriger une mutation responsable de la bêta-thalassémie, une maladie héréditaire grave de l'hémoglobine.

Feux verts éthiques

Face aux progrès rapides de la recherche, nombreuses sont les voix qui se sont élevées pour s’opposer à la thérapie génique sur embryons humains. Il ne se passe pas une semaine sans qu’un article de presse à sensation s’effraie des conséquences imaginées de ces technologies. En France, l’association conservatrice et catholique Alliance Vita a lancé en 2016 une campagne subtilement intitulée «Stop Bébé OGM».

Outre-Atlantique, il ne semble toutefois pas que ces peurs soient très répandues: une récente étude de Pew Research a montré que 72% des personnes interrogées sont favorables à la modification génétique d’embryons en vue de corriger une maladie grave; 60% sont aussi favorables à son utilisation pour réduire le risque de survenue d’une maladie grave plus tard dans la vie.

Aussi intéressants les sondages soient-ils, ils ne disent toutefois rien du fond du débat: y a-t-il lieu de prohiber la modification génétique d’embryons humains? C’est à cette question que le Nuffield Council on Bioethics, un célèbre think tank indépendant britannique, a tâché de répondre dans un passionnant rapport de 200 pages publié en juillet dernier –dont la lecture est chaudement recommandée pour les personnes s’intéressant à ce débat. Leur réponse est catégorique: il n’y a aucune raison d’interdire par principe toute forme de modification génétique d’embryons humains.

Face à l’objection que ces technologies sont une forme d’eugénisme, les auteurs et autrices du rapport rappellent la distinction essentielle entre l’eugénisme autoritaire, qui consiste pour un État à contrôler de manière coercitive la manière dont les gens se reproduisent, et l’eugénisme libéral, qui consiste à laisser les individus faire des choix reproductifs libres et spontanés. Tandis que la première forme d’eugénisme est évidemment condamnable, le rapport note qu’il n’est pas évident que la seconde forme le soit.

«Le type d’essentialisme génétique qui lie la dignité humaine ou les droits humains à la possession d’un type de génome spécifique semble incohérent.»

Rapport du Nuffield Council on Bioethics sur l'édition du génome

Les sages du Nuffield Council on Bioethics pointent aussi l’incohérence de l’opposition à toute forme d’intervention des parents dans le génome de leurs enfants, quand on juge par ailleurs comme acceptables de larges formes d’intervention une fois que l’enfant est né: «Pourquoi les interventions dans le génome seraient-elles exceptionnelles, quand on les compare aux myriades d’autres manières dont les parents interviennent dans les vies de leur progéniture, ces méthodes entraînant aussi des traits inévitables dans leur biographie et dans les conditions de leur développement futur?»

En outre, les scientifiques à l'origine du rapport s’opposent à cette idée que les interventions dans notre génome seraient contraire à la dignité humaine ou aux droits des enfants: «Le type d’essentialisme génétique qui lie la dignité humaine ou les droits humains à la possession d’un type de génome spécifique semble incohérent, puisque le génome humain n’est pas une chose simple et stable, et il n’est pas non plus distinct dans tous ses détails des génomes d’autres organismes».

Bien-être de l'enfant et justice sociale

Il est extrêmement intéressant et particulièrement notable que les professeures et professeurs à l'origine du rapport refusent l’utilisation de la distinction entre procédure thérapeutique et procédure d’amélioration comme critère pertinent pour décider des usages légitimes de l’intervention dans le génome des enfants à naître.

Il est extrêmement commun dans les cercles académiques d’entendre que si d’un côté la modification génétique thérapeutique est évidemment souhaitable, de l’autre les interventions d’amélioration seraient à rejeter catégoriquement.

Bien que cette distinction soit superficiellement plausible, le rapport note qu’il existe de très nombreux cas de modifications génétiques qu’il est difficile de classer dans l’une ou l’autre catégorie. Une intervention visant à fournir à l’enfant une résistance génétique à une maladie ou à un phénomène naturel est-elle une forme d’intervention thérapeutique ou une amélioration?

Cette question ne relève pas que de la théorie: une étude publiée en 2016 par une équipe de recherche chinoise visait à induire chez des embryons humains une mutation conférant une résistance au VIH.

Plutôt que cette distinction floue et extrêmement contestée, les auteurs et autrices du rapport proposent deux critères essentiels pour qu’une modification génétique d’embryons humains en vue d’une naissance soit acceptable.

Le premier critère proposé est celui du bien-être du futur enfant: «Des gamètes ou des embryons qui ont été sujets de procédures de modification génétique (ou qui sont dérivés de cellules qui ont été sujettes à de telles procédures) ne doivent être utilisés que lorsque la procédure est employée d’une manière et dans un objectif destinés à sécuriser et cohérents avec le bien-être d’une personne qui peut naître en conséquence du traitement de ces cellules».

Notant que ces technologies risquent de créer des inégalités sociales si elles se trouvent hors d’accès des catégories sociales les plus défavorisées, le second critère proposé est celui de justice sociale: «L’utilisation de gamètes ou d’embryons qui ont été sujets de procédures de modification génétique (ou qui sont dérivés de cellules qui ont été sujettes à de telles procédures) doit être permise dans les seules circonstances où on ne peut raisonnablement s’attendre à produire ou exacerber des divisions sociales ou la marginalisation de groupes désavantagés dans la société».

Débat dépassionné

Suite à la formulation de ces principes, le Nuffield Council on Bioethics en appelle à un large débat de société sur la manière dont la modification génétique d’embryons devra être encadrée, une fois que les techniques auront été rendues sûres et efficaces pour un usage clinique.

Ce débat ne peut avoir lieu qu’une fois que l’on reconnaît qu’il n’existe pas de justification rationnelle à s’opposer systématiquement à toute forme d’intervention dans le génome des enfants à naître.

Une discussion calme et rationnelle semble pourtant une perspective lointaine en France, quand on connaît la manière dont sont menés les débats de bioéthique. Gageons que les prises de position courageuses d’organisations renommées comme le Nuffield Council on Bioethics permettront de faire changer les choses.

Alors que la recherche avance à grands pas aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou en Chine, il est urgent de réfléchir de manière dépassionnée aux immenses bénéfices pour l’humanité qu’apporteront ces technologies de modification génétique d’embryons, et aux manières de réduire leurs potentiels travers.

On peut légitimement douter que des slogans comme «Stop Bébé OGM» apportent quoi que ce soit à ce débat qui s’annonce passionnant et chaque jour plus important, à mesure que la modification génétique d’embryons humains se rapproche de la clinique.

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