Économie

Spotify n'est pas ce que vous croyez

De nombreux doutes subsistent sur le business model de ce logiciel d'écoute en streaming.

Temps de lecture: 4 minutes

Il y a quelques jours, on a appris par un confidentiel de la Tribune relayé par Electron Libre, que Jonathan Benassaya, le PDG de Deezer devait quitter ses fonctions, «chassé» par ses actionnaires. Il s'est avéré assez rapidement que Jonathan Benassaya ne quittait pas vraiment Deezer, du moins, pas pour le moment. Dans la foulée, les commentaires nous ont assommé de «Spotify l'a tuer» ou d'«une autoroute pour Spotify»...

Spotify est certainement l'un des meilleurs outils de streaming musical du marché. Mais il ne peut se contenter de simplement proposer une bonne qualité d'écoute et un gros catalogue pour convaincre ses utilisateurs, les labels et le marché. Passés la «hype» et le «buzz» en effet, on peut douter de la viabilité de Spotify. Ce dont les labels américains ne se privent pas.

Des doutes sur le modèle

D'après différents articles (Financial Times, Paid Content, The Next Web), les labels américains disent ouvertement leurs doutes sur le business model du site de musique. Leurs (nombreuses) expériences leur ont appris qu'un site basé uniquement sur la publicité ne fonctionnait pas sur le long terme. Ils attendent donc de Spotify des chiffres clairs sur les taux de conversion utilisateurs de l'offre gratuite vers l'offre payante.

Daniel Ek lui-même, le fondateur de Spotify a reconnu, lors du Monaco Media Forum, la difficulté à stabiliser un business model mixant publicité et abonnement.

Lors du dernier Midem, Paul Brown, le Senior VP de Spotify, annonçait avoir convaincu 250.000 personnes - sur les 7 millions d'utilisateurs de l'application - de passer au payant. Le taux de conversion du gratuit au payant est donc de 3,5%, soit trois fois moins que le taux de conversion d'une application sur l'iPhone. Rob Wells, un des dirigeants d'Universal Music International, estime qu'il faudrait que Spotify atteigne un taux de conversion de 10 à 12% pour stabiliser son business model. Or pour le moment, rien ne permet de comprendre comment Spotify compte optimiser ce taux. L'absence de la publicité dans la version payante (dans la version gratuite, un message publicitaire audio de quelques secondes se déclenche toutes les trois chansons environ) est un argument un peu mince. De plus, l'offre ne propose pas la totalité du catalogue et le marketing utilisateur est quasi inexistant. Et il faudra beaucoup plus que l'écoute en avant-première de «Luke» pour convaincre le public de payer 9,99€ par mois pour y avoir accès... (Notons que Vodaphone a annoncé avoir déjà convaincu 450.000 personnes de s'abonner à son offre premium avec une forte croissance).

Enfin, on se pose de plus en plus la question de la cannibalisation des ventes face à une offre d'écoute illimitée. Apple, après avoir vendu plus de 10 milliards de titres en téléchargement, est à peine à l'équilibre. Alors Spotify...

Des doutes sur les accords entre Spotify et les majors

Paul Brown a également un peu plus détaillé le deal existant entre Spotify et les majors en Suède, Norvège, Finlande, France, Royaume-Uni et Espagne. Dans les quatre premiers pays, Spotify reverse aux labels un pourcentage calculé sur les ventes d'espaces publicitaires et les abonnements, et dans les deux derniers, Spotify reverse un pourcentage «pay per user», calculé par abonnement payant.
Paul Brown qualifie le deal combinant les abonnements et la publicité de «viable». Intéressant quand on sait que ces mêmes labels ont monté le même deal avec MySpace Music aux Etats Unis. Il ne me semble pas que la première caractéristique entendue sur ce deal était d'être «viable».
Et c'est encore plus intéressant quand on connait les barèmes fixés par les majors pour l'utilisation des catalogues. D'après Electron Libre, en France, les minimums garantis pour exploiter leur catalogue (téléchargement, streaming gratuit, abonnement), sont difficilement recoupables et les acteurs du streaming annoncent reverser plus d'argent qu'ils n'en gagnent. Universal Music est la seule major à publier des conditions générales de ventes et à appliquer le même tarif à tous. Sony Music est la major dont les exigences sont les plus fortes avec un barème très subjectif (comprendre: à la tête du client). A priori, elle n'a pas encore bien appréhendé l'importance de ce marché sur le long terme et souhaite donc en profiter à court terme. Avec pour conséquence l'imposition de la gestion collective par les pouvoirs publics...

Dans ces conditions, il n'est donc pas étonnant que les majors annoncent que Spotify leur fait gagner de l'argent... mais que reste-t-il vraiment à Spotify?

Une concurrence féroce

Daniel Ek ne souhaite pas communiquer sur l'arrivée prochaine de Spotify au Etats-Unis. Il est vrai que cela pose un grand nombre de questions. Les labels vont-ils privilégier leur joint-venture avec MySpace Music? Comment Spotify va-t-il pouvoir survivre face à Pandora, Napster, Rhapsody et autres..? Pandora, qui a fêté cette année les dix ans de son service de streaming radio, a annoncé la semaine dernière être profitable, pour la première fois...

Enfin, Spotify se retrouve maintenant face à Apple qui, avec le rachat de Lala, va proposer une offre web. Les rumeurs disent que l'on pourra accéder à un Itunes.com, qui proposerait une offre de streaming illimité, de n'importe où, à partir de n'importe quel appareil. C'est-à-dire que l'on aura plus besoin d'installer un logiciel pour accéder au service. Il sera partout («cloud computing») et permettra d'accéder également à toute sa bibliothèque sans avoir besoin de synchroniser son iPod.
Apple a annoncé que le service pourrait être lancé au printemps. Et si Apple peut streamer de la musique, pour n'importe quel utilisateur, n'importe où dans le monde, à partir de n'importe quel appareil, pourquoi payer alors 9,99€ pour un abonnement à un autre service? Et je ne doute pas qu'Apple proposera des abonnements attractifs mêlant streaming et téléchargements. C'est un autre challenge pour Spotify....

Faire évoluer l'outil

La première préoccupation de Spotify devrait être de fidéliser ses utilisateurs. Il doit donner plus pour convaincre de passer à son offre payante. Il doit innover, introduire de nouvelles fonctions sociales, intégrer les artistes, leur permettre de vendre (là où les majors ont failli). Bref, rendre son offre vraiment attractive et valoriser son public et les artistes. Ce n'est donc qu'en intégrant clairement les utilisateurs, les artistes et en permettant l'interconnexion avec d'autres sites, applications et appareils que Spotify pourra développer et stabiliser son business model, comme son expérience utilisateur.
Dans un monde où les groupes indépendants se font plus d'argent en vendant du merchandising sur Twitter (Amanda Palmer des Dresden Dolls a vendu pour 19.000$ de produits dérivés en 10 heures), Spotify pourrait être une passerelle entre les artistes et le public. Comme Napster, il y a dix ans, qui proposait d'acheter des places de concerts pour l'artiste que l'on était en train d'écouter. Il est dommage que cette fonction n'existe toujours pas sur Spotify...

Vous vous demandez certainement pourquoi je ne parle pas de Deezer. Parce que je ne tire pas sur une ambulance. Encore moins quand elle est à l'arrêt. Mais dès que Deezer en aura dit plus sur ses projets, je ne manquerai pas d'en parler...

Virginie Berger

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Image de une: Flickr, Music

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