Égalités / Société

Mais pourquoi les femmes ont-elles les cheveux plus courts avec l’âge?

Si les coupes de nombreuses femmes raccourcissent au fil de la vie, ce n’est pas forcément signe d’une libération des injonctions capillaires.

La coupe garçonne ne cache pas nécessairement une féministe | Daniel Apodaca via Unsplash CC <a href="https://unsplash.com/photos/wmbbbU0LUG8">License by</a>
La coupe garçonne ne cache pas nécessairement une féministe | Daniel Apodaca via Unsplash CC License by

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C’est un peu une courbe de Gauss. En abscisses, l’âge. En ordonnées, la longueur des cheveux. Après un âge où les petites filles portent des barrettes alors qu’elles n’ont que trois poils sur le caillou (parce que leurs parents tiennent absolument à montrer que leur poupon est une fille, hein, et pas un garçon, il ne faudrait pas confondre), elles les laissent pousser (aussi pour affirmer leur identité genrée, convaincues que c’est la coupe de cheveux qui fait le sexe). Puis, les années passant, les cheveux qui descendaient au milieu du dos arrivent aux épaules, un carré se dessine au point que certains parlent même de coupe de cheveux de maman, jusqu’à l’apparition de la coupe courte –le chignon de grand-mère ne faisant plus fureur.

On pourrait penser qu’en prenant de l’âge, les femmes qui se coupent les cheveux de plus en plus courts le font parce qu’elles prennent du recul sur la confusion symbolique entre genre féminin et cheveux longs. Sauf que c’est un peu plus compliqué que ça. La coupe courte a beau libérer les épaules d’un poids capillaire qui peut faire suer, elle est aussi le reflet d’autres injonctions, plus ou moins pesantes.

Sensualité cisaillée

«Les femmes d’un certain âge qui subissent une chimiothérapie sont particulièrement affectées par la perte de cheveux, perçue comme le symbole de leur féminité», indique l’anthropologue Christian Bromberger, notamment auteur de l’ouvrage Les sens du poil – Une anthropologie de la pilosité (Créaphis Editions, 2015). Une association entre chevelure et identité féminine qui s’explique naturellement. «Le cycle des cheveux, de la naissance à la croissance jusqu’à leur chute, est en moyenne de six ans chez les femmes, ce qui permet d’avoir des cheveux jusqu’à mi-dos en longueur, nous apprend le dermatologue Pascal Reygagne, directeur du Centre Sabouraud, spécialisé dans la peau et les cheveux, à l'hôpital Saint-Louis (Paris). Tandis que chez les hommes ce cycle de pousse est plutôt de trois ans, ce qui signifie que, lorsque les hommes se laissent pousser les cheveux, ils leur arrivent en moyenne aux épaules.»

Si, pour ces raisons notamment physiologiques, les cheveux longs font symboliquement «la femme», les raccourcir pourrait être une façon de se détacher de ce que recoupe cette vision stéréotypée. De se dire que l’on n’a pas besoin d’avoir des cheveux pour être (reconnue comme) femme. Et aussi que l’on peut être séduisante sans forcément avoir une chevelure opulente ni consacrer des heures (et beaucoup d’euros) à l’entretenir, à grands renforts de shampoings, après-shampoings et autres soins, en se détachant d'une représentation de la femme passive, si ce n’est d’objet à courtiser devant se focaliser sur son apparence, ancrée depuis des siècles dans l'imaginaire collectif. Rien d’étonnant à ce que la luxuriante chevelure, signe extérieur distinctif, ait fini par être perçue comme une marque de sensualité typiquement (génétiquement?) féminine, sur laquelle les poètes n’ont cessé de s’épandre et de laquelle on ne cesse de s’éprendre. Se couper les cheveux «peut être une revendication, une façon de dire "je suis féminine pas seulement parce que j’ai des cheveux longs et soyeux", de refuser cette mise en scène de sa féminité à travers sa chevelure», confirme Christian Bromberger.

Reproduction des normes

Sauf que l’envie de passer moins de temps à se brosser, se shampouiner, se sécher les cheveux, sans oublier les masques ou encore les brushings ni les coiffures sophistiquées, peut ne pas être un signe de libération des injonctions. Si les coupes au carré fleurissent au moment de la vie où les femmes se retrouvent mères, c’est peut-être aussi parce qu’elles se retrouvent à en faire plus à la maison, entres les courses, les repas, le ménage et l’éducation des enfants. Et que caler dans cet agenda surchargé les soins capillaires a de quoi donner des envies de s’arracher les cheveux. Résultat: la tignasse n’étant plus la priorité, elle passe à la trappe et sous une paire de ciseaux.

Et ce, d’autant plus que, dans le milieu professionnel, les cheveux longs ne font pas très sérieux. Si les choix capillaires de NKM avaient tant fait jaser, comme plus récemment les longues boucles de la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, au point que Marlène Schiappa a annoncé avoir décidé de s’attacher les cheveux pour être écoutée, c’est bien qu’il semble falloir, pour réussir au travail, notamment dans la vie politique, adopter des codes masculins et faire oublier son statut de femme. «C’est un refus d’être simplement considérée par l’autre comme un objet de séduction», appuie le spécialiste de la pilosité.

Bien sûr, les femmes qui se coupent les cheveux de plus en plus courts ne suivent pas consciemment un rituel consacré qui soulignerait le nouveau statut social de celles ayant signé un CDI ou s’étant mises en couple ou déjà reproduites –et en ferait officiellement des sortes de rebuts inutiles, comme si la séduction rattachée à la chevelure avait rempli sa fonction d’attirer le partenaire afin d’aboutir à une progéniture. Rien à voir avec les femmes mongoles qui, pour symboliser la ménopause, se rasent le crâne, comme l’évoque l’ethnologue Gaëlle Lacaze dans son article «La vie du poil. La construction du genre au cours du cycle de vie idéal des Mongols». Reste que l’on peut supputer que le raccourcissement de la longueur des cheveux des femmes est le fruit d’une socialisation latente et d’une intériorisation des canons de beauté. «Les cheveux tombants caractérisent la jeunesse, insiste Christian Bromberger. Une femme âgée avec de longs cheveux peut paraître ridicule parce qu’elle est hors normes.»

Densité esthétique

Attention, ce n’est pas pour autant qu’il faut en déduire que toutes les femmes qui accèdent au statut de parent décident d’un coup d’un seul que la séduction ce n’est plus de leur âge, et puis qu’après tout elles sont, à part pour les mères célibataires, déjà en couple. Ce peut même être l’inverse… sans faire sauter pour autant les injonctions. Précisons d’abord que, si les longues et épaisses chevelures sont le symbole du jeune âge, c’est aussi pour des raisons physiques. «Avec l’âge, les cycles de vie des cheveux deviennent plus courts. La longueur maximale diminue lentement et progressivement à partir de 20-25 ans, pointe le dermatologue spécialiste des cheveux. On observe aussi une réduction de la densité et du diamètre des cheveux au fil des ans, à partir de 25 ans.» Autre phase de perturbation pileuse, la grossesse. «Si celle-ci favorise la pousse de cheveux, fait remarquer le docteur Reygagne, en revanche, deux ou trois mois après l’accouchement, beaucoup de cheveux tombent en raison de la baisse des hormones.»

Les femmes se couperaient donc les cheveux juste parce qu’elles ne parviennent pas à les avoir aussi longs qu’auparavant, d’autant que «la baisse de la densité capillaire est plus importante après la ménopause, les cheveux n’étant plus protégés par les œstrogènes, qui diminuent la chute»? Pas tout à fait. «Quand on a plus de 40 ou 50 ans, si on veut garder les cheveux très longs, on finit par avoir une queue de radis au bout, détaille Pascal Reygagne. Pour des raisons esthétiques, on peut alors opter pour une coupe plus courte.» Ce peut donc être pour faire joli et rester dans le rang que les cheveux raccourcissent au fil des années. Une prise de tête constante. Peut-être serait-il temps de tirer à boulets rouges sur ces canons de beauté emplis de jeunisme et de montrer que les cheveux peu denses comme les cheveux gris ont eux aussi leur place sur nos têtes.

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