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La Chine et les limites de la croissance

Après des années de croissance à un rythme effréné, Shanghaï et Pékin tentent d’endiguer leur propre expansion

Construction d'immeubles à Shangaï, le 25 juillet 2018. | Johannes Eisele / AFP
Construction d'immeubles à Shangaï, le 25 juillet 2018. | Johannes Eisele / AFP

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À en croire les statistiques officielles du gouvernement chinois, les deux mégapoles ont déjà cessé de croître. L’année dernière, pour la première fois de mémoire d’homme, les deux plus grandes villes du pays, Pékin et Shanghaï, ont même officiellement rapetissé. Elles n’ont pas cessé d’être attirantes: les prix y sont plus élevés que jamais et la croissance économique y est supérieure à 6%. Plutôt, elles sont poussées par des directives gouvernementales à contenir «les maux des grandes villes»: la pollution, le surpeuplement, et la compétition pour les ressources (les appartements, écoles, soins médicaux, et même, dans le cas de Pékin, l’eau) qui minent les agglomérations au développement rapide. Les deux villes ont donc mis en place une limite à la croissance de leur population.

Avec leurs rues peuplées de voitures de sport et leurs centres commerciaux pleins des enseignes de mode internationales, ces villes mettent en évidence l’importance des inégalités économiques en Chine. En incluant également Shenzhen et Guangzhou dans la mégalopole du delta du fleuve de la Perle, les quatre plus grandes villes du pays représentent à peine 5% de la population mais 12% de son poids économique. Le PIB per capita y est deux fois supérieur à la moyenne nationale. Y laisser l’expansion se poursuivre semble promettre d’exacerber les différences entre les régions très prospères du pays et celles où le développement y est moindre.La Chine tente actuellement une expérience: restreindre l’expansion des grandes villes peut-elle aider à mieux répartir les richesses?

Juguler l'expansion pour réduire les inégalités

Cette division entre les quelques villes les plus prospères et les autres peut paraître familière. Les États-Unis connaissent une situation similaire, avec leurs quelques régions au développement économique très important qui se distinguent du reste du pays. Par le niveau des salaires, de l’éducation, du coût du logement et de l’espérance de vie, les régions les plus pauvres du pays ressemblent bien plus à d’autres pays qu’aux centres productifs très riches du couloir du nord-est et de la Silicon Valley. Mais les Américains ont relativement peu émigré vers ces régions plus riches, dont l’expansion reste limitée malgré la présence d’excellentes opportunités économiques. La plupart des économistes américains se posent donc la question: comment peut-on pousser les gens à se déplacer vers ces régions?

En Chine, le gouvernement tente au contraire de restreindre les migrations internes. Un des moyens dont il dispose est de freiner la construction de logements à la périphérie des mégapoles, de façon à arrêter l’étalement périurbain. Une autre solution est de déplacer les emplois eux-mêmes. En 2015, alors que la crise de la pollution s’aggravait à Pékin, les autorités chinoises avaient annoncé un projet de délocalisation des locaux de la municipalité depuis les alentours de la cité interdite jusqu’à la ville périphérique de Tongzhou, en dehors du centre. En février 2017, le maire de Pékin a annoncé que les activités non indispensables seraient peu à peu éloignées de la capitale «comme on pèle les feuilles d’un chou». Il s’agit de transformer la région de Pékin dans son ensemble en l’un des 19 conglomérats du pays, des petits groupes de villes connectées entre elles et aux autres conglomérats par des lignes ferroviaires à grande vitesse.  Lorsque j’ai interrogé un responsable gouvernemental de Pékin sur le transfert à Tongzhou, il a avancé le fait que la décentralisation est attractive –qui ne voudrait pas garder son emploi tout en quittant la mégapole? En théorie, au moins, le nouveau réseau ferroviaire du pays réduit les distances entre les villes.

À Hong Kong, les autorités poussent les résidents à s’installer ailleurs dans la région malgré les inquiétudes de ces derniers. «La distance ne sera plus un problème lorsqu’ils connaîtront les dernières avancées du développement de nos infrastructures de transport permettant de rejoindre la région de la Baie» écrivait le secrétaire général de Hong Kong sur son blog en mai. «Ces projets, associés au développement actuel du réseau de transport interne à l’agglomération, transformera la région de la baie dans son ensemble en un "espace de vie où tout se fait en une heure".»

Chasser les migrants d'abord

Pourtant, le développement urbain sera surtout dirigé grâce au moyen du système chinois de permis de résidence qui est connu sous le nom de hukou. Beaucoup de ruraux immigrant dans les plus grandes villes de Chine restent enregistrés dans leurs provinces d’origine, qui restent les seuls endroits où ils ont accès au système de santé et à la scolarisation. Ils mènent donc dans les villes comme Pékin une existence précaire. En novembre, le gouvernement chinois a débuté une campagne destinée à chasser des dizaines de milliers de migrants ne disposant pas de permis de résidence à Pékin et dans d’autres villes. La plupart de ces migrants sont des ouvriers, mais près de 30% sont de jeunes diplômés attirés par les opportunités s’offrant à eux dans les grandes villes. Ils partagent des lits superposés dans des «colonies de fourmis», des appartements bondés à la périphérie des villes. Fermer ces dortoirs est également devenue une priorité des municipalités.  

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Certains signes culturels également montrent que l’ère de la croissance urbaine débridée touche à sa fin. Zhang Xin, la PDG de la compagnie immobilière SOHO China a attiré les regards internationaux sur la conception urbaine chinoise en collaborant avec l’architecte lauréate du prix Pritzker Zaha Hadid. Sa collaboration avec Zaha Hadid Archictects, un gratte-ciel tout en courbes au sud-ouest de Pékin qui contiendra le plus grand atrium au monde lorsqu’il sera prochainement dévoilé, a dû voir ses audaces modérées après un décret du président Xi Jinping exigeant la fin de la construction d’immeubles «bizarres». La préservation architecturale est une nouvelle valeur en hausse, notamment la restauration des shikumen historiques de Shanghai. À Pékin, un hutong reluisant en plein centre-ville se révèle en fait être une annexe de l’hôtel Waldorf Astoria. En d’autres termes, on constate qu’est à l’œuvre ici un processus bien connu dans les pays occidentaux: lorsque l’on n’en développe pas assez rapidement le parc immobilier, les centres urbains se gentrifient.

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