Société / Économie

Imaginer la ville de demain, sous 50°C et sans climatisation

Si vous trouvez qu'il fait chaud, vous n'avez encore rien vu. Dans les prochaines années, les thermomètres afficheront des températures de plus en plus importantes. Comment ferons-nous alors pour vivre en ville?

Sur le pont de Brooklyn, à New York, le 29 juin 2018. | Drew Angerer / Getty images North America / AFP
Sur le pont de Brooklyn, à New York, le 29 juin 2018. | Drew Angerer / Getty images North America / AFP

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En 2014, les scientifiques du Giec (groupement intergouvernemental sur l'évolution du climat) avaient annoncé unanimement, à l'occasion de la publication de leur cinquième rapport, que les effets du réchauffement climatique n'allaient pas tarder à se faire sentir, avec des conséquences graves. Au programme, inondations, sécheresses et... canicules à répétition. Et une augmentation importante des températures moyennes partout dans le monde, agrémentée de pics de chaleur pendant l'été.

En 2018, le climatologue Jean Jouzel, directeur de recherches au CEA, médaille d'or du CNRS et rédacteur du rapport sur le Climat de la France au XXIe siècle, avançait qu'en 2050 les températures pourraient atteindre 50°C sur une large partie de l'Hexagone. Une situation intenable. Et inquiétante quand on sait que les populations fragiles –personnes âgées, malades, handicapés, enfants en bas âge, femmes enceintes– ont beaucoup de mal à supporter les fortes chaleurs. La canicule de 2003, qui avait touché toute l'Europe et occasionné plus de 15.000 décès rien qu'en France, est encore dans tous les esprits.

À cela vient s'ajouter un second phénomène tout aussi inquiétant. Toujours en 2050, la population mondiale atteindra, selon les projections des Nations unies, 9,8 milliards d'habitants et habitantes, dont une très grande majorité vivra dans les mégapoles. Une situation qui risque d'engendrer encore plus de pollution qu'il n'y en a déjà. Pour encaisser ces températures extrêmes, sans aggraver encore la situation climatique et donc sans recourir massivement à l'usage de la climatisation, la ville est confrontée à la nécessité de s'adapter à un phénomène qui est aujourd'hui inéluctable. Et c'est précisément ce qu'elle est en train de faire.

Architectures végétalisées et bio-climatisations

Certains architectes ont déjà anticipé le problème depuis plusieurs années. Comme Vincent Caillebaut, chantre de l'architecture bionique, qui végétalise ses bâtiments pour les rendre à la fois éco-responsables et capables d'absorber efficacement la chaleur, tout en aspirant le CO2 dans l'atmosphère. Vincent Caillebaut, qui avait été choisi en 2015 par la Mairie de Paris pour imaginer à quoi pourrait ressembler la capitale en 2050, explique ainsi que «faute de place, les jardins parisiens ne seront plus construits au pied des bâtiments mais les bâtiments se transformeront eux-mêmes en jardins suspendus. Cette végétalisation par des balcons potagers et des vergers communautaires sera de plus très efficace pour lutter contre l’effet d’îlot de chaleur urbain et donc pour bio-climatiser notre ville aujourd’hui trop minérale et imperméable et dont le climat va augmenter de deux degrés d’ici les trente-cinq prochaines années».

L'arborisation des villes –aussi bien des immeubles que des rues– présente l'avantage d'isoler le bâti de la chaleur en créant des zones de fraîcheur dans l'espace public tout en réoxygénant l'air. La ville reste ainsi vivable et respirable même quand il fait extrêmement chaud. La multiplication des bâtiments à énergie positive permet en outre de ne pas renforcer l'effet de serre. D'un autre côté, la Mairie de Paris prévoit également de multiplier brumisateurs et points d'eau à mesure que les températures augmenteront, et de mettre en place de nouvelles fontaines publiques, afin que tout le monde puisse se rafraîchir facilement quand il fait très chaud.

Des enfants dans le parc Andre Citroen à Paris, le 26 juillet 2018. | Alain Jocard / AFP

Par ailleurs, les nouveaux bâtiments en construction pourraient bénéficier d'une utilisation intelligente et innovante des vents, avec à la clef des résultats très intéressants pour la régulation thermique. Ainsi, Meteodyn, une entreprise spécialisée en climatologie, a mis au point le logiciel Urbawind qui modélise la circulation du vent en milieu urbain. Il est possible alors d'orienter un bâtiment et de calibrer les dimensions et l’implantation des fenêtres pour tirer un profit maximal des vents dominants et garantir une circulation efficace de l'air dans une habitation, en la rafraîchissant de plusieurs degrés.

Autre solution intéressante, déjà mise en œuvre outre-Atlantique dans plusieurs villes américaines, jouer sur le pouvoir réfléchissant du revêtement des sols, également appelé albédo. À Los Angeles par exemple, la municipalité a opté pour un revêtement blanc sur certains axes au lieu du traditionnel asphalte noir, faisant ainsi baisser de 10°C la température au sol à certains endroits, ce qui a, par répercussion, également un effet sur les bâtiments. Comme l'explique Erwan Cordeau, chargé d’études sur le climat, l’air et l’énergie à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France: «Grâce à un albédo fort, l’énergie générée par le rayonnement solaire est directement renvoyée vers le ciel, c’est donc autant d’énergie qui ne va pas s’emmagasiner dans le matériau».

Cette technique astucieuse fonctionne également pour les toits. En peignant les toits des maisons ou des immeubles en blanc, il est possible de faire chuter de plusieurs degrés la température dans les habitations. Une régulation thermique simple, éco-responsable, et à la portée de tout le monde.

La smart city, ville de demain

La ville intelligente (smart city), qui promet une mue vertueuse des mégapoles vers un modèle urbain respectueux de l'environnement et connecté, semble pleine de promesses pour contrer les effets de l'augmentation des températures. Toutes les grandes villes du monde sont concernées par ce phénomène qui pousse municipalités et citoyens à développer à tour de bras des solutions éco-responsables. Les projets de mobilité décarbonnée, de fermes urbaines et d'éco-quartiers fleurissent à Paris comme à New-York, et à Shangaï comme à Berlin. Grâce à son hyper digitalisation, la smart city sera en mesure d'établir au quotidien un bilan de sa consommation énergétique. Grâce aux capteurs qui collectent en permanence des données, l'optimisation de l'éclairage public comme celui de la consommation d'eau ou de la collecte des déchets, lui permettent déjà de progresser vers une plus grande sobriété énergétique.

Inauguration de l'éco-quartier Les Bords de Seine à Issy-les-Moulineaux.

Surtout, l'intégration des énergies renouvelables à grande échelle et une meilleure utilisation de ses ressources naturelles ouvrent la porte à des solutions de bio-climatisation non polluantes applicables sur l'ensemble de son territoire. À Marseille, l'éco-quartier Smartseille, qui a vu le jour l'année dernière, utilise les ressources de la Méditerranée afin de pourvoir aux besoins énergétiques de ses habitants. Grâce à un échangeur thermique, les calories et les frigories présentes dans l'eau de mer sont extraites, stockées puis redistribuées pour rafraîchir maisons, immeubles et bureaux. Cette technologie entièrement non polluante assure déjà 70% des besoins en climatisation des habitants et permet également de chauffer les bâtiments en hiver.

Même son de cloche à Issy Les Moulineaux où l'éco-quartier des Bords de Seine a été pensé autour des principes cardinaux de conception bioclimatique et de rationalisation des ressources. Si les énergies renouvelables y occupent une place privilégiée, les architectes ont opté pour une utilisation intelligente des ressources de la nature, ensoleillement en hiver et vents en été. Pour lutter contre les grandes chaleurs, tous les appartements sont traversants afin que l'air puisse circuler efficacement, ce qui permet d'éviter de recourir à la climatisation classique.

Le réchauffement climatique est par son ampleur un défi colossal que nous devons toutes et tous collectivement relever. Les villes de demain ne ressembleront pas à celles d'aujourd'hui. Elles sont actuellement en train de changer sous la contrainte environnementale. Elles seront verdoyantes, hérissées de bâtiments blancs pour réfléchir la chaleur, pensées pour une utilisation optimale de leurs ressources naturelles, sobres en énergies et non polluantes. Gageons qu'avec tous les efforts déployés actuellement, elles resteront agréables à vivre. Même quand le thermomètre frisera les cinquante degrés.

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