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L'inventrice de l'expression «fragilité blanche» détaille son concept

La sociologue Robin DiAngelo sort un livre, «White Fragility: Why It's So Hard for White People to Talk About Racism» (Pourquoi c'est si dur pour les personnes blanches de parler de racisme).

Extrait de Dear White People | Capture d'écran via Youtube CC <a href="https://www.youtube.com/watch?v=oYKgHvPVACE">License by</a>
Extrait de Dear White People | Capture d'écran via Youtube CC License by

Temps de lecture: 3 minutes - Repéré sur The New Yorker

Premiers jours aux États-Unis. Je suis blanche, vis dans un quartier noir. Mon colocataire tente alors de m'expliquer que je dois diminuer mes comportements racistes et prendre conscience de mes privilèges de blanche. Je me vexe, «je n'ai pas été élevée comme ça, promis». Sans m'en rendre compte, je suis en pleine démonstration de «fragilité blanche».

C'est Robin DiAngelo, sociologue et autrice, qui a conceptualisé cette expression en 2011. Elle explique que les personnes blanches des sociétés occidentales ont grandi et vivent dans un environnement qui les protège de tout stress lié à leur couleur de peau. Leur «fragilité blanche» en résulte, c'est-à-dire qu'un minimum de stress racial devient intolérable, déclenchant des «mouvements de défense»: colère, peur, culpabilité, silence, opposition.

Cela fait vingt ans que la sociologue anime des conférences et ateliers sur la diversité dans différentes entreprises et elle note que les personnes blanches ne savent pas discuter de racisme. Leurs réactions sont souvent les mêmes: elles ont appris «à traiter tout le monde de la même façon», elles «ne voient pas les couleurs», elles se moquent «si vous êtes rose, violet, ou vert». Et forcément, elles tomberont dans l'inévitable «j'ai un ami noir», ou bien feront une comparaison hasardeuse sur la lutte des classes ou le sexisme.

Une fragilité constitutive de la société raciste

Dans son nouveau livre White Fragility: Why It's So Hard for White People to Talk About Racism (Pourquoi c'est si dur pour les personnes blanches de parler de racisme), DiAngelo explique que la société isole les Blancs et Blanches de tout inconfort lié à leur couleur de peau, ce qui provoque de vives réactions, même sur des non-événements comme le fait d'expliquer que la couleur dite chair ne l'est pas forcément pour toutes et tous –voir en France la polémique sur la couleur des pansements. Les personnes blanches ne sont pas habituées à remettre leur couleur de peau en question, la société leur indiquant même qu'elle est synonyme de paix et retenue, elles manquent «d'endurance» pour affronter une conversation sur le racisme, commente la sociologue.

Elle évoque aussi largement le coût social pour une personne noire d'évoquer la «fragilité blanche», expliquant pourquoi certains et certaines ne se risquent plus à pointer les discriminations qu'ils et elles observent. Elles s'attendent la plupart du temps à voir s'exprimer une «solidarité blanche»: les personnes blanches ne se corrigent pas entre elles pour maintenir la paix. Cette fragilité serait constitutive de la société raciste.

DiAngelo, femme blanche, adresse majoritairement son livre aux personnes blanches, en réservant les plus dures critiques aux Blanches et Blancs libéraux –comme elle: «Je pense que les progressistes blancs sont ceux qui causent le plus de dégâts au quotidien aux gens de couleurs.» Car ils refusent d'avouer leur participation au système raciste et «mettent trop d'énergie à prouver à tout le monde qu'ils ont atteint un certain niveau [de non-racisme]», niveau qu'ils pensent que la société a elle-aussi atteint.

Les Blancs et Blanches ont des privilèges, ils profitent d'un système politique et économique construit par et pour eux. Pour l'autrice, tout cela se couple avec la notion «d'innocence de leur race». Les Blancs et Blanches voient les personnes noires comme celles qui en «ont» une, là où la blanchité est l'absence de race. «Je ne vois pas les couleurs» devenant un argument pour dire que la race n'a pas d'importance, s'empêchant à comprendre qu'elle en a. 

Le racisme se transforme pour résister

Pour Robin DiAngelo, à mesure que la société évolue, le racisme se transforme pour résister. «La plus grande adaptation du racisme dans le temps est l'idée que le racisme est un biais conscient des personnes méchantes.» Cette opposition binaire entre le bien et le mal, portraitisant le racisme comme le diable contrairement aux non-racistes compatissants, est elle-aussi une construction raciste. En fait, les personnes blanches progressistes développent un sentiment très négatif envers le racisme pour éviter d'aider à l'abattre.

Elle s'adresse directement à ses lecteurs et lectrices: «Si votre définition du racisme est celle de quelqu'un qui éprouve consciemment une haine envers des personnes à cause de leur race, je comprends que vous trouviez cela offensant que je suggère que vous soyez raciste sans vous connaitre». Elle leur conseille ensuite de respirer et de lire avec attention sa définition du racisme –bien différente. Le livre tente d'expliquer aux personnes blanches qui se considèrent toutes comme des exceptions qu'elles ne peuvent avoir été exemptées de toute éducation raciste et d'un système construit sur cela.

L'ouvrage appelle à l'humilité, l'éducation, la vigilance et la patience pour combattre un à un ses préjugés intériorisés, que l'on se pense raciste ou non. 

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