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La France championne du monde s’appelle aussi Kanté et Umtiti, faites avec

Quoi qu’en disent Matteo Salvini, Nicolas Maduro ou Trevor Noah.

Arrivée de l'équipe de France à l'aéroport de Roissy, le 16 juillet 2018. | Thomas Samson / AFP
Arrivée de l'équipe de France à l'aéroport de Roissy, le 16 juillet 2018. | Thomas Samson / AFP

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Des fascistes, nous ne dirons rien, qui n’encaissent pas que la France championne du monde s’appelle aussi Kanté ou Umtiti, et vaff’anculo signore Salvini [allez vous faire foutre monsieur Salvini] et vos comparses. Nous savons que nous n’échapperons pas à cette guerre –de quelle nature sera-t-elle?– qui séparera les racistes des gens de bien. Raison de plus pour mettre les choses au clair dans notre monde, celui de la simple décence où l’on ne pense pas que la couleur de peau caractérise le champion.

Il est ce mois de juillet quelque chose de malsain sous des apparences statistiques, qui ferait de la victoire française en Coupe du monde un triomphe africain, et cette ritournelle est aussi entonnée à gauche, si l’on ose dire, dans quelques gauches imbues de leurs visions du monde, persuadées de faire pièce aux tenants d’une France seulement blanche et chrétienne, à qui l’on tendrait grâce au football un miroir d’ébène. Ce qui exaspère le fascisme ravit ce progressisme?

De part et d’autre de la frontière, on assigne à pigmentation les surhommes au ballon. Ils ne sont pas footballeurs, mais d’Afrique, terre de leurs ancêtres –et parfois de leur foi– et c’est à ces identités qu’il faudrait rendre hommage, la France ne méritant pas ses enfants pigmentés. Ce discours se répand. Il vient de France, il vient d’Afrique, il vient du Venezuela et d’Amérique. C’est un animateur de télévision helvético-sud africain officiant aux États-Unis dénommé Noah, comme un héros français, Trevor de son prénom.

C’est un universitaire qui en Amérique combat l’islamophobie et proclame ceci sur Twitter: «Chère France, Africains et Musulmans t’ont donné une deuxième Coupe du monde, maintenant, rends-leur justice». Sur le réseau social, un demi millions de personnes applaudissent la proclamation du professeur Khaled Beydoun, qui tweete par ailleurs, pour que l’on comprenne bien, une photo de Pogba et Sidibé prosternés sur la pelouse, avec cette légende: «Noirs et et musulmans, sans s’excuser».

Sans s’excuser, dame! Sans s’excuser, évidemment! Mais alors, que prêche-t-il, le professeur, puisque déjà Pogba prie en public et tenue d’apparat et sans s’excuser, heureusement, et n’en est pas moins (pas plus, pas moins) le héros de nos fêtes et le leader du vestiaire?

Offrir la Coupe à l’Afrique n’est pas un hommage

Malédiction des bonnes intentions; absurdités des idéologues; étrangeté des cuistres, qui pensent nous éclairer. Le professeur Beydoun, dans ses intentions, m’est a priori sympathique. Il écrit contre l’islamophobie chez lui. J’ai osé en France, sur mon pays, un livre de même intention. Mais un abîme nous sépare: on ne marchande pas les principes et on n’ethnicise pas la justice. Ce n’est pas parce que des musulmans m’auraient donné une Coupe du monde que je combats l’islamophobie; ce n’est pas parce que des enfants d’Afrique marquent des buts en bleu que je m’emploie à chasser le racisme.

Quand bien même l’équipe de France serait blanche comme neige et catholique comme tout le monde (ainsi parlait le grand Pivert-De Funès dans Rabbi Jacob), le racisme, l’islamophobie, la xénophobie seraient des maux à combattre; les enfants d’immigrés resteraient des Français, quand bien même auraient-ils les pieds carrés! Et il est regrettable que le distingué progressiste de Yale ait oublié de fustiger le racisme anti-Asiatiques, que pourrait conjurer alors le gardien d’origine philippine Aréola. Et, matter of fact, l’antisémitisme est-il acceptable puisque Deschamps n’a pas trouvé d’enfant d’Abraham pour succéder à Mickael Madar?

Absurdité des slogans.

Bêtise du progressisme, quand il s’ethnicise et ressemble à ce qu’il combat. Prétention des identitaristes, qui volent la vérité de ceux qu’ils défendent, et s’obsèdent des origines au mépris des individus. Offrir la Coupe du monde à l’Afrique et à l’immigration n’est pas un hommage; c’est un mépris de ce que vivent et construisent les immigrés.

Si des familles prennent le risque du grand voyage, ce n’est pas pour qu’on leur nie, le jour du triomphe, le but de leur périple: être français. Si des parents affrontent l’exil et la pauvreté, le choc de l’acculturation et celui du racisme, si des familles désormais risquent la noyade et la torture pour venir ici, ce n’est pas pour être renvoyées à la case départ, fut-ce verbalement, quand leurs enfants campent, pour le nouveau pays, au sommet du monde.

Cela ne fait pas de la France le paradis des migrants

Ce n’est pas tant la France que l’on blesse si l’on dénie à Kanté le beau nom de français, mais son papa mort quand N’Golo avait 11 ans, qui avait fait le parcours pour ses enfants, et parmi eux N’Golo qui petit voulait devenir explorateur comme tout le monde mais qui défricherait les terrains de football comme personne. Ce n’est pas la République que l’on punit en expliquant que l’Afrique a gagné, mais les familles des Bleus, qui leur ont offert la France, et au-delà les familles de tous les immigrés, passés, présents, à venir, qui sillonnent et irriguent notre planète par force et par devoir, par la plus simple des ambitions: ce que l’on doit aux siens.

J’aime les histoires d’immigrés, pour me souvenir que mon arrière-grand-père Adolphe était surnommé en yiddish «le Turc fou», puisqu’il était passé par l’Empire ottoman depuis son Odessa natal, avant de faire souche en France pour faire de mes enfants, l’aurait-il deviné, des métis sans le savoir qui portent les maillots bleus des supporters, ce bon été. Ce que nous fûmes et restons, métissés, dilués, mais le nom en témoigne, des juifs de l’Est, ne change rien au but: des Français. Ma grand-mère Sarah, dite Suzanne, aurait détesté qu’un Trevor Noah quelconque, si d’aventure mon papa était devenu champion du monde de football (je ne l’en aime pas moins de n’avoir été qu’écrivain), avait fait de lui autre chose qu’un Français.

Un pays n’est pas aimable autant qu’on l’aime.

Cela ne fait pas de la France le paradis des migrants ni l’incarnation de la bienveillance. Si je m’offusque de Noah (Trevor), je n’en suis pas naïf. Je ne rejoins pas l’autre mensonge, symétrique, de ces illusionnistes de la République, qui font mine de croire que Matuidi ou M’Bappe prouverait notre excellence et notre intégration! Si nos héros sont français, ils ne disent rien d’une innocence française.

Un pays n’est pas aimable autant qu’on l’aime. Je ne ferai pas ici la litanie de l’antisémitisme, du Vél' d’Hiv', des gendarmes de Drancy, je ne réciterai pas les mantras de la chair à canon noire de Mangin et des tirailleurs massacrés à Thiaroye à la fin 1944, ni les morts de Sétif, ni ceux du 17 octobre 1961, ni les ratonnés, ni les méprisés des foyers, ni les Dupont-Lajoie, ni les chasses au faciès, ni les discriminations, ni les discours si laids sur nos identités, les vaticinations sur l’islam, la laïcité identitaire, la France calfeutrée de quelques politiciens imbéciles perclus du sacre de Clovis…

La France se métisse et eux sont métissés avec elle

Tout ceci existe. Il n’empêche. Nos footballeurs sont français, par la force de leurs pères et mères et par leur volonté même. Et pourtant, français. Français par eux-mêmes et par leur choix, par leur choix surtout, puisque ces footballeurs, champions du monde, ont décidé qu’ils joueraient en bleu et non pas pour les pays de leurs ancêtres. Ils auraient pu pourtant: se souvient-on, il y a peu, des angoisses qu’inspiraient les binationaux, suspects de déloyauté, à quelques pontes du football français? Nos Bleus balaient tout cela, de leur charmante évidence. Que veut-on d’autre? Il n’est pas si facile, savez-vous, d’être français de nos jours, que cette évidence soit mise en doute par quelques sophistes éclairés. Les Africains sont noirs. Les footballeurs sont noirs. Donc les footballeurs…

Mais non. Nous sommes dans des cavernes de Platon idéologiques, et nous philosophons mal sur l’apparence des choses. La vérité de nos surhommes est celle du pays. La France se métisse, ce n’est pas d’aujourd’hui, et eux sont métissés avec elle. Ils sont d’absolus Français, sans abdiquer, chacun à sa mesure, ce qui les rend chacun unique et tous différents. Ils sont absolument français, et comme aujourd’hui des Français absolus, ambiancent sur la playlist du Parisien Kimpembe, successeur de Candela à l’animation musicale, vingt ans après, cette fois-ci non pas d’inspiration soul ou disco mais éclectique, disent les Inrocks: «Partagés entre les hits viraux de Naza et Ohmondieusalva qui occupent une grande partie de la playlist, “We Are The Champions”, l’hymne de Queen, du Booba ou encore le chanteur congolais Koffi Olomidé»

Car la France aujourd’hui balance sur l’icône gay Freddy Mercury et coupe et décale autant qu’elle crie «Vive la République», et cette banalité pour quiconque vit dans ce pays échappe aux fascistes comme aux cuistres du progressisme identitaire. Kimpembe donc. Ce n’est pas parce qu’un jeune homme à la peau noire, né à Beaumont-sur-Oise d’un papa congolais et d’une maman haïtienne, jouant au football pour un club qatari de Paris, fait chanter ses potos en bleu sur des rythmes du Congo, qu’il est autre chose qu’un Français. Non pas une victime, non pas un supplétif, non pas une aberration, même pas un exemple, mais simplement un Français, qui vaut tous les autres, si les autres, sur un terrain, ne le valent pas. Rien d’autre. Nos joueurs, noirs ou blancs de peau, Nougaro, sont d’ici. Ils sont français et donc plein de choses ensemble.

Français, et en même temps tout le reste

Matuidi est français et originaire de l’Angola déchiré et du Congo qui fut le refuge des siens avant l’Europe et sa naissance, il est français et aussi chrétien, profondément, re-born, et en fait des signes de croix qui agacent telle inquisitrice de la laïcité dont on dit souvent du bien dans les anciennes gauches, et qui doit s’y faire, tant ces Français parfois aiment Dieu et le disent tels des footballeurs brésiliens.

Kanté est français et modeste et un gars sûr, et bien que noir, n’est pas un de ces «grands blacks» qui, disait-on, risquaient d’uniformiser notre football. Giroud est français et il est chrétien, un psaume en latin tatoué sur un avant-bras: «Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien». Pogba est musulman et français et flamboyant de mots. Griezmann est français et allume des cierges et boit son maté comme un Uruguayen. N’Golo est français et d’une modestie de vieux sage.

On est tant de choses, voyez-vous. On est français, et en même temps, il reste, ceci posé, tout ce que l’on est, ce que nos ancêtres furent, ce que serons nos enfants, ce que nous goûtons. les Américains, qui ne sont pas ballots comme un Trevor Noah quand ils parlent d’eux-mêmes, le savent suffisamment. Ils ne croient pas, les États-Uniens, que Rocky Marciano punchait ou que Joe Di Maggio pitchait pour l’Italie, et ne renvoient ni à l’Afrique ni à la longue histoires des enfants d’esclaves les triomphes de telle dream team du basket. Ils savent, les Américains, que l’on est des États-Unis d’abord et tout le reste avec. Il sait, Obama, en véritablement américain, que nous sommes à cette image baroque et que la France n’est plus les Gaulois.

Français, et en même temps tout le reste. Le mieux-aimé de l’équipe de France, Adil Rami, l’a dit bonnement. «Je suis français d’origine marocaine, et aujourd’hui on est champions du monde, mais je suis aussi marocain et je suis fier de ce que le Maroc a pu montrer pendant cette Coupe du monde. Aujourd’hui c’est la France, la diversité, il y a eu des Algériens, il y a eu des Africains, des Congolais, il y a eu de tout, on est beaucoup, et c’est ça le charme de la France.» 

Nous serons métissés et heureux depuis belle lurette que la monarchie sera encore à abolir

Il a dit «le charme», Adil Rami, et cet homme sait les mots, tant le charme est notre plus vieille vertu. Il a dit «le charme», Adil Rami, et a parlé des origines, et ce rappel, qui agaçait tant son coéquipier Mendy avait, chez lui, un goût de liberté; non pas l’assignation mais la vérité de chacun. Est-on plus français qu’Adil Rami, french lover aux moustaches belle époque, est-on plus français qu’Adil Rami qui est aussi marocain? Ainsi est le pays. Français, et en même temps, comme chacun peut.

Les joueurs de l'équipe de France descendent les Champs-Élysées où les accueillent leurs supporters, le 16 juillet 2018. | Geoffroy Van Der Hasselt / AFP

«En même temps», comme disait cet homme qui voulait marier les contraires quand il n’était pas encore président. Cet homme qui entre autres qualités n’a pas de préjugés de race ni d’origine et aime tant la jeunesse qui triomphe qu’il en fait son miroir. Cet homme qui a gardé en sa fête et son palais nos héros jusqu’à plus d’heures, et ce furent belles agapes et belles chansons entre un roi qui ne fait pas de différence entre les meilleurs et les plus méritants de ses sujets, ces footballeurs et des gamins d’avenir venus de leurs clubs d’enfance qui égayèrent l’Élysée du prince-supporter Macron. Pendant ce temps, une plèbe moins symbolique communiait avec les héros sur quelques écrans, ou saluait, agglutinée sur les Champs-Élysées, un bus rempli de Bleus qu’une fête attendait.

Ces choses-là, le bon plaisir des cours, sont plus durables que nos fonds de teints. Nous serons métissés et heureux depuis belle lurette que la monarchie sera encore à abolir. De vrai, dans nos préjugés, dans nos têtes. Ça ira, ça ira, depuis le temps. Français.

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