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Du Japon au Royaume Uni, les pays développés font face à un problème à deux faces: d’un côté, des populations qui vieillissent, de l’autre, une hostilité croissante envers les immigrés qui pourraient aider leurs économies vieillissantes à maintenir leur croissance. Mais un de ces pays pourrait avoir trouvé la solution aux deux problèmes. En Corée du Sud, une campagne menée par les autorités depuis 2005 pour modifier la vision ethnique que la nation avait d’elle-même a remarquablement bien porté ses fruits. En moins d’une génération, la plupart des Sud-Coréennes et Sud-Coréens sont passés d’une conception étroite et raciale de la nationalité à l’acceptation de l’idée selon laquelle les immigrées et immigrés d’origine chinoise, nigériane, vietnamienne, ou nord-américaine pouvaient être tout aussi coréens qu’eux-mêmes.
L'obsession du «sang coréen» après 1945
Cette évolution sud-coréenne est remarquable par la rapidité avec laquelle ces changements sont intervenus. Jusqu’au début des années 2000, les manuels scolaires, les politiques d’immigration et l’imagerie politique du pays mettaient l’accent sur la pureté et l’unité de ce qui était connu designé comme le «sang coréen». Cette fixette sur la singularité nationale venait en partie du traumatisme des trente-cinq ans d’occupation japonaise durant lesquels les Coréennes et Coréens étaient représentés comme la partie subalterne d’un vaste Empire asiatique. Quand l’occupation japonaise cessa en 1945, les éducateurs qui rédigèrent les manuels scolaires de la Corée du Sud nouvellement souveraine s'inspirèrent des travaux d’activisites ayant milité pour l’indépendance tels que Shin Chae-ho, qui soutenait que la race-nation coréenne (minjok) existait depuis des millénaires. La rhétorique ethnonationaliste devint monnaie courante chez les enseignants et enseignantes comme chez le personnel politique.
Mais en 2005, la tonalité nationale commença à s’infléchir. La société coréenne était vieillissante, le taux de fertilité chutant jusqu’à 1,08 naissance par femme, un minimum historique. Les hommes sud-coréens répondaient à ce déclin démographique en se mariant de plus en plus régulièrement avec des femmes issues de pays voisins plus pauvres, la Chine dans un premier temps puis, à mesure que la Chine devenait plus riche, le Vietnam et le Cambodge. Cette année-là, le taux de mariage mixtes était déjà de 13,6%.
Kim Kyeong-Bok est sud-coréen, Huynh Thi Thai Muoi vietnamienne. Ils se sont mariés en 2017 | Jung Yeon-Je / AFP
Dans certaines zones, comme le Jeolla du Nord, près de 50% des hommes coréens épousaient des femmes chinoises. Dans le même temps, les préjugés restaient forts: les enfants insultaient régulièrement leurs camarades métis, parfois même avec l’approbation de leurs enseignants et enseignantes. Un blogueur coréen-américain déclarait alors sur son site populaire en langue anglaise Ask a Korean!, marqué plutôt à gauche, qu’il craignait l’irruption d’émeute raciales si les mentalités ne changeaient pas.
De telles craintes ont précipité la formation du comité présidentiel sur la société vieillissante et la politique démographique, qui défendait une politique nataliste, notamment le développement la garde d’enfants et des exemptions fiscales pour les parents. Mais les médias sud-coréens ont également commencé à diffuser des débats fervents sur le multiculturalisme. En 2005-2006, le nombre d’articles sur le sujet a triplé par rapport aux années précédentes. À l’attention des médias a fait écho un changement de cap de la part des autorités, initialement sous la direction du président Roh Moo-hyun. La campagne s’est ensuite étendue à tous les ministères et à tous les partis, survivant même au passage du gouvernement libéral de Roh entre 2003 et 2008 au gouvernement conservateur du président Lee Myung-bak.
Le gouvernement de Lee s’appuya sur eux pour persuader la population d’accueillir les migrants et migrantes et promouvoir l’intégration en éduquant les épouses d’origine étrangère aux subtilités de la culture coréenne. Le ministère de l’Égalité des sexes et de la famille s’engagea simultanément dans une campagne pour persuader la population d’accepter le multiculturalisme. Les commissaires à l’immigration et le comité présidentiel sur le vieillissement firent du multiculturalisme une priorité nationale pour combattre une société à l’âge moyen de plus en plus élevé. La Corée du Sud devait devenir «une nation de premier plan, avec des étrangers», une expression à laquelle faisaient écho de nombreux documents et discours gouvernementaux.
Promotion du métissage
La campagne gagna rapidement en dynamique, en particulier suite au vote de la loi de 2008 sur le soutien aux familles multiculturelles. Cette loi fit passer le budget national pour les programmes multiculturels de 96,9 millions de dollars par an en 2009 à 197,5 millions de dollars en 2012. C’est également en 1998 que la Corée du Sud organisa son premier jour de la cohésion, un festival se tenant à travers tout le pays destiné à ce que les familles multiculturelles se sentent mieux acceptées et mélangeant des vidéos de promotion montrant des enfants et parents heureux, des concours de talents et des événements culturels. Tout ne fonctionna pas: des projets de loi contre les discriminations furent même bloqués de façon répétée à l’Assemblée nationale.
En 2020, on estime qu’un tiers des enfants qui naîtront en Corée du Sud auront un parent d’origine étrangère.
Puis, en 2009, le ministère de la Justice mit en place le programme d’immigration et d’intégration pour la Corée de façon à faciliter l’accès des résidents étrangers à la citoyenneté (un droit auparavant accessible uniquement aux élites de certaines professions), et lança un système de critères clair. Les documents officiels commencèrent à promouvoir le terme damunhwa (multiculturel) pour décrire les familles mixtes, alors que le terme honhyol (sang mêlé) avait pris des connotations négatives. Les politiciens parlaient de multiculturalisme avec emphase, et dans un discours de 2010 à la nation, le président Lee désigna même toutes les épouses étrangères de citoyens coréens comme ses belles-filles. Les enseignants du système public furent formés pour faire face aux intimidations subies par les enfants issus de couples mixtes, et des images de familles multiculturelles commencèrent à apparaître sous forme de posters accrochés aux murs des bâtiments gouvernementaux.
Le discours développé à partir de 2005-2006 et soutenu ensuite par la production de lois a suscité un profond changement des attitudes. En 2010, le recensement coréen des identités, un sondage national mené par deux instituts de recherche et un journal sud-coréen montrait déjà que 60% des Coréens et Coréennes soutenaient l’idée d’une société multiculturelle. En juillet 2016, plus de deux millions d’étrangers et étrangères vivaient en Corée du Sud, alors qu’ils n’étaient que 536.627 en 2006. Le pays a élu son premier parlementaire d’origine étrangère, la native des Philippines Jasmine Lee, en 2012. En 2020, on estime qu’un tiers des enfants qui naîtront en Corée du Sud auront un parent d’origine étrangère.
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Stars inspirantes
À travers le pays, des tentatives locales ont poussé dans le même sens que les campagnes des autorités. Selon Shin Suk-ja, le responsable du groupe des centres de soutien aux familles multiculturelles, un réseau de 218 bureaux répartis partout dans le pays qui aide les familles immigrées, «le système sud-coréen consistant à envoyer des conseillers pour épauler les familles multiculturelles a aidé beaucoup de gens». Certaines des stars les plus populaires dans le pays sont des Coréens ou Coréennes ayant des origines africaines, à l’image d’Han Hyun-min, un jeune mannequin nigérian-coréen qui a raconté dans le programme télévisé «Ma Puberté Anglaise» avoir un jour échoué à obtenir un contrat de mannequinat parce qu’il ne parlait que le coréen et pas l’anglais que son apparence suggérait.
En 2016, Jean So-mi, une Canadienne-Coréenne de 15 ans, a gagné le concours de talents Produit 101 en partie parce que les spectateurs qui votaient ont trouvé que son côté étranger la rendaient cool.
En dépit du succès de la campagne de promotion du multiculturalisme mise en œuvre par le gouvernement, un retour de bâton s’est fait sentir récemment. Entre 2011 et 2015, les données du recensement coréen des identités a révélé l’inquiétude de la population face au multiculturalisme, le soutien à celui-ci descendant jusqu’à 49,7% des personnes sondées. Ces données ont également montré que de nombreux Coréens et Coréennes associaient les étrangers et étrangères à la délinquance, au chômage et à hausse des impôts. Les universitaires comme les associatifs ont critiqué le gouvernement qui a renforcé le stéréotype sexiste selon lequel la famille multiculturelle signifiait un homme coréen et une femme étrangère. Lee, la première parlementaire du pays à être née à l’étrangère, déclare soutenir l’approche générale du gouvernement mais assure que c’est la présence des Coréens et Coréennes métis qui va à terme transformer la société. Elle évoque la star du football Hines Ward, d’origine coréenne et afro-américaine, qui joue un rôle important dans l’amélioration de la perception du métissage par le grand-public, et ajoute que s’il y avait plus d’athlètes coréens de stature internationale issus de milieux multiculturels, ils amélioreraient l’image du multiculturalisme auprès des gens ordinaires.
My wife and I had the honor to pass out scholarships at the Positive Athlete Award Ceremony. We are blown away by the accomplishments of the recipients. pic.twitter.com/zyvLnAEPvm
— Hines Ward (@mvp86hinesward) 13 juin 2018
La majorité de la population sud-coréenne voit aujourd’hui l’immigration comme essentielle au futur du pays en tant qu’économie florissante et nation développée moderne. D’autres nations à la population vieillissante cherchant à assurer le futur de leur santé économique feraient bien de penser à mettre en place de telles politiques pour convaincre leurs citoyens et citoyennes que le plus sûr chemin vers la prospérité passe par la diversité.