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Coupe du monde: la performance de l’équipe de France expliquée par les sciences sociales

«La force collective est plus importante que la somme des forces de chaque participant.»

L'équipe de France célèbre un but durant le match contre l'Australie à Kazan, le 16 juin 2018. | Franck Fife / AFP
L'équipe de France célèbre un but durant le match contre l'Australie à Kazan, le 16 juin 2018. | Franck Fife / AFP

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La France est en finale de Coupe du monde. Pour la troisième fois de son histoire, après 1998 et 2006, le pays retrouve le toit du monde et affrontera la dangereuse et athlétique équipe croate, menée par l’expérimenté Luka Modrić. Les hommes de Didier Deschamps ont réussi malgré toutes les critiques à déjouer les pronostics, à battre des sélections historiques comme l’Argentine et l’Uruguay, à venir à bout de la spectaculaire sélection belge.

Dimanche, ils peuvent prétendre afficher une deuxième étoile sur leur maillot et marquer à jamais l’histoire du football français. Mais comment expliquer ce tour de force? Comment une équipe, qui a été incapable de battre le Danemark en phase de poules, qui a présenté un jeu poussif et peu entraînant durant une grande partie de la compétition, qui a difficilement battu l’Australie et le Pérou, respectivement classés 48e et 53e au classement moyen Fifa, a-t-elle réussi à monter en gamme et à s’approcher du graal footballistique?

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Les sciences sociales ont la réponse

Un détour par les sciences sociales peut en partie expliquer ce phénomène. La première évidence vient du groupe de l’équipe de France. Le sélectionneur Didier Deschamps a subi de nombreuses attaques de la part de certains observateurs du football pour n’avoir pas sélectionné Karim Benzema, considéré comme le meilleur buteur du pays, et avoir fait l’impasse sur Adrien Rabiot, milieu espoir de l’équipe de France et titulaire indiscutable au Paris Saint-Germain.

Mais c’est peut-être là son talent. L’ancien capitaine des Bleus en 1998 a privilégié la force du groupe avant la somme des individualités. Il a préféré construire un solide collectif avant de réunir les soi-disant meilleurs éléments individuels, il a préféré non pas prendre les joueurs français les plus compétents et performants, mais les joueurs qui pourraient constituer le meilleur groupe.

Dans les années 1980, feu l’ancien entraîneur de l’Ajax d’Amsterdam et du FC Barcelone, Johan Cruyff, avait déjà appliqué la même philosophie: «Si vous choisissez le meilleur à chaque poste, vous n'aurez pas une bonne équipe mais onze numéros uns». Concernant Deschamps, c’est pareil: le groupe prime sur les individus.

L'holisme sportif

C’est l’application de la théorie holiste, en sociologie. Fondée par le sociologue Emile Durkheim, à la fin du XIXe siècle, cette philosophie stipule qu’un ensemble est indivisible, supérieur à la somme des parties qui le constituent. «Le tout n’est pas réductible au jeu des parties», répètent inlassablement les tenants d’une telle doctrine.

Dans ce cadre, une équipe de foot sera d’abord définie pour et par elle-même, elle n’est pas la résultante d’un assemblement artificiel de ses membres. Le manager holiste sera chargé de définir la vision d’une équipe, quels que soient les joueurs qui la constituent, sans que cela n’ait d'incidence sur le jeu et l’état d’esprit.

Dans l’histoire récente, on retrouve les exemples connus de Leicester, en Angleterre, et Montpellier, en France, champions en 2016 et 2011, malgré un effectif plus que sommaire par rapport à la concurrence et sans aucune force individuelle. Ces clubs, coachés par l’Italien Claudio Ranieri et le Français René Girard, sont parvenus à remporter le titre national en privilégiant un jeu collectif avant de miser sur des performances individuels.

Dans l’équipe de France d’aujourd’hui, on retrouve ce phénomène. Aucun joueur ne se démarque, la sélection n’est pas menée par une seule star, comme Cristiano Ronaldo au Portugal, Messi en Argentine ou Neymar au Brésil, mais par le groupe en tant qu’entité à part entière. Quand bien même Antoine Griezmann passe à côté de son mondial, ses coéquipiers sont là pour le soutenir et rattraper son déficit. Quand bien même Mbappé n’arrive pas à enchaîner des matchs sensationnels, ses collègues seront toujours là pour marquer à sa place. Quand bien même le fantasque Pogba n’est pas indiscutable au milieu de terrain, il peut toujours se protéger derrière la défense en bloc de l’équipe et sa solidarité à toute épreuve.

Le phénomène gestaltiste

La deuxième théorie qui peut expliquer la force des Bleus est la théorie gestaltiste forgée par le psychologue allemand Wolfgang Köhler. Ce dernier la résume ainsi: «La force collective est plus importante que la somme des forces de chaque participant». Le chercheur a étudié les performances de rameurs lors de compétitions d’aviron. Son constat: les résultats lors des épreuves collectives sont supérieurs à ceux des épreuves individuelles. C’est l’une des clefs de la théorie gestaltiste: l’enthousiasme, l’effort et la persévérance sont décuplés par le collectif.

Un cas célèbre illustre ce phénomène. Lors des Jeux olympiques de Pékin, en 2008, l’américain Jason Lezak a surpris tous les spécialistes en réalisant une performance exceptionnelle lors du relai 4x100 mètres nage libre. Face à l’équipe de France favorite, les Américains ont remporté la médaille d’or sur une formidable remontée de Lezak, lors du dernier relai.

Le Californien a réalisé un temps canon, plus rapide que sur la distance en individuelle, avec 46,06 secondes, meilleure performance de l’histoire. Lors de la finale individuelle, il n’avait fait que 47,67 secondes et Alain Bernard, vainqueur, 47,21 secondes. «Je suis un membre de l’équipe, aujourd’hui comme hier. Mon exploit est celui du groupe, je n’ai rien fait de plus. Nous ne sommes pas quatre nageurs participant à une course mais nous ne formons qu’un» avait-il affirmé à la presse.

C’est peut-être cela la force des Bleus: un collectif, un groupe, une équipe avant une somme d’individualités. Ensemble, ils déjouent les pronostics, ils retournent les critiques et s’affichent meilleurs que ce qu’ils devraient légitimement et normalement faire. Comme en 1998 où personne ne les attendait en finale, comme en 2006, où après une phase de qualifications poussive et des matchs de poules catastrophiques, l’équipe de France se hisse sur l’avant-dernière marche et apparaît unie.

Une équipe holiste et gestaltiste, en somme. Espérons que cela lui permette de remporter le titre suprême dimanche.

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