Boire & manger

Joyaux de la côte amalfitaine

Trois Relais & Châteaux à proximité de Naples démontrent l'excellence hôtelière et culinaire italienne.

Le San Pietro, à Positano
Le San Pietro, à Positano

Temps de lecture: 8 minutes

Don Alfonso 1890, une table historique

Comme souvent en Italie, une famille unie est à l’origine de ce restaurant étoilé de renommée internationale.

Famille Iaccarino au Don Alfonso 1890 | Mario Iaccarino

Alfonso Costanzo Iaccarino, l’ancêtre né en 1869 et exilé chez son oncle aux États-Unis, où il fait tous les métiers, éprouve à 21 ans le désir de revenir à Sant’Agata, son village de Campanie. Il y ouvre un modeste hôtel-restaurant dans la rue principale. De là est née la dynastie des Iaccarino, des cuisiniers napolitains de talent et de mémoire.

Le petit-fils d'Alfonso, qui partage son prénom, revend l’hôtel et édifie sur les lieux une trattoria de spécialités locales: la pasta maison reine, les spaghetti pomodoro, les poissons de la baie, les fruits (citrons divins). Pour ce cuisinier au palais éduqué et à la main habile, la bonne cuisine commence dans les prés, les champs et en Méditerranée.

Avec le temps, l’expérience quotidienne et la clientèle huppée de la côte amalfitaine (Positano, Sorrento, Amalfi), également visitée par des Américaines et Américains ayant des racines italiennes, Alfonso Iaccarino, secondé en salle à manger par son épouse Livia, fait progresser sa manière et son style culinaire, où voisinent la tradition familiale des pâtes et la modernité nécessaire.

Il retravaille par exemple les cannelloni du grand-père et les farcit de tomates exquises, de ragoût, de basilic et de mozzarella (34 euros) et pour corser l’agneau local aux herbes, il concocte un puissant aïoli (36 euros). De même pour le thon cuit à basse température, délicieux, qu'il l’emballe dans une croûte de pistaches enrichie d’une émulsion au citron (45 euros).

Chapeaux de pâte, cochon noir, fondue de parmesan, truffe noire d'Irpinia

Pour le Michelin, c’est de la grande cuisine italienne, à mille lieues de la trattoria basique. Alfonso obtient la deuxième étoile en 1990, un événement historique pour Naples.

En Italie, la cucina des vingt-et-une régions est ancrée dans les mœurs. La restauration étoilée va faire naître des maîtres à cuire, à assaisonner et à penser. L’Académie italienne de cuisine a dynamisé l’élite des chefs –à Milan, le premier triple étoilé Gualtiero Marchesi (le risotto à l’or et au safran, les pâtes froides au caviar) et au sud, Alfonso Iaccarino, son rival amical.

Légumes bio de la ferme, crème glacée au raifort, vinaigrette de betterave

La terre entière des fins becs a défilé à Sant’Agata (3.000 habitants), où les coqs chantent et les cloches sonnent: c’est l’Italie populaire et gaie, le linge aux fenêtres, des films de Vittorio De Sica.

Le succès est tel –les dîners de cinquante couverts, pas plus, sont toujours complets– qu’Alfonso Iaccarino engage ses deux fils, Mario et Ernesto, pour le seconder aux fourneaux et gérer les huit chambres agréables du Relais campagnard, afin de loger les travaillés du palais fous de la cucina italiana renouvelée et créative.

Deux plats admirables sont à noter: la glace à l’anguille au caviar et pâtes à la rose (36 euros) et les œufs au plat de la ferme à la buratta et truffe noire (36 euros).

Salle du restaurant Don Alfonso 1890 | Philippe Schaff

Le trio des Iaccarino fait du sur-mesure et réussit des créations époustouflantes, sans nier l’apport historique de Pellegrino Artusi, l’Escoffier italien, et les matières premières inégalables –toujours l’obsession de l’origine des produits.

En 1999, le père acquiert une ferme biologique, le Peracciole, sur la côte: neuf hectares de plantations de fruits et légumes qui livrent des poivrons et des tomates d’anthologie, des citrons, pêches, abricots, figues et cerises à tomber. La sauce tomate maison est vendue à la boutique du Relais & Châteaux.

Le succès historique du Don Alfonso 1890 tient au fait d’avoir su évoluer avec le temps, à leur maîtrise du savoir-faire associé au faire-savoir. Désormais, Sant’Agata va rayonner sur la planète –la preuve: le père et ses fils ouvrent une succursale à Macao, à la Mamounia de Marrakech et en juin 2018 à Toronto, peut-être le meilleur et le plus beau restaurant italien d’Amérique du Nord.

Le Don Alfonso 1890

La cuisine de Don Alfonso 1890 est familiale et rigoureuse, millimétrée: spaghetti au maquereau et oignons, sauce aux navets et thon, une symphonie risquée mais parfaitement exécutée (34 euros), et quenelles de ricotta dans un consommé à la verveine et au citron (34 euros), tout implique un renouvellement de la gestuelle ancienne et la quête des goûts vrais d’aujourd’hui. Le restaurant de campagne, une maison d’amis, recèle une noblesse et une inventivité sidérantes; le Michelin devrait redonner la troisième étoile aux Iaccarino.

  • Corso SantAgata, 11/13, 80061 Sant’Agata Sui Due Golfi, Italie. Tél.: +39 081 878 00 26. À 56 kilomètres de Naples. Menus à 150 et 180 euros, carte de 90 à 130 euros. Fermé le lundi et le mardi. Chambres à partir de 300 euros, piscine chauffée dans le jardin, déjeuner sous le ciel amalfitain. Limousine à l’aéroport ou taxi.

Le San Pietro à Positano, un paradis sur mer

Qui aurait pu imaginer un superbe hôtel-restaurant niché entre la montagne et les falaises abruptes descendant sur la mer d’huile, à l’entrée de ce village de pêcheurs de la côte amalfitaine? Un défi et un rêve d’Italien du Sud.

Carlo Cinque, un enfant de Positano, grand voyageur et homme de culture, était profondément attaché à ce site marin, sa terre natale, qu’il a voulu faire connaître à ses proches. Ainsi est né le Miramar, au cœur du village, une sorte de pension de famille pour les Napolitaines et Napolitains épris de la mer.

À l’époque, il n’y a aucun touriste sur cette falaise abrupte traversée par une route dangereuse en lacets, au bord des précipices. Les bains de mer, le farniente, la douceur de vivre sous le soleil de la côte, tout cela Carlo Cinque le vit au quotidien.

Le promontoire est d’une beauté à couper le souffle, et l’horizon liquide finit par attirer toute une population de vacancières et vacanciers aisés, pour beaucoup venus de l'étranger: c’est l’Italie figurée par la mer apaisante et la sérénité des jours et des nuits.

Carlo Cinque va révéler sa nature de bâtisseur iconoclaste. Il acquiert dès la fin des années 1960 des terrains escarpés au bord de l’eau, entre les rochers et les pics de pierres grises et noires. Le cirque escarpé est truffé d’espaces à civiliser, de pinèdes à vivre.

Ainsi va s’élever en juin 1970 le San Pietro di Positano, trente-trois chambres au début occupées par les voyageurs et voyageuses anglaises attirées par un formidable article du Sunday Times. Les Américaines et Américains ne tardent pas à suivre.

Les stars d’Hollywood, dont Gregory Peck ou Barbara Streisand, les rois et les reines, et des yachtmen aventureux vont façonner la notoriété du San Pietro et du village authentique de Positano, perle de la côte amalfitaine.

Grâce aux conseils de la tante Virginia, la madone des lieux, puis à la collaboration de ses deux fils, Carlo et Vito, ce joyau très italien de l’hôtellerie de plaisir chic et cher –aux côtés du réputé Sirenuse, situé non loin– devient un must des belles destinations italiennes, à l'instar du Cipriani à Venise, du Splendido à Portofino et du Pellicano à Porto Ercole, à une heure de Rome.

La famille Cinque réussit à étendre les lieux de vie au cœur de ce cirque de pierres éternelles, où l’espace mesuré est occupé par des jardins potagers, des serres de fleurs, une plage privée et même un court de tennis.

Il y a là une sorte d’humanisation du site et des parcelles paradisiaques conquises sur les éléments –jusqu’à l’ascenseur (quatre étages), qui vous pose sur la terrasse marine d’où l’on plonge dans la mer. On reste sidéré par la beauté impressionnante du Relais bleu, blanc et ocre.

Le San Pietro est un modèle de destination vacancière. Les cinquante-six chambres et suites sont toutes ouvertes sur la mer –ah, ces terrasses romantiques! Le bel hôtel des Cinque emploie 140 personnes en saison, et les fidèles réservent d’année en année: c’est une enclave de bonheur dans un périple sur la côte amalfitaine.

En 1996, le San Pietro a été élu Best Small Hotel in the World. Il reste très peu de chambres à louer pour l'été 2018, rien lors des week-ends.

Les restaurants du San Pietro

Le Zass, «tsar» en napolitain, est la table étoilée de l’hôtel, lovée autour de la façade, avec terrasse à pic et vue panoramique sur la mer.

Restaurant Zass au San Pietro

Le dîner est élégant, une véritable fête pour les yeux et le palais. La carte est l’œuvre du grand cuisiner belge Alois Vanlangenaeker, 52 ans, ancien chef de la Pinède à Saint-Tropez et du Don Alfonso 1890, où il s’est frotté aux trésors de la Méditerranée aux côtés du maestro Alfonso Iaccarino.

Devenu italien du Sud en quatorze ans de fidélité au San Pietro, Vanlangenaeker déroule les spécialités locales napolitaines: la pasta maison en tête, avec les linguine alla carbonara au poulpe (22 euros), les tagliatelles au citron, langouste et pistache (39 euros), les divins spaghetti Positano à la tomate (24 euros), les ravioli à l’oignon, amandes et ricotta (26 euros) et les paccheri aux crevettes et clams (36 euros). De la cuisine tenue et enrichie de garnitures choisies.

Côté poissons, Alois, levé aux aurores, se rend presque chaque matin au marché de Naples. C’est là qu’il se fournit en saint-pierre, en loups de mer et en rougets, qu'il parfume au citron, calamars et olives (39 euros).

Parmi les vingt plats de cette carte salivante (pas moins de trente-cinq cuisiniers pour 160 couverts par jour), les viandes d’agneau de lait (72 euros pour deux), de poulet fermier (31 euros), de veau lombard aux truffes (35 euros) et de porc aux haricots et pistaches (32 euros), en plus du steak maturé (35 euros), sont des exceptions notables sur la côte amalfitaine, où l'habitude est plutôt au poisson.

Au dessert, la tarte au chocolat et café (18 euros), la pêche Melba revisitée (18 euros) et le millefeuille à la vanille et mascarpone (18 euros) concluent un dîner raffiné à l’italienne, embelli par le panorama et le service attentif. Apéritif au champagne ou au Bellini au jus de pêche frais, un petit chef-d’œuvre (20 euros).

Pour le déjeuner, direction le Carlino, sur la plage. Au menu, des salades composées et des pâtes d’une réelle simplicité.

Au Carlino du San Pietro

Les rosés fruités se dégustent le long des transats orange et blancs. Les maillots de bains sont tolérés.

  • Via Laurito, 2, 84017, Positano, Italie. Tél.: +39 089 87 54 55. À 60 kilomètres de Naples. Au Zass, menu dégustation à 130 euros pour 5 plats, vins à 65 euros. Carte de 70 à 130 euros. Au restaurant, déjeuner et dîner habillé. Au Carlino, sur la mer, après les baignades, carte de 40 à 60 euros. Chambres à partir de 370 euros. Piscine chauffée, spa, sorties en mer. Plage privée. Taxi de Naples à 100 euros.

Le Bellevue Syrene 1820, un enchantement antique

L'hôtel Bellevue Syrene 1820

Cette imposante bâtisse rose pâle à Sorrento, magnifique balcon sur la mer, recèle une histoire bien particulière. C’est en fait une villa romaine occupée dans l’Antiquité par des empereurs de Rome qui venaient prendre les eaux. La mer, face au Vésuve, y est en effet d’une limpidité parfaite.

Le Bellevue, devenu grand hôtel en 1820, a obtenu au printemps dernier la Bannière d’Or, un prix remis à l’établissement pour sa propreté, sa transparence et sa pureté dans le golfe de Sorrento.

Voilà une récompense méritée pour les propriétaires, Giovanni Russo et sa fille Elsa, qui ont tant fait pour la restauration et la protection du site historique ô combien évocateur. Aucun Relais & Châteaux du sud de l’Italie n’offre autant de vestiges visibles d'un passé millénaire.

Salon du Bellevue Syrene 1820

Depuis 1995, les Russo ont entretenu les terrasses panoramiques et les tunnels creusés dans la montagne à pic, d’où l’on parvient à la mer truffée de bassins et de plages privées.

L’histoire de la villa est bien présente à travers les grottes, les œuvres d’art du jardin d’hiver et la sublime Villa Pompeiana aux colonnes élancées, où l’on prend le petit déjeuner tout près des caves de l’ère romaine. Le dîner sur la terrasse, au moment où le soleil s’enfonce dans la mer, est un pur enchantement.

Terrase de la Villa Pompeiana au Bellevue Syrene 1820

Le legs de l’Antiquité, restitué avec doigté, n’a pas empêché le Relais & Châteaux d’obtenir la cinquième étoile en 2008, pour l’élégance du lieu, la vue panoramique dans les cinquante chambres et suites et le confort high class des intérieurs et des terrasses. Il existe dans cet espace protégé un supplément d’âme et de beauté: la civilisation à l’italienne à son meilleur.

Bizarrement, il n’y a que 8% de Français et Françaises parmi la clientèle du lieu, dont la moitié provient d'Amérique du Nord.

Pâtes creuses à la tomate cerise, aux crevettes et à la lotte au restaurant du Bellevue Syrene 1820

  • Piazza della Vittoria, 5, Sorrento, 80067, Italie. Tél.: +39 081 878 1024. Deux restaurants de cuisine napolitaine signée du chef Ivan Ruocco. Remarquables poissons: loups, thons, rougets agrémentés de garnitures variées, spaghetti de cecco au caviar (24 euros), risotto aquarello aux scampis (26 euros), tiramisu façon capuccino (10 euros). Menus à 65 et 100 euros. Bellini et vins rosés locaux à 13 euros le verre. Buffet permanent gratuit. Spa, piscine chauffée. Chambres à partir de 380 euros.
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