Politique / Monde

Les migrants mineurs sont-il mieux traités en France qu'aux États-Unis?

Sans aller jusqu’à séparer les familles, la France place toujours plus d’enfants en rétention, y compris des mineurs isolés étrangers, normalement protégés.

Des enfants mexicains lors d’une manifestation contre la politique de l’administration Trump en matière d’immigration à Mexico, le 21 juin 2018. | Pedro Pardo / AFP
Des enfants mexicains lors d’une manifestation contre la politique de l’administration Trump en matière d’immigration à Mexico, le 21 juin 2018. | Pedro Pardo / AFP

Temps de lecture: 5 minutes

Les images d’enfants en pleurs, séparés de leurs parents à la frontière américano-mexicaine et enfermés dans des cages, ont suscité une indignation internationale et obligé Donald Trump à reculer sur ces mesures qui se voulaient «dissuasives» vis-à-vis de l’immigration clandestine.

Lors du débat qui a suivi, France-Soir a rappelé que «comme les États-Unis, la France enferme les enfants migrants». Les deux situations sont-elles comparables?

En France, l’enfermement d’étrangers visés par une décision d’éloignement du territoire dans un CRA (centre de rétention administrative), en vue de leur expulsion, est décidée par le préfet pour les premières 48 heures. Elle peut être prolongée par un juge des libertés et de la détention, jusqu’à 45 jours. Le projet de loi asile et immigration prévoit de passer ce plafond à 90 jours. Lorsqu’une famille entière est visée par une décision d’éloignement, elle peut être placée dans un centre de rétention administrative, enfants compris.

En revanche, un mineur étranger isolé (qui a émigré sans ses parents et n’a pas de famille en France) ne peut normalement être enfermé seul en CRA, ni expulsé. Toutefois, si sa minorité n’est pas reconnue par l’administration française, il peut être considéré comme un adulte, susceptible d'être enfermé en rétention et expulsé. Or, les procédures qui permettent de vérifier l’âge des mineurs isolés étrangers sont critiquées par plusieurs associations. «L’évaluation de la minorité doit être revue», selon Corrine Torre, cheffe de mission France pour Médecins sans frontières.

Toujours plus d’enfants en rétention mais pas de séparation des familles (sauf en zone d’attente)

Jusqu’en 2016, l’enfermement des enfants en CRA n’avait pas de base légale. Elle en a désormais une, depuis la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016. Elle mentionne notamment qu’un adulte en situation irrégulière peut être placé en rétention avec un mineur «si, en considération de l'intérêt du mineur, le placement en rétention de l'étranger dans les quarante-huit heures précédant le départ programmé préserve l'intéressé et le mineur qui l'accompagne des contraintes liées aux nécessités de transfert».

Le texte précise que «la durée du placement en rétention est la plus brève possible, eu égard au temps strictement nécessaire à l'organisation du départ», que «le placement en rétention d'un étranger accompagné d'un mineur n'est possible que dans un lieu de rétention administrative bénéficiant de chambres isolées et adaptées, spécifiquement destinées à l'accueil des familles» et que «l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale».

Plusieurs associations et personnalités ont réclamé, lors des débats parlementaires sur la loi asile et immigration, l’interdiction de l’enfermement des mineurs en rétention. Mais ils n’ont pas été entendus. Les députés ont rejeté cette interdiction au mois d’avril. En revanche, le Sénat souhaite limiter à cinq jours la durée de rétention des mineurs accompagnés et inscrire dans la loi l'interdiction de la rétention des mineurs isolés étrangers.

Si la France ne sépare pas les familles,  elle enferme de plus en plus d’enfants en rétention. Selon une circulaire du 6 juillet 2012, le placement en rétention, surtout des mineurs, ne doit être effectué que s’il est nécessaire. Autrement, l’assignation à résidence qui doit être privilégiée. Mais dans la pratique, ces recommandations ne sont pas toujours respectées. Selon le rapport annuel de la Cimade, le nombre d’enfants placés en CRA a augmenté de 70% en 2017. L’année dernière en France métropolitaine, 304 mineurs ont été enfermés en centre de rétention avec leurs familles. La moitié d’entre eux avaient moins de six ans. Ce chiffre est en hausse depuis 2013.

Une exception au principe de non-séparation des familles existe toutefois: ce sont les zones d’attente, où peuvent être enfermés des étrangers qui viennent d’arriver sur le territoire français et à qui l’entrée à été refusée, ou qui viennent de déposer une demande d’asile. À l’inverse des CRA, l’enfermement d’un ou d'une mineure seule en zone d’attente est autorisé par la loi. En 2015, deux fillettes de trois et six ans ont été détenues seules en zone d’attente et séparées de leur famille pendant plusieurs jours. L’Anafé (Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers) dit être intervenue dans dix cas de séparation de familles en 2009.

Non reconnus comme tels, des mineurs isolés étrangers sans protection

En principe, «l’administration française doit protéger toute personne se présentant comme mineure» en attendant que sa minorité soit confirmée, rappelle Corinne Torre, de Médecins sans frontières. Mais selon plusieurs associations et un rapport récent de Human Rights Watch, cette protection est loin d'être garantie. Selon HRW, à Paris, le Dispositif d'Évaluation des Mineurs Isolés Etrangers (DEMIE), chargé d’établir leur âge, refuse de recevoir certains mineurs étrangers et mène souvent des entretiens «flash» d’une dizaine de minutes, alors que la loi prévoit des entretiens longs. Quand ces entretiens longs sont effectués, certains enfants voient leur minorité contestée sur des motifs arbitraires. Par ailleurs, en cas de réévaluation devant les tribunaux, certains juges exigent des tests osseux, alors que cette technique n’est pas fiable pour évaluer l’âge entre 16 et 18 ans. Et même quand la minorité est reconnue, elle peut être remise en question. «Le département des Yvelines conteste systématiquement la minorité des enfants étrangers», déplore Maître Catherine Delanoë-Daoud, avocate au Barreau de Paris et co-responsable du Pôle mineurs isolés étrangers de l'Antenne des mineurs.

Par conséquent, certains jeunes se retrouvent dans la situation kafkaïenne de ne pouvoir initier aucune démarche (accès aux soins, scolarisation...) car l’administration ne les reconnaît ni comme majeurs, ni comme mineurs. Dans d’autres cas, considérés comme majeurs à l’issue de l’entretien ou d’un test osseux, ils ne bénéficient plus de la protection dûe aux mineurs isolés étrangers, qui empêche l’enfermement en CRA et l’expulsion. Adultes aux yeux de l’administration, ils peuvent donc être placés en rétention et expulsés, ainsi que le raconte le site Rebellyon. Par ailleurs, selon un rapport de l’ONG Oxfam, des mineurs isolés étrangers sont «maltraités, détenus et renvoyés illégalement en Italie par la police des frontières française» à la frontière franco-italienne.

À Mayotte, l’administration place en rétention et expulse de façon systématique les migrants arrivés en «kwassa-kwassa» (pirogue) depuis les Comores. D'après le Bondy Blog, «lorsque des mineurs se trouvent sur un canot avec un majeur, on les rattache à ce dernier même sans avoir la preuve d’un lien de parenté entre eux. Ainsi, les mesures prises à l’encontre du majeur se répercutent directement sur les mineurs qui lui sont rattachés». Cette situation «particulièrement alarmante» est confirmée et dénoncée par le Défenseur des droits: «les enfants concernés sont fréquemment rattachés à des personnes majeures qui n’exercent aucune autorité parentale sur eux, pour les seul besoins des mesures de placement en rétention». Ce tour de passe-passe permet d’enfermer des mineurs isolés théoriquement protégés en compagnie du majeur avec qui ils sont arrivés à Mayotte. Considérant qu’ils appartiennent à la même famille, l’administration peut placer en rétention, puis expulser tous les membres de cette «famille». En 2017, 2.493 mineurs ont été placés en rétention à Mayotte.

La France critiquée et condamnée par la justice européenne

Selon le comité des droits de l’enfant des Nations Unies, «détenir un enfant du fait de son statut migratoire ou de celui de ses parents représente une violation des droits de l’enfant et va toujours à l’encontre du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant». En octobre 2014, la résolution 2020 de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe affirme que «les enfants migrants placés en rétention sont particulièrement exposés aux effets négatifs du placement en rétention et peuvent être gravement traumatisés. Il existe également un risque élevé que les enfants placés en rétention fassent l’objet de différentes formes de violence» Pour le commissaire aux droits de l’homme du conseil de l’Europe, «la suppression totale de la détention des migrants mineurs devrait être une priorité pour tous les États».

S’appuyant notamment sur ces avis, le Défenseur des Droits affirme que «le placement en rétention, fût-il de courte durée, a des conséquences concrètes sur la santé et le développement des enfants». Se disant «très préoccupé par les atteintes aux droits fondamentaux des enfants causées par leur enfermement», il s’oppose à l’enfermement de familles en CRA «même pour une courte durée», et recommande au gouvernement de «proscrire, dans toutes circonstances, le placement de familles avec enfants en centres de rétention administrative».

Par ailleurs, depuis 2012, la France a été condamnée à six reprises par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour avoir détenu des enfants en centre de rétention administrative.

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