Égalités / Société

Ces clichés qui empêchent les hommes de porter des bermudas en été

Récemment autorisé aux chauffeurs de bus parisiens en cas de canicule, le bermuda révèle bien plus que les mollets des hommes.

<a href="https://pixabay.com/en/person-male-shooting-photography-601564/">Tous les bermudas ne se valent pas sur l’échelle de la fashion.</a> | stokpic via Pixabay <a href="https://creativecommons.org/publicdomain/zero/1.0/deed.en">License by</a>
Tous les bermudas ne se valent pas sur l’échelle de la fashion. | stokpic via Pixabay License by

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Ça n’a l’air de rien mais c’est une petite révolution stylistique: depuis le 3 juillet dernier, les conducteurs de bus parisiens sont autorisés à porter le bermuda sur leur lieu de travail. Une victoire conquise de haute lutte par des machinistes qui en avaient assez de suer dans leurs pantalons pendant les épisodes caniculaires. Issu de la collection été 2018 RATP et disponible depuis le 15 juin, le seyant bermuda en polyester coton/Lycra couleur vert jade (en fait un pantalon que l’on peut raccourcir grâce à un zip) est un vrai succès: déjà 500 commandes.

Attention toutefois, comme celui du burkini ou du nœud papillon sur les marches du Palais des festivals, le port du bermuda RATP est sévèrement encadré. Autorisé uniquement entre le 1er juin et le 30 septembre et par une note préalable de la direction «lorsque les températures annoncées dépassent les 28°», le fameux vêtement doit être accompagné de la chemisette blanche ou du polo gris de rigueur. Et gare aux originaux: les chaussettes sont interdites: socquettes uniquement.

Jean-Luc, 46 ans, chauffeur depuis quinze mois est enthousiaste: «Je vais en commander un, évidemment, mais le mettre, je ne sais pas, ça va dépendre du confort. Je trouve que c’est une bonne chose, mais je préférerais largement avoir la clim dans le bus». Louis est un chauffeur à l’ancienne, quarante ans de boîte. Il est à trois mois de la retraite. Pour lui c’est niet: «C’est bien pour les jeunes, mais ça fait relâché, pas correct. Déjà que les gens ont trop de mépris pour nous, je ne vois pas comment on va se faire respecter en bermuda!».

Violence des échanges en milieu non climatisé

Le port du bermuda sur le lieu de travail, une affaire sérieuse. L’été dernier, les chauffeurs de bus nantais avaient fait le buzz en venant travailler en jupe (empruntée à leurs collègues femmes) pour protester contre l’interdiction qui leur était faite de porter le bermuda au volant. Ils avaient eu gain de cause. Mais en 2001, la fameuse «affaire du bermuda» avait mal tourné pour Cédric Monribot.

Pour éviter le coup de chaud en pleine canicule, cet agent technique à la Sagem de Saint-Étienne-du-Rouvray (Seine-Maritime) est venu travailler à l’usine du groupe électronique en bermuda beige (simple, basique). Sommé à plusieurs reprises d’enfiler un pantalon, il refuse. Et finit par recevoir sa lettre de licenciement. Motif? Non-respect du code vestimentaire de l’entreprise. Débouté par les prud’hommes, le «bermudiste» forcené se pourvoira en cassation, mais sera débouté deux ans plus tard, la cour estimant que «la liberté de se vêtir à sa guise au temps et au lieu du travail n'entre pas dans la catégorie des libertés fondamentales». Avait-il de jolies jambes? L’histoire ne le dit pas.

Mathieu, 26 ans, travaille dans le luxe. Ces derniers jours, il a pensé fort au bermuda. Pourtant, il ne peut en porter au bureau: «Si je travaillais dans une start-up par exemple, je pourrais me le permettre, mais là, ça ne colle pas avec le contexte professionnel, ça ne fait pas sérieux! Est-ce que je confierais mon argent à mon banquier s’il me recevait en bermuda? Je trouve aussi qu’il y a une inégalité hommes-femmes assez inédite. Quand il fait hyper chaud, les femmes peuvent porter des jupes légères ou des débardeurs, alors que nous les mecs on transpire en pantalon de costume et chemise à manches longues». Benoît, 44 ans, travaille dans le tertiaire. Lui aussi est interdit de bermuda: «Le vrai problème à mon sens est que pour l’employeur, le bermuda signifie relâchement vestimentaire. Et qui dit relâchement vestimentaire dit relâchement de la productivité. Bref, t’es pas au boulot pour faire touriste!».

Cinquante nuances de bermuda

Trop casual, trop informe, trop beauf: le bermuda est un mal-aimé du vestiaire masculin. Et pourtant, chaque été, il refait son apparition sur les trottoirs des mégapoles, et ce même à plus 300 kilomètres de toute plage. «Inventé» au début du XIXe siècle par les militaires de Sa Majesté stationnés dans l’archipel caribéen des Bermudes, ce vêtement est à l’origine un uniforme raccourci au-dessus du genou. À l’époque, les militaires de la Royal Navy le portaient avec des chaussettes montantes, une cravate et un blazer, pour conserver le caractère formel.

D’abord cantonné aux militaires sous les tropiques, le port du bermuda contamine bientôt le reste de la société avec l’essor du sportswear dans la deuxième moitié du XXe siècle. Il quitte alors gymnases et plages pour envahir les villes. Multi-poches, à palmiers, kaki, bleu Oxford… Tous les bermudas ne se valent pas sur l’échelle de la fashion. D’ailleurs, quelle est la différence entre un bermuda et un short? Quelques centimètres de tissu: au-dessus ou en-dessous du genou c’est un bermuda, à mi-cuisse c’est un short. Nombre de créateurs se sont depuis longtemps emparé du problématique vêtement, tentant des propositions mode plus ou moins convaincantes. Le styliste new-yorkais Thom Browne, qui s’est fait une spécialité du bermuda, imagine carrément un total look veste de costume + bermuda. Difficile à porter à la réu benchmark du lundi.

 

... off to school ... #thombrowne

Une publication partagée par Thom Browne (@thombrowneny) le

Jacquemus, jeune créateur français, a présenté fin juin dans les calanques marseillaises son premier défilé homme. Sorte d’ode à l’homme du Sud, sa collection baptisée «Gadjo» (en référence à la culture gitane) plaçait le curseur à mi-chemin entre «caillera cagole» et «beauf solaire». Et forcément, on y retrouvait des bermudas.

Et même des pantacourts, le symbole ultime du mauvais goût estival, du non-style et de la «décathlonisation du monde» (en référence à l’enseigne de matériel sportif numéro un en France). Évidemment, les hipsters et autres influenceurs à barbe de trois jours ont depuis longtemps conquis le terrain miné du bermuda. Ces «bermudistas» le portent avec une chemise classique aux manches savamment retroussées et des mocas.

 

Nothing beats summertime in Paris

Une publication partagée par Valery Escande (@valhery) le

Voire pour les plus aventureux avec des méduses en cuir et des chaussettes.

 

Tabou du poil masculin

Vincent Grégoire, qui capte l’air du temps au bureau de tendances NellyRodi, est formel: «Pour porter un bermuda, il faut avoir de belles jambes, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Et si on a des cannes de serin, ça fait pensionnat ou scout». Il est vrai que pendant longtemps, le bermuda était un vêtement destiné aux enfants (les fameuses «culottes courtes» des gastronomes de la pub Kiri).

Au XIXe siècle et jusqu’au milieu du XXe, nos chers bambins le portaient avec des chaussettes hautes, parfois même en hiver (ça faisait des économies de pantalon à repriser au genou). «Plus sérieusement, je pense que le vrai problème au port généralisé du bermuda, c’est que pour beaucoup d’hommes cela ne fait pas viril, déclare Vincent Grégoire. Il y a encore un tabou au dévoilement de la jambe masculine. Le souci c’est le poil! Pour beaucoup d’hétéros, ça fait sale, ou pire, singe. Certains se rasent, comme pour discipliner leur animalité. Et puis montrer ses jambes, ça fait tout de suite gay. Encore plus si le bermuda est un peu moulant. Quoiqu’on en dise, on est encore dans des postures archaïques de dominant/dominé et l’homme a du mal à se dévoiler, voire à s’offrir dans un rapport de séduction.» Seuls quelques sportifs méga burnés, tel le joueur de basket NBA Russell Westbrook, s’autorisent le port du bermuda fashion sans que l’on remette en cause leur hétérosexualité.

 

LV VIBES ... "it be like that sometime" #whynot #parisfashionweek #fashionking #lvmenss18

Une publication partagée par Russell Westbrook (@russwest44) le

Car oui, la jambe de l’homme est érotique, et il n’y a aucun mal à ça. Il y a quelques mois, Call Me By Your Name de Luca Guadagnino faisait fureur. Véritable festival de bermudas et de shorts eighties, le film est aussi une déclaration d’amour aux jambes d'Armie Hammer, le doctorant statuesque qui séduit le jeune Thimotée Chalamet. On ne s’en est toujours pas remis.

Alors messieurs, qu’elles soient fines ou musclées, poilues ou glabres, sentez-vous libres, montrez-nous vos guiboles!

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