France

Les déclarations de Sarkozy passées au crible

Le président de la République est fâché avec les chiffres et parfois avec les faits. Décryptage point par point.

Temps de lecture: 6 minutes

Nicolas Sarkozy était lundi soir (25 janvier 2010), sur TF1, l'invité de Laurence Ferrari au Journal de 20h00 avant de répondre aux questions d'un panel de 11 Français au cours d'une émission animée par Jean-Pierre Pernaud, «Paroles de Français». Le président de la République est fâché avec les chiffres et parfois avec les faits.

1/3 aux salariés, 1/3 aux actionnaires, 1/3 aux orties

[Paroles de Français] La question est inscrite sur un écran face au président de la République: «Pouvez-vous nous dire où en est l'idée du partage des profits des entreprises en trois parts égales? Qui freine? Les patrons? Les syndicats? Vous?» Jean-Pierre Pernaud reformule la question du partage de «la richesse des entreprises, un tiers aux salariés, un tiers aux investissements, un tiers aux actionnaires, ça en est où...?»

Réponse de Nicolas Sarkozy: «Je reste attaché à cette idée. J'ai demandé au patronat et aux syndicats de se mettre d'accord sur cet objectif. S'ils n'avancent pas, je serai obligé contraint de passer par la loi.»

# Décryptage # Le 23 février 2009, le président de la République avait demandé un rapport à Jean-Philippe Cotis, le directeur général de l'Insee, sur le Partage de la valeur ajoutée et le partage des profits (1). La règle des trois tiers n'a pas grand sens, à en croire les statisticiens de l'Insee. Depuis une vingtaine d'années, le partage de la valeur ajoutée créée par les entreprises non financières se répartit de la manière suivante: 67% pour les salariés, 33% pour l'excédent brut d'exploitation, dont un quart, soit 8,25% de la valeur ajoutée va à la rémunération du capital. On peut cependant parler de recul de la rémunération des salariés dans la mesure où leur part excédait 75% au début des années 1980.

A l'évidence, la règle du 1/3, 1/3, 1/3 concerne une autre mesure que de la richesse créée par les entreprises. L'Insee se penche alors sur les profits bruts en 2007: 57% étaient consacrés à l'investissement, 7% aux salariés et 36% à la rémunération du capital. Faut-il réduire la part des profits consacrée à l'investissement? Personne ne le réclame. Admettons qu'il faille trouver un équilibre dans le partage des profits entre salariés et actionnaires, on peut aboutir au découpage suivant: 22% pour les salariés, 22% pour les actionnaires et 56% pour les investissements, ou 1/4 pour les salariés, 1/4 pour les actionnaires et la moitié pour les investissements. Mais qui militera pour une baisse de 7 points de la part consacrée à la préparation de l'avenir?

Imposer de construire en France ce que l'on y vend est interdit par Bruxelles

[Paroles de Français] Nicolas Sarkozy: «Je n'accepte pas que des voitures qui sont vendues en France soient construites à l'étranger. (...) Pour la partie de la Clio-4 vendue en France, ce sera à Flins.»

# Décryptage # Il faudra bien l'accepter ou quitter l'Union européenne. Il est strictement impossible et interdit par l'UE d'imposer une telle règle. Volkswagen, Fiat, Skoda qui ne construisent pas de voiture en France se verraient fermer nos frontières? Fallait-il entendre que les voitures françaises vendues en France doivent être construite en France? Peugeot, Citroën et Renault seraient donc contraints de fabriquer en France ce qu'ils vendent dans l'Hexagone. C'est tout aussi impossible et expressément interdit par Bruxelles. La Commission européenne a d'ailleurs autorisé, l'an dernier, des aides de Paris à son industrie automobile en précisant que l'Etat ne pouvait avoir de telles exigences. Le gouvernement a donc accepté de ne pas imposer ce que réclame aujourd'hui le président de la République

Henri Proglio 27° patron français par la performance et absent du classement de la Harvard Business School

[JT de TF1] Laurence Ferrari: «Avez-vous autorisé le cumul...»

Nicolas Sarkozy: «Je vais expliquer les choses très franchement et très simplement. Lorsque M. Gadonneix, prédécesseur de M. Proglio, est parti à la retraite, quel a été mon souci, celui du Premier ministre et celui du gouvernement? D'après vous? Trouver le meilleur président possible pour la deuxième entreprise de France par la capitalisation et par l'importance, 160.000 salariés. (...) Notre choix s'est porté sur Henri Proglio, qui est l'un des meilleurs chefs d'entreprise français (...) Et je regrette que personne ne parle de la qualité professionnelle exceptionnelle d'Henri Proglio.»

# Décryptage # Le classement établi chaque année par Challenges et Coface Services, une filiale de la Coface dont le métier est d'évaluer les entreprises, mesure la performance des grands patrons français. Il s'agit de mesurer la performance économique, la performance boursière d'une entreprise, de pondérer ses critères par le comportement des entreprisse du même secteur et par la conjoncture... Bref, il s'agit de voir comment ils s'en sont sorti dans un contexte donné et s'ils ont fait mieux ou moins bien que leurs rivaux. Cette année, Henri Proglio se retrouve à la 27e place sur 30! La Harvard Business School a, quant à elle, réalisé un classement des 100 meilleurs chefs d'entreprise dans le monde. Il compte quatre Français: Antoine Zacharias (ex-Vinci), Thierry Desmarest (président du conseil d'administration de Total), Thierry Breton (ex-France Télécom) et Franck Riboud (Danone). Il est vrai que la Harvard Business Scholl privilégie la création de valeur pour les actionnaires et que de ce point de vue Henri Proglio n'est pas au top. Le jour de son introduction en bourse, le 20 novembre 2001, Veolia valait 11,4 milliards. Hier (26/01/10), le groupe leader mondial des services aux collectivités locales pesait 12 milliards d'euros. Un gain de 600 millions d'euros quand les actionnaires ont, entre temps, remis 8 milliards au pot et touché pour 2,4 milliards de dividendes. Cela ne permet pas de parler «de qualités professionnelles exceptionnelles».

La double présidence de Proglio devient temporaire

[JT de TF1] Nicolas Sarkozy: «M. Proglio n'était pas candidat. Il se trouve qu'il était président de Veolia, 320.000 personnes à travers le monde, excusez du peu, dont 110.000 en France. Il nous a dit, au Premier ministre, à la ministre de l'Economie et à moi-même: "J'ai un problème, c'est un grand honneur de prendre la présidence d'EDF, mais je ne peux pas laisser tomber mes troupes mes hommes, l'entreprise comme ça. Il faut que j'assure la transition." Nous lui avons indiqué qu'on ne peut pas être président exécutif de deux entreprises. (...) Et donc il nous a demandé et je l'ai accepté, comme le Premier ministre que, pour quelques mois, il puisse faire la transition à Veolia. (...)  Pendant quelques mois, il sera président non exécutif de Veolia qui a désormais un directeur exécutif et lorsque la transition sera faite, il se consacrera à 100% à ses fonctions à EDF.»

# Décryptage # Il n'a jamais été question jusqu'à aujourd'hui d'une situation «temporaire». Pourquoi ne pas l'avoir évoqué plus tôt? Question sans réponse. Le conflit d'intérêt, lui, était patent à partir du moment où Henri Proglio avait mis en avant et explicité un rapprochement stratégique EDF-Veolia. Il n'y a pas à priori de conflits d'intérêt à être président d'EDF et de Veolia. Le conflit d'intérêt apparaît quand Henri Proglio prévoit de rapprocher les deux entreprises. Pour mettre en œuvre ce chantier, il allait se retrouver à négocier avec lui-même en représentant simultanément les intérêts contradictoires des actionnaires de Veolia et de ceux d'EDF. Dans un rapprochement de cette ampleur, il aurait été inévitablement en butte aux reproches d'actionnaires s'estimant lésés qui lui auraient donné rendez-vous devant la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris, celle des affaires financières. Il avait laissé entendre dans le Journal du dimanche que, menant les discussions d'ordres industriels, il se serait effacé quand les questions financières seraient évoquées. Il inventait une sorte de président «on and off» alternativement présent et absent, difficilement imaginable.

Henri Proglio augmenté de 45% à EDF, voit son salaire diminuer de 30%!

[JT de TF1] Nicolas Sarkozy: «M. Proglio en tant que président de Veolia gagnait 2 millions d'euros, en tant que président d'EDF il aura 1 million de fixe et 600.000 de prime. (...) C'est le 23° salaire de France pour une entreprise qui est la deuxième de France. Qu'est-ce que vous voulez que je fasse? Que je nomme quelqu'un qui n'a pas les qualités de M. Proglio simplement pour dire qu'il a le salaire moyen? Est-ce que ça a fait polémique le salaire de M. Gadonneix (...) qui gagnait je crois 1,3 million ou 1,4 million par an...»

Laurence Ferrari: «Il a été augmenté de 45%...»

Nicolas Sarkozy:  «Non, M. Proglio perd par rapport à ce qu'il gagnait comme président de Veolia. J'ajoute que M. Proglio, après que nous en ayons parlé, ne prendra pas un centime comme président du conseil de Veolia, il se contentera, et c'est bien suffisant, de son salaire à EDF.»

# Décryptage # Henri Proglio a gagné, en 2008, un salaire de 2,267 millions d'euros comme PDG de Veolia. Chez EDF, il a obtenu un salaire de 1,6 million d'euros quand son prédécesseur affichait un salaire de 1,1 million et pas «1,3 million ou 1,4 million». Cela fait bien une augmentation de 45% pour le patron d'EDF. Depuis qu'il a abandonné ses 450.000 € liés à la présidence du conseil d'administration de Veolia, il enregistre bien une baisse de 30% de son salaire. Sur ce point, Nicolas Sarkozy a raison. Maintenant, le salaire est en général une partie secondaire de la rémunération des grands patrons. En 2008, Henri Proglio a ainsi empoché 6 millions de revenus: 2,267 millions de salaires (fixe et variable), 3,7 millions d'euros avec la cession de stock-options et 3.050 d'avantages en nature.

Philippe Douroux

Image de une: Nicolas Sarkozy avant le JT de TF1, le 25 janvier 2010. Reuters

(1) «Partage de la valeur ajoutée, partage des profits et écarts de rémunérations en France» 13 mai 2009. Jean-Philippe Cotis.


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