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Coupe du monde: comment les accents ont fait leur apparition sur les maillots des Mexicains

Par sa seule ténacité et son amour de la langue espagnole, Paulina Chavira a réussi à mettre des accents sur les maillots de la sélection mexicaine.

Layún lors du match contre l'Écosse, le 2 juin 2018| HECTOR VIVAS / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP
Layún lors du match contre l'Écosse, le 2 juin 2018| HECTOR VIVAS / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Temps de lecture: 3 minutes

Le Mexique affronte le Brésil dans un huitième de finale qui sent bon (à première vue) le jeu collectif, les gestes techniques et l'ambiance bouillante. 

Si vous regardez la partie de ce lundi, que vous observez le maillot du Mexique, ayez, s'il vous plaît, une petite pensée pour Paulina Chavira. Par sa seule ténacité et son amour de la langue, cette journaliste mexicaine a réussi à changer le maillot de son équipe nationale: El Tricolore.

Paulina Chavira | Héctor Aguilera

Portugal-Mexique, le déclic 

Les préludes de ce combat remontent à un match de la Coupe des confédérations disputé le 18 juin 2017, entre son pays et le Portugal. Pas besoin rappeler que l'équipe de Cristiano Ronaldo a soulevé l'Euro chez nous un an plus tôt.

Alors qu'elle regarde ce match à la télévision, la différence entre les maillots des deux sélections fait tilter la journaliste qui travaille pour l’édition espagnole du New York Times. Plus précisément, leur flocage... «Les maillots des joueurs portugais avaient des accents et une cédille, pas ceux des Mexicains», explique-t-elle aujourd'hui. 

Ainsi, dans le dos des joueurs, les noms Layún, Hernández, Raúl Jiménez ou encore Araújo sont écrits Layun, Hernandez, Raul Jimenez ou Araujo.

Ce qui n'est pas le cas des joueurs portugais: Cédric, André Gomes et le gardien Rui Patrício.

Un détail pour certains, une «omission» qui veut dire beaucoup de choses pour la journaliste. Cette dernière nous dispense, pour la peine, un petit cours gratuit. De quoi vous rappeler le lycée. Et soyez attentifs et attentives, s'il vous plaît.

«Dans certains cas, les accents diacritiques changent le sens de la phrase. Un accent permet de distinguer le pronom “tú” (tu) et l'adjectif possessif “tu” (ton/ta) ou entre l'article “el” (le) et le pronom “él” (il). Parfois, les accents nous indiquent aussi comment se prononce un mot. Par exemple, “futbol”. Au Mexique et au Guatemala nous accentuons la prononciation du “o” [futbÓl], alors qu'en Argentine et en Espagne, le même mot se prononce en accentuant sur le “u” [fÚtbol].»

Une arme: son compte Twitter

Dans le but de faire bouger les choses, la Mexicaine utilise, alors, l'artillerie lourde. Elle envoie, dès le soir même, un tweet pour interpeller la Fédération de football et la marque aux trois bandes. 

Un message largement relayé sur son compte Twitter, devenu une véritable plateforme dédiée à la langue espagnole. À l'époque, cette «control freak» de l'orthographe est, en fait, déjà connue pour avoir lancé le #117errores. 

En 2013, 117 erreurs orthographiques ou grammaticales avaient été relevées dans les libros de texto gratuitos, les manuels scolaires mis à disposition de millions d'écolières et écoliers mexicains et pour lesquels le Secrétariat de l'Éducation publique du pays avait déboursé environ 600.000 euros.

Dix jours après son tweet, la journaliste en remet une couche en publiant l'article «Comment la machine à écrire et l'ignorance laissent les Mexicains sans accents»Durant la rédaction de ce papier, elle contacte la Fédération qui, par l'intermédiaire de son porte-parole, lui explique sa version des faits.

Selon Israel Márquez (et pas Marquez), les accents ne sont pas inscrits sur les maillots des joueurs car la Fédération utilise les passeports pour enregistrer ces derniers auprès de la Fifa. Sur ce document, les noms y sont inscrits en majuscules et sans accents. Est-ce la raison pour laquelle Mbappé, Kanté, et Dembélé s'appellent Mbappe, Kante et Dembele lorsqu'ils enfilent le maillot bleu?

Quoi qu'il en soit, pour Paulina, les services de l'état civil de son pays «se trompent» lorsqu'ils pensent que les majuscules ne prennent pas d'accent. C'est, surtout, pour cette raison qu'elle a souhaité mené ce combat à son terme.

«Cette croyance est due à l'impossibilité technique de mettre des accents sur les majuscules à l'époque des machines à écrire. En vérité, il n'y a jamais eu une règle en espagnol qui stipule que les lettres majuscules n'ont pas d'accents.»

Un travail qui a payé puisqu'ils ont fait leur apparition lors du match de préparation au Mondial entre le Mexique et le Pays de Galles en mai dernier. Un aboutissement qui a même fait pleurer cette passionnée.

Le baseball aussi...

Le football n'est d'ailleurs pas le seul sport concerné par ce débat puisque Paulina s'est emparée de la campagne #PonleAcento lancée aux États-Unis par une agence de publicité en partenariat avec la Ligue majeure de baseball (MLB) en 2016.

Dans ce cas, il s'agit autant d'une affaire d'orthographe que de respect de l'identité culturelle des joueurs latinos qui représentent 31% des effectifs.

Ce spot, il ne faut pas se leurrer, était également destiné à attirer davantage de fans issus de cette communauté vers un sport qui perd en attractivité.

Un message, en tout cas, relayé par la superstar Adrián González, joueur mexicano-américain des Dodgers de Los Angeles. Ce dernier fut le premier à inscrire son vrai nom sur son maillot après seize saisons.

Une trentaine de ses pairs, comme Robinson Canó, ont fait de même.

D'autres personnalités ont soutenu l'initiative. C'est le cas du boxeur mexicain Canelo Álvarez ou du joueur vénézuelien de la NBA Greivis Vásquez. 

Aux commentateurs sportifs américains, désormais, de prendre quelques cours de prononciation pour ne plus écorcher les noms de famille des stars hispaniques. «La prochaine étape», pour la journaliste.

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